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Romain Evain (Football Supporters Europe) : « Le droit européen doit mieux nous protéger de la Superligue »
On la pensait disparue, la Superligue a pourtant fait son retour début mars. Une nouvelle version contre laquelle compte bien lutter Ronan Evain, directeur de Football Supporters Europe. Son association vient d'ailleurs de lancer Win it on the pitch, une Initiative citoyenne européenne (ICE) pour lutter contre cette compétition fermée et la mettre définitivement hors jeu.
Quel est le véritable projet derrière Win it on the pitch ?L’idée est d’offrir une réponse concrète et sur le long terme à la crise de la Superligue. Aujourd’hui, même si effectivement la Juventus, le Real Madrid et le Barça sont isolés, dans les faits rien ne les empêche de relancer un projet similaire dès qu’ils le souhaitent. Le but de notre ICE, c’est d’obtenir une avancée au niveau des textes européens pour limiter les possibilités de lancer des compétitions parallèles à celles qui existent déjà. De manière plus générale, on veut défendre un modèle auquel l’immense majorité des Européens croient, c’est-à-dire le mérite sportif et des compétitions équilibrées dans la mesure du possible. Le tout en limitant la possibilité pour des acteurs, dont l’intérêt principal n’est pas nécessairement le développement au long terme des clubs et l’intérêt sportif, de pouvoir être influents. En fait, c’est une demande de protection de nos clubs, de nos compétitions et, de manière plus générale, de notre culture et des communautés qui vivent autour des clubs de football.
Est-ce vraiment la Superligue qui a motivé ce projet ? Oui parce que l’immense majorité des acteurs du foot européen (l’UEFA, les ligues, les gouvernements nationaux) se sont positionnés en protection du modèle européen l’année dernière. Mais dans les faits, en matière de législation, les choses n’ont pas forcément évolué depuis. La réponse politique apportée ne s’est pas concrétisée de façon tangible dans le droit européen. Aujourd’hui, c’est ce qu’on demande : un vrai changement dans le droit européen pour mieux nous protéger. En tant qu’organisation de supporters, on n’a pas forcément les clefs. Il y a un certain ras-le-bol de devoir vivre avec cette menace de Superligue qui plane au-dessus du football européen depuis 20 ou 30 ans. Et qu’Agnelli, Pérez et les autres prennent bien soin de maintenir.
Pourquoi êtes-vous contre cette Superligue ? Des compétitions qui sont en compétition entre elles, c’est le scénario catastrophe. Le projet Superligue a échoué parce que les clubs en question comptaient continuer à jouer dans leurs compétitions au niveau national tout en jouant dans une compétition privée au niveau européen. Après rien ne les empêche de lancer une compétition privée, mais dans ce cas-là, il faut qu’ils sortent du système pyramidal actuel, il n’y a pas d’entre-deux. Le problème, c’est que ces clubs veulent avoir un pied dans le système et un autre en dehors.
Faut-il pour autant changer le système actuel ? Le problème que l’on a aujourd’hui, c’est que le secteur sportif ne peut pas être traité uniquement d’un point de vue commercial, il faut une exception sportive comme il y a une exception culturelle pour que l’on soit capable de défendre un modèle crucial dans nos sociétés. On veut protéger le modèle actuel basé sur un système pyramidal. N’importe quel club peut, en théorie, se qualifier pour la Ligue des champions, et c’est ce système-là que la Superligue a essayé de faire exploser. On a gagné une bataille, mais ça ne veut pas dire que ce modèle européen n’est pas en danger. Un club de foot qui disparaît, c’est tout un écosystème culturel, des communautés, une identité locale qui disparaissent. On a besoin de se doter d’armes législatives qui permettent de protéger ce modèle qui marche ou du moins qui correspond aux attentes des supporters.
Comment faire justement pour protéger les clubs ? Cela peut passer par des systèmes d’octroi de licences un peu plus poussés que ce qui se fait actuellement. Ce serait plus un droit de regard des ligues et fédérations pour voir qui rachète les clubs. Actuellement, le foot est gouverné par un système libéral qui permet à toute personne qui en a les moyens de racheter un club, on est à la merci d’intérêts qui ne sont pas convergents avec ceux des supporters et de l’ensemble de l’écosystème du foot sur le long terme.
Que penser alors de la dernière réforme de l’UEFA en 2021 qui permettrait à deux clubs de se qualifier via leur coefficient UEFA ? Cela ne va pas dans le bon sens, cette décision entraîne une dissociation entre le résultat sportif sur une année donnée et la qualification pour une compétition européenne qui est la base du fonctionnement du foot. Ce n’est pas un bon signal c’est certain, même si ça reste un résultat obtenu sur cinq ans dans une compétition orchestrée par l’UEFA. C’est un moindre mal en comparaison de la Superligue, mais cette mesure ne va pas dans la bonne direction, c’est sûr.
Concrètement, l’ICE est surtout une manière d’attirer l’attention des instances européennes puisqu’elles ne sont pas tenues d’apporter une véritable solution au problème rapporté…Effectivement, même si l’esprit de l’ICE est d’inciter fortement les instances européennes à se prononcer sur un problème. C’est une façon pour la société civile de pousser les autorités à se saisir d’une question.
Le projet Win in it on the pitch ne concerne-t-il que le milieu du foot ?Non, parce que le droit européen s’applique à l’intégralité du sport. Après, c’est clairement un projet mené par des supporters de football. On a quand même un certain nombre d’exemples au niveau européen, notamment le basket, qui ne sont pas forcément très vendeurs pour la Superligue. On peut aussi parler de la boxe qui multiplie les compétitions, ce qui rend ce sport assez peu accessible de l’extérieur. Il est difficile de comprendre la hiérarchie des compétitions, de savoir qui est inscrit dans quelle compétition. C’est un modèle qui marche mal parce que dans le sport, on a besoin de savoir qui est le meilleur. Et pour cela, il faut que tout le monde soit sur un pied d’égalité. À partir du moment où on a des acteurs différents qui s’engagent dans des compétitions parallèles, ça crée des confusions qui amènent à un désintérêt.
Propos recueillis par Florian Porta