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Rolando : « J’ai vite été catégorisé comme un colosse du Cap-Vert »
Né au Cap-Vert et épanoui sportivement au Portugal, Rolando s'est fait également une place dans les crânes et les cœurs marseillais. Débarqué en 2015, il est devenu un héros inoubliable, un jeudi 3 mai 2018, lorsqu’il a envoyé l'OM en finale de Ligue Europa. À 36 ans, le souriant international portugais (21 capes) profite de ses vacances chez lui, au Cap-Vert. Mais il n’en a pas fini avec les terrains et espère bien trouver un nouveau défi à relever. En attendant, il a bien voulu discuter Coupe du monde, Mister Rudi Garcia et bouillabaisse.
Aujourd’hui, quand on entend « Rolando » , on a une image qui nous vient tout de suite en tête. Celle de ton but face à Salzbourg…(Rires.) C’est un moment très spécial pour moi. En tant que défenseur, on est plutôt habitué à faire des interceptions ou une bonne passe. Alors marquer un but décisif qualifiant un grand club pour une finale européenne, c’est autre chose. Après ce but, tous les supporters marseillais m’ont apprécié et m’ont vu différemment. C’est un moment qui restera gravé dans ma mémoire.
Avec du recul, quand tu repenses à cette action, qu’est-ce que tu te dis ? Déjà, c’est drôle de se dire que je ne devais même pas jouer ce match qui est devenu le plus important de ma carrière, car j’étais blessé. Mister Rudi m’avait prévenu que je rentrerais peut-être en fin de match pour défendre (l’OM avait gagné le match aller 2-0 au Vélodrome, NDLR), mais je ne pensais même pas que je le pourrais car la douleur, au niveau de mon tendon, était très forte. Quand je suis rentré, Salzbourg menait déjà 2-0. Alors le but, c’était que je défende et que je protège nos buts en attendant qu’un de nos joueurs marque le but de la qualification. Je n’aurais jamais cru que ce serait moi ! Je ne peux même pas dire que j’en avais rêvé car c’était aussi inattendu pour moi que pour les autres, je crois.
Qu’est-ce que ce but a changé dans ta carrière ?Ça a changé la façon des supporters de me voir. Les débuts à Marseille étaient très difficiles pour moi. Avec le temps, ça allait mieux mais après ce but c’était complètement différent. Dans la rue, tout le monde me reconnaissait et me remerciait pour ce but.
Quels sont les principaux souvenirs que tu retiens de cette épopée européenne ?Ce but était clairement le plus beau, mais c’était aussi triste pour moi car ma blessure ne m’a pas laissé jouer la finale qui a suivi. Le quart de finale contre Leipzig au Vélodrome m’a marqué aussi car la ferveur des supporters y était impressionnante (il s’agissait ce soir-là de la meilleure affluence européenne de l’histoire du club, avec 61 882 supporters présents au Vélodrome, NDLR). Et puis il y a ce match retour contre Konyaspor. On marque au dernier moment et sans ça, on ne serait peut-être pas sorti de notre poule. Tout a commencé là.
Il y a aussi eu ce match à Braga…Ce match-là était d’autant plus spécial que le sélectionneur m’y avait observé et qu’après ça, j’avais été rappelé en sélection. J’ai aussi fini par m’engager avec Braga plus tard. Peut-être car j’avais fait un match solide contre eux !
Cette période est aussi un moment fondateur pour l’OM dit « Champions Project » de McCourt…C’était une réussite générale. Avec le rachat de l’OM en 2016, les clés ont été données au Mister Rudi Garcia, qui a construit son propre effectif. Comme il le disait, le plus important dans l’équipe était sa colonne vertébrale qui se composait de Rami, Luiz Gustavo, Payet et Thauvin. Ils avaient l’expérience et la qualité, et étaient épaulés par des jeunes du terroir marseillais comme Maxime (Lopez) ou Bouba (Kamara). C’est très important à Marseille d’avoir des minots dans l’équipe.
