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Ronny Rodelin, entre flemme et flegme
Auteur d'un bon début de saison sous ses couleurs caennaises, Ronny Rodelin enchaîne enfin du temps de jeu après des années de galère. Une bonne nouvelle pour les Normands, mais surtout pour le joueur, plus habitué aux critiques sur son investissement qu'aux louanges. Portait d'un éternel détendu.
Il est des matins plus durs que d’autres. Des réveils compliqués, où le sommeil rattrape les paupières, où l’avenir d’une journée de labeur endolorit les membres. Pourtant, se lever est une étape obligatoire. Dès lors, deux méthodes s’affrontent. Prendre les choses à bras-le-corps, avec un café et une douche en guise d’aide essentielle, ou se complaire dans la léthargie à mesure que l’on s’extirpe du lit. Cette seconde option, c’est celle choisie par Ronny Rodelin depuis des années. De Rodez à Lille en passant par Nantes, l’attaquant d’1m90 n’a cessé de balader cette grande carcasse dégingandée avec une décontraction qui lui est propre. Plus qu’une attitude, un réel mode de vie pour le jeune homme de 25 ans, passé de prodige de l’Aveyron à joueur vilipendé dans le Nord de la France. Tout le paradoxe de Ronny Rodelin, fin technicien perdu sur l’autel de la flemme.
Ronny, le talent
Pourtant, la carrière de Ronny Rodelin n’a pas été de tout repos. Parti à l’âge de 10 ans de son île natale de La Réunion et de son club de La Gauloise, où son père est entraîneur, le gamin rejoint Millau où sa mère s’installe pour des raisons professionnelles. Inscrit dans les clubs du coin (SOM, puis Onet-le-Château), le grand Ronny surclasse ses camarades de jeu. Et c’est tout logiquement qu’en 2004, il rejoint Rodez et ses catégories de jeunes. Déjà, le jeune attaquant se distingue par ses qualités balle au pied : « Je me souviens d’un geste technique : passement de jambe, feinte de centre en coup du foulard qu’il ramène en petit pont sur le défenseur. En voulant se jeter, le défenseur tombe, et derrière ça, il met centre en retrait et on marque. Je me suis dit « Putain, comment il fait ! » » se souvient Simon Roda, partenaire de l’époque, et ami de 10 ans. Un constat que partage Matthieu Bideau, qui a supervisé le jeune Rodelin pour le FC Nantes avant son transfert chez les Canaris en 2008 : « J’ai repéré Ronny sur une entrée de 15 minutes à Villemomble en fin de match lors d’un Villemomble – Rodez. Ronny, du haut de son mètre 90, est entré, et trois choses m’ont tout de suite plu chez lui : son aisance technique, la véritable classe qu’il dégageait lorsqu’il touche le ballon et un super jeu de tête. Et un super compromis entre taille et vitesse/mise en route. Un profil très rare ! Car souvent, ces attaquants de pointe très grands sont plus dans la force et la puissance. Ronny, lui, était dans la finesse. C’est sûrement le plus beau joueur que j’ai vu, le genre de joueur qui vous fait aimer le football. » . Si le recruteur du FC Nantes est plus que dithyrambique, les avis sont pourtant unanimes : Rodelin est un joueur aussi atypique que fantasque. Alors à Rodez, Ronny quitte rapidement les catégories de jeunes pour rallier les joutes du National. Une progression logique, mais qui va révéler les failles du Réunionnais : « Pour le National, il était sans doute un peu léger physiquement parce qu’il y avait des solides en face, lui n’avait que 18 ans, il n’était pas musclé, il se faisait bouger, explique Guillaume Laneau, autre coéquipier de l’époque avant de poursuivre,il s’était fait secouer par le coach parce qu’il était nonchalant lors de la préparation physique. Alors que généralement, on attend que les jeunes se donnent à fond pour gagner leur place. Et lui, il était toujours « tranquille, tranquille ». » Trop tranquille.
