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Romagnoli, le mythe vivant de San Lorenzo
Il est peut-être le vrai dernier 10 d'Argentine : un mec du barrio, fan du club dont il est devenu le capitaine et l'idole, revenu de quatre opérations du genou pour sauver les siens, puis leur offrir le titre tant espéré, la Copa Libertadores. Lui, c'est Leandro « Pipi » Romagnoli.
C’était l’année 2013. Quelques mois plus tôt, une série de miracles avait sauvé San Lorenzo de la relégation. Au Nuevo Gasometro, le stade du Ciclón qui fait face à l’un des plus gros bidonvilles de Buenos Aires, la tension était encore palpable. Le club n’était plus en danger, mais les résultats en dents de scie ne tranquillisaient pas les fans. Sur le banc, Leandro Romagnoli, dit Pipi, opéré pour la troisième fois du genou, n’était qu’un simple spectateur. Que l’équipe gagne ou perde, le scénario était toujours le même : quand Juan Antonio Pizzi, le coach, faisait son troisième changement et qu’il ne s’agissait toujours pas de Romagnoli, le stade devenait fou. « Ponelo al Pipi la puta qué te parió, ponelo al Pipi la puta qué te parió. » Fais entrer Pipi, putain !, en gros. L’idole de la maison avait joué une année avec le genou en vrac pour filer un coup de main au club de sa vie. Il avait été déterminant quand San Lorenzo était au fond du trou, mené 2-0 alors que tout autre résultat qu’une victoire le condamnait à la deuxième division, lui l’un des cinq grands d’Argentine. Quelques éclairs de génie plus tard, ces dribbles, ce débordement et ce centre pour le Puma Gigliotti, à la 89e minute, face à Newell’s, maintenaient le Ciclón en vie. Romagnoli et San Lorenzo sont liés depuis toujours. Ils sont revenus de l’enfer, pour s’installer sur le toit de l’Amérique.
Pipi l’Argentin
Finalement, El Ultimo Diez, le dernier 10, c’est peut-être lui. Romagnoli n’a ni le talent, ni le palmarès, ni la trajectoire de Roman Riquelme. Mais il est l’Argentine. Celle qui joue au moins autant avec le cœur qu’avec le talent. Celle qui en chie, qui se surpasse, qui ne lâche rien, qui triomphe quand on ne l’attend plus. Celle qui est fidèle à un seul maillot, de préférence celui du barrio, pour le meilleur et pour le pire. Pipi est né d’un père fanatique d’Huracán, le grand ennemi de San Lorenzo, dans le quartier de Pompeya, plutôt acquis aux sanlorencistas. Il est entré au club à 6 ans et en est tombé amoureux. « Ma vie est basée sur San Lorenzo. Le club est ma seconde maison. Je vais m’entraîner, je reviens, je vois mes parents et on parle de San Lorenzo, puis la même chose avec mes amis. Quand je m’assois à ma place dans le vestiaire, je me sens comme dans le fauteuil de mon salon. » Romagnoli mesure 1m73 et pèse 58 kilos. C’est un joueur au physique de foot en salle qui s’est fait sa place au milieu des grands, grâce à une belle technique, mais aussi beaucoup de courage. Lancé par Ruggeri à 17 ans, il a rapidement soulevé des titres avec son club formateur : le Clausura 2001, la Copa Mercosur (et la Coupe du monde des moins de 20 ans) la même année, et la Sudamericana en 2002, avec un but d’anthologie en finale contre l’Atlético Nacional. Un but à son image : fait de dribbles, de malice et de résistance.
Liés jusqu’au bout
Entre 2005 et 2009, Pipi est parti voir ailleurs. Au Mexique (Veracruz), et au Portugal (Sporting Portugal). Histoire de glaner quelques coupes supplémentaires. Et alors que le Brésil lui passe coup de fil sur coup de fil pour le rapatrier en Amérique du Sud, lui prend l’avion pour Buenos Aires. Direction Pompeya et le Bajo Flores, quartier d’adoption de son club de toujours. Liés, San Lorenzo et Romagnoli le sont d’abord dans la souffrance, dans les larmes, dans la peur du gouffre. Puis l’un et l’autre sont miraculés. Le Ciclón se maintient contre toute attente, avec l’aide d’un trentenaire que l’on annonçait à la retraite et en fauteuil roulant, à force de se faire opérer les genoux. Réclamé par les tribunes et épargné par les blessures, le capitaine, l’idole, le tatoué, le supporter, trouve une place dans le onze de Pizzi. Pas dans l’axe, en 10, mais sur un côté.
Bien entouré, il crée, se déplace avec une certaine liberté, s’associe, se réinvente. Il course les latéraux, tête baissée, aussi. Bref, il retrouve son meilleur niveau, à 33 ans, et passe la barre des 300 matchs avec le maillot blaugrana. Et quand Romagnoli va, San Lorenzo va. Et vice versa. Un an et demi après avoir frôlé la relégation, le Ciclón est champion d’Argentine. Six mois plus tard, Pipi lève la Copa Libertadores, le titre après lequel le club a couru toute sa vie. Il devient au passage le joueur le plus titré de l’histoire du club. Le week-end dernier, pour le premier Clásico contre Huracán depuis quatre ans, le héros, surmotivé, a marqué, embrassé l’écusson, tapé très fort sur son cœur et obtenu un penalty. Les supporters de San Lorenzo se trompent : ce n’est pas le pape qui veille sur eux, mais le capitaine qu’ils ont enfanté.
Par Léo Ruiz