En 2011, c’est un trophée que tu as remporté avec Porto. Que vous a-t-il manqué avec l’OM pour faire de même ?Il y avait déjà une différence de statut. En 2011 avec Porto, on était favori contre Braga. Avec l’OM, c’était l’inverse car on affrontait l’Atlético, un géant espagnol. Leur équipe était bien plus forte et nous avions aussi de nombreux blessés dans l’équipe. Après avoir pris le premier but, on savait qu’il serait quasiment impossible de remonter au score. Avec Porto, là encore, c’était le contraire car on avait ouvert le score puis le résultat en était resté là.
Comment expliquer que six mois après cette finale, l’OM soit sorti de son groupe d’Europa League en dernière position avec seulement un point ?C’est très compliqué à expliquer. Quand une équipe arrive à un haut niveau, le niveau de pression augmente en même temps. Mais c’est difficile de gérer le contre-coup d’un grand succès parce qu’après ça, il faut faire comprendre aux joueurs qu’il faut continuer à travailler. On peut croire que les choses vont arriver seules parce qu’on a été performant l’année d’avant, mais ça ne se passe pas comme ça, surtout en compétitions européennes. Il faut être à 100% sur chaque match et je pense que là où on a failli, c’est au niveau mental car l’équipe avait du talent.
Comment était l’ambiance dans le vestiaire cette saison-là, surtout après des matchs comme la défaite contre l’Apollon Limassol ?C’était un moment compliqué au niveau ambiance. Il y avait des frictions dans le groupe, mais elles font partie du football professionnel. Jouer contre une équipe chypriote en étant l’OM, ça doit bien se passer même si on n’est pas à l’abri d’une surprise. Mais là ce n’était pas un résultat acceptable pour un club comme l’OM. À partir de là, les supporters ont perdu confiance en nous. Il faut aussi comprendre pourquoi c’est arrivé. L’équipe avait beaucoup changé, il y avait de nouveaux joueurs talentueux mais collectivement, ça ne marchait pas. Il fallait quelque chose de nouveau.
L’OM, c’est un contexte très particulier, avec des supporters très exigeants. Penses-tu que cela pèse sur les membres de l’équipe ou la direction ?Les supporters marseillais, et la ville dans sa globalité, vivent à travers le club avec beaucoup de passion. Quand tout va bien, c’est quelque chose qui te pousse à faire mieux et à aller chercher de grands résultats. Quand les choses se passent moins bien, c’est le contraire et ça peut devenir très difficile à gérer. Cela peut entraîner des frictions au sein du club, mais cette passion fait partie de Marseille, de son identité. Pour la direction, cette pression peut influencer certains choix quand ça va moins bien. Comme je dis souvent, l’entraîneur n’est qu’une personne, l’équipe ce sont vingt-cinq joueurs. Il est plus facile de remplacer un entraîneur qu’une équipe entière quand ça ne va pas. Ça explique certains choix de la direction ces dernières années.
Certains joueurs comme Kostas Mitroglou ou Valère Germain ont beaucoup été critiqués voire moqués il y a quelques années sur les réseaux sociaux. Comment réagir face à cela ?Pour moi c’est facile, je n’ai pas de réseaux sociaux. Au moins, je ne vois pas tout ça ! (Rires.) Plus sérieusement, aujourd’hui, c’est une donnée importante car les réseaux sociaux font partie de notre métier. Pour moi, ce qui doit être dit aux joueurs doit l’être sur les 90 minutes durant lesquelles ils sont sur le terrain. Ça, il faut l’accepter. Les critiques sur ce qui se passe en dehors, j’ai plus de mal mais ce sont des choses qu’il faut apprendre à prendre en compte tant que cela reste respectueux. Concernant Kostas et Valère, ce sont des joueurs très tranquilles dans leur vie. Je pense que la génération de trentenaires à laquelle nous faisons partie est moins affectée par cela. En revanche, cela affecte bien plus les jeunes qui ont grandi avec les réseaux sociaux, qui en parlent plus dans le vestiaire.