Ronny, le nonchalant
La critique revient sans cesse : Ronny Rodelin serait trop nonchalant. Sur le terrain comme dans la vie. Ce qui expliquerait qu’à 25 ans, et malgré un talent reconnu de tous, Rodelin n’ait pas la carrière qu’il mérite. Simon Roda analyse : « Ronny c’est un Antillais (sic), il est très cool. Cette nonchalance, ça a été son défaut et sa qualité. Il est très décontracté, mais parfois trop. C’est ce que les coachs lui ont reproché un paquet de fois, même à Lille, de faire toujours le minimum. C’est au quotidien. En National, il était facile, mais il faisait le minimum pour être dans le groupe, pour gagner du temps de jeu, mais jamais le plus qui aurait pu faire de lui le titulaire indiscutable toute la saison. » Un peu léger sur la ponctualité, tête en l’air, Rodelin paye sans arrêt cette décontraction. Mis à l’écart aussi bien à Rodez, à Nantes ou encore à Lille, il devient même une cible dans le Nord de la France. Des critiques compréhensibles, mais parfois exagérées à l’encontre d’un joueur dont le corps a également eu du mal à s’adapter aux exigences de la Ligue 1 : « Je pense que c’est le monde professionnel et la charge de travail qui va avec qui font ses blessures. En plus, il n’est pas passé par un centre de formation. Peut-être qu’aussi, au début, il ne se reposait pas assez en profitant de son temps libre » , estime Roda. Matthieu Bideau lui aussi a eu conscience du problème lors du passage du joueur à Nantes. Mais le talent se doit alors d’être protégé : « Il a rapidement intégré le groupe pro, et là, ça a coincé pour différentes raisons : blessures, club instable et résultats compliqués là-haut, et peut-être et sûrement un relâchement de sa part. L’ensemble du club était conscient d’avoir un super joueur dans son effectif, mais ce joueur ne pouvait pas s’exprimer à 100%, car gêné par des pépins physiques. Samuel Fenillat (qui reprend la formation en 2010/2011) qui croit beaucoup en Ronny décide de le « retaper » en CFA avec Loic Amisse qui vient de revenir également au club. » . Costauds, les gaillards arrivent à convaincre Ronny de redescendre d’un étage pour reprendre confiance tout en se refaisant une santé. Le tout, « avec l’idée clairement affichée et un challenge avec Ronny : « On te renverra là-haut quand tu seras prêt ! » » Une demi-saison plus tard, Lille lâche 1,6 million pour profiter du boulot nantais. Et d’un joueur que la nonchalance rend aussi sympathique dans la vie qu’agaçant sur les prés.
Ronny, le charmant
« Mon premier jour à Rodez, on s’est retrouvés dans la cuisine du château de Vabre (centre d’entraînement du club où résidaient alors les deux hommes, ndlr), et je vois descendre Ronny de l’escalier. Il avait la même morphologie qu’actuellement, c’est-à-dire très grand, très mince, en short et tee-shirt parce que c’était début août. Mais il avait un bonnet (rires). C’est une image qui me restera un bon bout de temps gravée, car pour moi, elle résume tout à fait Ronny. Cool, décontracte, mais toujours un petit truc qui le différenciait des autres » , en pouffe encore Simon Roda. Car au fond, Ronny Rodelin n’a pas le complexe du footballeur déjà arrivé. Simplement ne varie-t-il pas plus lorsqu’il s’agit de tâter le cuir que de mener sa vie. Souriant, d’humeur égale, blagueur devant l’éternel, Rodelin est un bon vivant et un homme plus qu’attachant : « Avec les supporters, ça s’est super bien passé, c’était l’enfant du club, les gens adoraient le voir jouer. Ils attendaient même qu’il joue encore plus » , se rappelle l’époque ruthénoise Guillaume Laneau. Alors, profitant de ses périodes de repos, Ronny n’oublie jamais ses amis. Une semaine dans le Sud pour y retrouver ses camarades d’antan, 2 ou 3 à la Réunion pour se ressourcer en famille, le programme de Rodelin est chargé, les retrouvailles toujours savourées. Là, autour de grands dîners, il n’est pas rare de voir Ronny évoquer ses souvenirs de jeunesse avec Simon Roda : « Quand il avait sa voiture, on était en plein hiver, et Ronny en plein hiver, il ouvrait les fenêtres et il mettait le chauffage à fond. On en rigole tellement encore, car il le faisait tout le temps. Il ne supportait juste pas le chauffage dans la voiture ! » Spontané, à son rythme, Ronny Rodelin n’est donc pas forcément le joueur qui se fond le plus dans le moule du professionnalisme. Il n’en demeure pas moins qu’à Caen, Rodelin semble avoir retrouvé une place, et surtout, du temps de jeu. Désormais pièce maîtresse de l’attaque aux côtés d’Andy Delort, le détendu postule un niveau plus conforme à son talent. Le paradoxe reste toutefois ultime entre la décontraction de l’homme et l’exigence nécessaire au footballeur. De quoi douter de l’envie de réussir de Ronny ? Simon Roda livre une dernière anecdote à même d’évacuer les soupçons : « Une fois, on est revenu très tard d’Ajaccio. Il m’avait dit de venir dormir chez sa mère. Et un truc m’a marqué : au-dessus de son lit, il y avait une phrase sur le foot. Et il m’a dit que c’était pour qu’à chaque fois qu’il se lève, avoir cette phrase en tête et ne pas oublier de réaliser son rêve. » Ronny Rodelin n’a donc pas eu que des matins difficiles.
Par Raphael Gaftarnik