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Romelu Lukaku, les yeux rouges
« J'ai des choses à vous dire », c'est le titre d'un texte publié sur The Players' Tribune, signé Romelu Lukaku. Où l'avant-centre des Diables rouges revient sur son enfance précaire à Anvers. Poignant.
Avant d’être le type arrogant qui veut « gifler [ses] adversaires » , avant d’être le buteur de la Belgique critiqué pour son style bourrin au milieu de la finesse d’Hazard, De Bruyne & co, avant d’être vu par une présentatrice de JT de France 2 comme l’un de ces millionnaires que l’on regarde courir derrière un ballon à la Coupe du monde, Romelu Lukaku a vécu la pauvreté. Pour de vrai. Cela lui donne-t-il le droit de recevoir plus d’empathie que ceux qui ont souffert comme lui, sans pour autant vivre aujourd’hui de leur talent avec des émoluments mensuels à six chiffres ? Non, mais son histoire mérite au moins d’être connue.
Pain et lait au déjeuner
Le Belge se raconte dans un long texte de huit feuillets, publié le 17 juin dans The Players’ Tribune – un média lancé en 2014 par l’ancien joueur de baseball Derek Jeter, qui donne la parole à des sportifs en leur permettant d’écrire ou de faire rédiger à la première personne sur des sujets qui leur tiennent à cœur. « Je me souviens du moment exact où j’ai su que nous étions fauchés, attaque Lukaku. Je vois encore ma mère devant le réfrigérateur et l’expression sur son visage. J’avais six ans, et je revenais déjeuner à la maison à la pause de l’école… » Quelques années plus tôt, le père, Roger Lukaku, footballeur pro au RFC Seraing en première division belge, avait failli signer au Standard de Liège, mais le transfert ne s’était pas fait. Finalement, à la fin de sa carrière, le père n’a plus un rond et une famille à nourrir.
« Chaque jour, ma maman proposait le même menu : pain et lait. Quand on est un gamin, on ne s’en soucie même pas, poursuit Romelu, dont la mère travaille alors comme femme de ménage. Puis, un jour, je suis rentré à la maison, je suis allé dans la cuisine et j’ai vu ma maman devant le réfrigérateur avec une brique de lait, comme d’habitude. Mais, cette fois, elle mélangeait quelque chose avec le lait… » Au menu, ce jour-là, ce sera du lait dilué avec de l’eau. « On n’avait pas assez d’argent pour finir la semaine. On était fauchés. Pas seulement pauvres, mais fauchés.[…]Je n’ai pas dit un mot, je ne voulais pas la stresser. J’ai juste pris mon déjeuner. Mais, je jure devant Dieu, je me suis fait une promesse ce jour-là… »
Il n’y a plus d’électricité ni d’eau chaude à la maison – « ma mère faisait chauffer une bouilloire sur le poêle, et je me tenais debout dans la douche en aspergeant l’eau chaude sur ma tête avec une tasse » –, le grand frère de Jordan a l’âge de faire des gribouillages dans ses cahiers, mais il sait une chose : il ne veut plus voir sa mère devoir servir à ses fils du pain avec du lait dilué à l’eau. « J’avais six ans. J’ai demandé à mon père :« Quand est-ce qu’on peut démarrer une carrière de footballeur professionnel ? »Il m’a dit :« Seize ans. »J’ai dit :« OK, seize ans, alors. » »
« Je jouais avec tellement de colère »
Le natif d’Anvers, d’origine congolaise par ses parents, part en mission. « Je voulais devenir le meilleur footballeur belge de l’histoire. C’était mon but. Pas bon. Pas génial. Le meilleur. Je jouais avec tellement de colère, à cause d’un tas de choses… à cause des rats qui se promenaient dans notre appartement… à cause du fait que je ne pouvais pas regarder la Ligue des champions… à cause du regard des autres parents à mon égard. » Par exemple celui qui lui a ordonné de montrer sa carte d’identité dans un match U12 parce qu’il le soupçonnait de ne pas avoir l’âge requis. « Mon père n’était pas là, car il n’avait pas le permis de conduire pour m’emmener aux matchs à l’extérieur. J’étais tout seul et je devais me défendre. Je suis allé chercher ma carte d’identité dans mon sac, en la montrant à tous les parents, qui l’inspectaient, et je me souviens du sang qui coulait dans mes veines… et j’ai pensé :« Oh, j’allais déjà tuer ton fils, mais maintenant, je vais le détruire… Tu vas devoir le ramener à la maison en pleurs. » »
Le 24 mai 2009, à la 65e minute de la finale retour du championnat de Belgique entre le Standard de Liège et Anderlecht, Romelu Lukaku fait son entrée en jeu sous le maillot des Mauves, il a 16 ans et 11 jours. Le Standard remporte le titre, mais Anderlecht empochera le suivant avec Lukaku meilleur buteur du championnat. Neuf ans plus tard, l’attaquant belge est encore en mission pour ramener une Coupe du monde en Belgique. Peut-être une idée de sujet pour le JT d’Anne-Sophie Lapix si les Diables rouges soulèvent le trophée le 15 juillet à Moscou.
Par Florian Lefèvre