Tu as souvent été catalogué comme un joueur limité techniquement. Comment réagir et répondre à cela ?Je fais 1,90m et je suis assez puissant physiquement donc on m’a vite vu comme ça, alors que quand on voit des défenseurs plus petits, on les voit comme des joueurs techniques. Ce sont des clichés, le football n’est pas comme ça. J’ai confiance en mon jeu, je n’ai pas de problème dans le jeu long, la lecture du jeu ou le fait de jouer des deux pieds. J’ai vite été catégorisé comme un « colosse du Cap-Vert » . Je pense qu’avec le temps, beaucoup de supporters se sont rendu compte que cette image de moi était trop restrictive. Rudi Garcia était un entraîneur qui aimait faire le jeu depuis l’arrière et j’étais indiscutable avec lui, je pense que ça en dit quelque chose.
Pendant quelques années, tu as formé un duo défensif avec Adil Rami. Tu devais bien t’amuser avec lui… Ah au début, pas du tout ! Nos façons de penser ne correspondaient pas, on a eu besoin de temps pour s’entendre. Il a fallu qu’un jour, à la fin d’un entraînement, il s’asseye à côté de moi sur la pelouse et me parle. Ce jour-là, on a beaucoup discuté sur nos façons de vivre et de voir les choses et à partir de là, c’était lancé. On a commencé à se faire confiance et on rigolait beaucoup. Forcément, ça aidait aussi sur le terrain.
Finalement, tu as laissé une très belle image de toi à Marseille, mais toi, quelle image as-tu gardé de Marseille ?J’en garde le meilleur. Il n’y a pas longtemps, j’y suis retourné en vacances. J’aime passer du temps dans ces calanques qui sont vraiment spectaculaires ou sur le Vieux-Port. J’ai beaucoup d’amis à Marseille. C’est une ville spéciale. En tant que joueur, j’y ai eu des moments difficiles mais j’aime leur romantisme du football. La ville est merveilleuse. J’adore Marseille, j’adore l’OM et j’adore les Marseillais.
Et la bouillabaisse ?Ah je suis fan ! Marseille est une ville maritime alors pour moi qui suis né au Cap-Vert, qui suis un homme de la mer, c’est parfait. Forcément, j’ai adoré cette cuisine très inspirée par la mer.
Tu es né à São Vicente, au Cap-Vert. As-tu déjà pensé à représenter les Requins Bleus ou, pour toi qui as grandi au Portugal, c’était plus logique de jouer pour la Seleção ?
Quand j’étais jeune et que je jouais au Belenenses, j’avais un coéquipier qui était dans une situation contraire. Il était né au Portugal mais avait été appelé avec le Cap-Vert. Il m’avait parlé de son expérience là-bas et m’avait proposé de rejoindre la sélection cap-verdienne. Je lui ai dit : « Si on m’appelle, j’irai avec fierté ». À cette époque, je n’avais pas encore le passeport portugais et je n’aurais jamais imaginé pouvoir jouer pour la sélection portugaise. Deux ou trois mois plus tard, j’ai été appelé avec les U21 portugais. J’ai saisi cette opportunité et dès lors, j’ai vu la sélection portugaise comme une possibilité pour moi. Je n’ai été appelé par le Cap-Vert qu’après le début des qualifications pour l’Euro U21, mais c’était trop tard. Représenter mon pays, celui où je suis né, était bien sûr un rêve d’enfant mais après avoir donné ma parole à la fédération portugaise, je ne pouvais plus faire demi-tour.
