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Rongier, son frein

Par Théo Denmat
6 minutes
Rongier, son frein

Au-delà du foutoir, que révèle le transfert avorté puis validé de Valentin Rongier à l'Olympique de Marseille ? Que ces deux clubs sont gérés par des incompétents ? Ou seulement un seul d'entre eux ? Le football français adore se compliquer la vie, en voilà une nouvelle preuve.

Il y avait là une concession Volkswagen, une équipe de tournage, et un Mouton. Pas l’animal, non, le type : Daniel Mouton, 1,70m et des poussières, regard perçant, cheveux blancs et poignée de main ferme des entrepreneurs qui ont appris qu’elle était importante. Il est une des trois têtes de la présidence du club de l’AS Vitré, Ille-et-Vilaine, dernier budget de la poule C de National 2, fondation 1907. Dans la presse locale qui se bouscule pour parler à ce volubile quinquagénaire, voilà ce que l’on peut lire : « J’ai coutume de dire que j’apporte l’argent et que les deux autres le dépensent. Mon travail, c’est vraiment de trouver des partenaires. Pour cela, j’ai un truc assez simple : je possède une concession automobile très connue à Vitré et je me sers de mon réseau professionnel. Tous les partenaires de l’AS Vitré sont, ou ont été, des clients de ma concession. » Confirmation : elle est belle. Larges baies vitrées, une vingtaine de modèles différents exposés à l’intérieur, plus encore sur le parking, et un joli hall d’accueil qui invite à monter à l’étage pour rencontrer le patron.

Ce jour de début mars, à moins d’une semaine d’un quart de finale de Coupe de France contre le FC Nantes, Daniel Mouton fait la ronde dans son bureau. Et pour cause, il ne sait pas encore où recevoir le match. Il faut comprendre : le stade municipal de l’AS Vitré, 3500 places, n’est pas aux normes. Celui de Rennes, pas très loin, occupé. Le Mans, 120km à l’est, pas dispo. L’homme explique : « J’ai déjeuné avec Waldemar Kita hier, il essaye de récupérer l’organisation du match. » Après tout, c’est un derby, La Beaujoire est à moins de deux heures de route. Alors le président nantais a fait des pieds et des mains pour disputer la rencontre à la maison, manière d’avantager les siens et de récupérer au passage quelques billets en plein tourbillon Sala et alors que le Parquet national financier le vise dans une enquête pour fraude fiscale. Mais Mouton est rodé : « Kita, c’est Kita. On connaît. Je ne vais pas me faire avoir. Croyez-moi : ce match, on ne le disputera pas à Nantes. » Six jours plus tard, l’AS Vitré s’inclinait 2-0 contre les Canaris au stade Francis-Le-Basser de Laval, et Kita repartait avec les 41 218 € de sa part de recette du match, joli doigt d’honneur à la tradition. Du Waldemar dans le texte.

Le souper de cons

« Kita, c’est Kita » . Traduction : sa réputation le précède, celle d’un type roublard, puissant, lunatique, tantôt pingre, tantôt peu regardant sur ses propres sous. Un gars en marge du management habituellement pratiqué en Ligue 1, ou partout ailleurs, que les autres présidents avaient un temps pris l’habitude de surnommer « Jacques Villeret » , rapport au Dîner de cons. Le genre de bonhomme qui ne plie pas sous la pression, et tout le monde le sait. Tout le monde. Tout le monde, sauf Jacques-Henri Eyraud. Lundi soir à la Commanderie, ce dernier a enfourché son scooter peu après minuit, juste avant Andoni Zubizarreta, et est parti casqué, d’abord pour sa propre sécurité, ensuite pour masquer un visage barré de la déception d’avoir loupé Valentin Rongier. Ce même Valentin Rongier qui, empli de la certitude de signer à l’OM avant minuit, avait passé sa journée à compléter sa visite médicale, tourner sa vidéo de présentation, visiter toutes les installations et choisir son numéro de maillot. Certains journalistes, en faction devant la Commanderie, confiaient avoir vu partir dans la nuit l’équipe digitale olympienne, la queue entre les jambes. Et Rongier. Rongier lui-même. Le gamin a passé sa soirée à l’hôtel Intercontinental, campé sur son téléphone, sentant l’inévitable lui fondre sur les épaules pendant que les deux présidents de Ligue 1 les plus haïs par leurs propres supporters faisaient capoter en chœur ce qui aurait dû être réglé depuis un bail. Car la faute était double : celle de Kita, d’avoir été très gourmand, et celle d’Eyraud, d’avoir eu la prétention de se croire en position de force sur le dossier.