Comment es-tu arrivé au Portugal ?Ça s’est fait par le biais du président de mon club, au Cap-Vert. Il avait beaucoup de contacts au Portugal et, un jour, il m’a dit qu’un club y était intéressé par mon profil. À l’époque, j’étais bon élève, j’avais le rêve de venir étudier à la faculté au Portugal et mes parents travaillaient à Madrid (Sa mère était employée domestique, son père cuisinier dans un restaurant, NDLR). Venir au Portugal était donc une opportunité parfaite, à la fois pour me rapprocher de mes parents mais aussi pour accomplir mes objectifs scolaires. À 15 ans, je suis venu faire des tests avec Campomaiorense et je ne suis jamais reparti.
Avec la sélection portugaise, tu as connu deux compétitions majeures avec le Mondial 2010 et l’Euro 2012. Qu’est-ce que ça t’a fait ressentir ?Jouer pour un club est un grand bonheur mais jouer pour la sélection à un Mondial ou un Euro, c’est sans équivalent. C’est très spécial car ce ne sont pas juste les supporters d’un club que tu défends, c’est un pays entier. Parfois, j’étais dans ma chambre et je me disais : « Comment ai-je réussi à faire partie de cette liste de vingt-trois joueurs sur un pays de millions d’habitants ? » C’est la plus grande fierté de ma carrière.
En 2012, il y a ce très beau parcours où le Portugal emmène l’Espagne jusqu’aux tirs au but en demi-finale. À ce moment-là, vous pensiez qu’il vous serait possible d’aller au bout en remportant le premier titre du pays ?Clairement. On avait presque la même équipe qu’en 2010. Le collectif était fort et expérimenté. On savait aussi qu’en face, l’Espagne avait la meilleure équipe de son histoire et que ce serait très difficile. Mais on y croyait. On se disait que si on passait contre l’Espagne, on serait favori en finale (contre l’Italie, NDLR). Malheureusement on n’a pas réussi à aller jusque-là et la séance de tirs au but a été en notre défaveur (défaite 0-0, 2-4 t.a.b., NDLR). C’était difficile pour nous mais on est sorti la tête haute, on avait fait un bon travail qui a formé la base de ce qui s’est concrétisé quatre ans plus tard avec le titre de champion d’Europe.
Au Portugal, on parle beaucoup d’André Villas-Boas comme le potentiel successeur et concurrent de Pinto da Costa à la tête du FC Porto, à l’occasion des élections présidentielles de 2024…Tant que Pinto da Costa voudra et sera disponible pour être président, je pense que la question ne se posera pas. S’il est là, c’est lui et personne d’autre. Concernant André Villas-Boas, il a toujours dit qu’il voulait le devenir. Il est portista du plus profond de son cœur et ce serait une excellente option de le voir à la tête du club dans le futur. C’est son objectif, il a une grande expérience dans le football et il connait le club depuis petit.
Tu es libre depuis le 1er juillet dernier. Tu as une idée de ce que tu feras la saison prochaine ?
J’ai toujours la capacité physique pour jouer et je veux continuer à me lever tous les matins pour m’entraîner. J’attends maintenant un projet solide car à ce stade de ma carrière, c’est le plus important. J’ai eu quelques approches auxquelles je réfléchis avec mon agent car je veux pouvoir donner le meilleur de moi-même et de mon expérience à mon prochain club. Avec la reprise prochaine des championnats, les négociations devraient accélérer dans les prochains jours.
Ton pronostic pour le Portugal au Qatar ?Champion du monde ! (Rires.) La sélection est dans sa plus belle forme de l’histoire. Elle a désormais un palmarès après l’Euro 2016 et la Ligue des Nations 2019. Les joueurs portugais évoluent dans les meilleurs clubs du monde, à Manchester City, à Manchester United, au PSG… Il y a un parfait équilibre entre des joueurs expérimentés qui savent comment gagner un match et des jeunes avec un énorme potentiel. La Seleção a les armes pour réaliser une grande Coupe du monde mais c’est une compétition qui réunit les meilleures sélections alors ce sera forcément très difficile. En tout cas, je rêve de ce titre pour le Portugal.
Le geste très fair-play d’un joueur de Porto en plein matchPropos recueillis par Amaury Goncalves