Les derniers échanges évoquaient une offre à hauteur de 13M d’euros, deux millions de bonus pendant cinq ans si Marseille accédait à la Coupe d’Europe et, surtout, 30% pour Nantes sur la plus-value à la revente avec un plafonnement à 5 millions. Or, Kita exigeait que ce pourcentage franchisse la barre des 50%, sans ce même plafonnement (finalement relevé à 8M). Ce même Kita qui, lorsque So Foot lui demandait en octobre 2014 si « la gestion humaine, c’est un gros souci » après le fiasco Klasnić, répondait ceci : « La gestion humaine, c’est un problème énorme. Citez-moi un entraîneur qui fait une école supérieure de management. Je ne veux accuser personne, mais nous, dans le management, on sait gérer les gens. » Lui qui sait gérer les gens, donc, a fait passer une nuit d’enfer à Valentin Rongier, resté sur place dans la nuit de lundi à mardi, encore présent à midi hier sur place, puis à 15h, puis à 17h, heure choisie par Kita pour lâcher à l’AFP que le transfert était finalement « validé » . Par un biais quasi jamais vu, celui des jokers, avec cette phrase : « Je voulais que ça se fasse pour le gamin. » Et avec 50% de plus-value à la revente, quand même. Quel grand prince !

Le verrou Luiz Gustavo

« Il faut encore une heure pour terminer les papiers » , avait-il indiqué à l’agence de presse. Or, il en a fallu sept de plus, une preuve supplémentaire de l’incompétence respective des dirigeants dans le dossier. La meilleure ? Celle de la proposition d’inclure Sertic dans l’offre, info de La Provence, qui n’aurait logiquement pas beaucoup fait rire Nantes. Eyraud s’est en réalité penché sur le dossier une fois les liquidités du transfert de Luiz Gustavo assurées, sans certitude que son poste soit remplacé, et est donc passé à deux doigts d’aligner un milieu Strootman-Lopez-Sanson-Chabrolle-Phliponeau jusqu’à l’hiver, sinon plus. Le 23 décembre 2017, dans L’Équipe, il disait ceci : « On a fait une erreur dans ce mercato, c’est d’avoir eu des discussions avec un joueur qui ont trop duré. Et ça, c’est une erreur qu’on essaiera de ne pas reproduire. »

Pour en commettre une autre, cette fois, il a extrêmement tardé à soumettre une offre qui correspondait à ses réelles exigences, après plusieurs semaines à évoquer un simple prêt avec option d’achat. Poussant la situation dans une impasse, comptant sur le besoin de liquidités de Nantes, et ne connaissant pas totalement à qui il avait affaire : Kita. De l’amateurisme. Au-delà des offres, on parle surtout là de la gestion du cœur d’un gamin à qui l’on aurait pu faire la fleur de le laisser s’envoler dans de meilleures conditions après 18 ans de services dans le même nid. Mais non. L’histoire devrait s’est finalement terminée comme il le fallait (bien) mais est terriblement triste. Alors pour la prochaine fois, que les présidents notent bien : Waldemar Kita est le genre de gus à chipoter pour 41 218 €. Prendre les dispositions en conséquence.

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