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- Interview Rokhaya Diallo
Rokhaya Diallo : « Les Antillais sont autant français que les Auvergnats »
Les Football Leaks ont pris une autre dimension - plus politique - depuis les révélations sur la stratégie de recrutement du PSG. Profilage racial, ethnique ou d’origine, vocabulaire sans fard, etc. Entre logique de marketing « racialisé » et vieux fond de racisme à la dupont-lajoie, Rokhaya Diallo, journaliste et réalisatrice, y voit surtout le signe que le foot est à l’image de la société qui l’abrite.
Êtes-vous étonnée devant les dernières révélations des Football Leaks ?C’est terrible à dire, mais je suis choquée sans être surprise. Choquée surtout de voir s’étaler de manière aussi décomplexée et à visage découvert ce type de racisme. C’est surtout cette franchise sans honte qui me frappe tout d’abord, rien n’est caché. Penser de la sorte – par exemple qu’être noir c’est différent de français, que de fait seul le blanc l’est authentiquement – reste une chose, le poser tranquillement à l’écrit, de manière quasi officielle, en est une autre.
Le côté très direct des fiches d’évaluation des joueurs, sur leurs origines, ne peut donc certainement pas relever simplement de la maladresse ou de l’inculture ?Bien sûr que non. Il s’agit malheureusement d’une opinion répandue et qui s’affiche de plus en plus publiquement, rappelons-nous l’épisode entre Eric Zemmour et Hapsatou Sy. Comment ne pas qualifier de racisme le fait de distinguer les Africains, les Africains noirs, les Antillais des Français ? Le seul critère qui les sépare alors, s’il fallait en trouver un en suivant cette terrible logique, c’est finalement le fait d’être considéré ou non comme « blanc » . Or, que je sache, dans la République, on peut très bien être d’Afrique du Nord ou « africain » noir et en même temps français. Que dire des Antillais, qui sont autant français que les Auvergnats ou les Niçois, historiquement même avant pour ces derniers. Tout est dit…
Cette polémique surgit au PSG, en outre celui des Qataris, et plus largement dans le football, des entités ou des espaces sociaux que l’on avait du mal à imaginer concernés, du moins aussi franchement…C’est effectivement l’autre source d’étonnement : que ce scandale soit basé à Paris, en région parisienne, en gros le dernier endroit où il devrait être possible d’entendre ces considérations. Preuve que le mal est plus profond et moins caricatural qu’on ne le pense.
Justement, de quel type de racisme peut-il s’agir ? Un besoin « marketing » de donner une image plus « gauloise » au PSG, bref un outil nauséabond de com’, ou sommes-nous toujours confrontés aux vieux schémas discriminatoires déjà éprouvés lors des quotas ?Un peu de tout. Toutefois, j’y perçois déjà et avant tout un authentique racisme classique, essentialiste. Tout comme à l’époque de Willy Sagnol et ses joueurs de type « nordique » . Cette volonté d’essentialiser les « races » et leur compétences dans le foot, les noirs musclés contre les blancs techniques. L’intelligence tactique ayant alors de ce point de vue forcément une couleur et une seule. Nous sommes confrontés toujours et encore aux mêmes préjugés et à un racialisme qui prétend attribuer ad aeternam des qualités spécifiques, non plus liées aux personnes, mais seulement à leurs taux de mélanine.
Le football est finalement loin d’être l’antidote antiraciste tant vanté. On en revient à l’après 1998 ?Sans en arriver jusque-là, depuis dix ans, ces problématiques de « races » , de typologies « d’origine » , de discrimination apparaissent régulièrement, des discussions à la FFF sur les quotas impliquant Laurent Blanc, sélectionneur national, aux affirmations de Willy Sagnol, autre personnalité du monde du foot, les épisodes se succèdent. Il faudra s’interroger à un moment ou un autre : d’où provient le malaise ? Je pense en tout cas que la question des encadrants – de ceux qui sont au-dessus des joueurs –, des recruteurs, des staffs s’avérerait centrale, et fort instructive à étudier. Correspondent-ils à la réalité du foot d’en bas ? En sont-ils issus ? Quelle relation et quelle vision de la France, de sa diversité, se font-ils ? Pour moi, c’est certainement le premier enseignement à tirer de la séquence que nous vivons en ce moment du côté du PSG.
La victoire des Bleus lors de la dernière Coupe du monde paraissait avoir pourtant en quelque sorte purgé le ballon rond de ses démons. Ils étaient à la fois emblématiques de la diversité et très rassembleurs quant à leur fierté affichée d’être tricolore…Ce fut un très beau moment. Il ne faut pas le renier pour autant, surtout du point de vue de ce qu’a partagé l’ensemble de la population. Cependant il faut rappeler qu’à cette occasion, de petites tonalités dissonantes ont entaché la mélodie du bonheur. Par exemple, dans un contexte où la question « raciale » se tend et les langues se délient, les débats sur le droit ou non des joueurs à revendiquer leurs origines, africaines en particulier, sont devenus un marqueur singulièrement pertinent du débat politique. Il ne s’agit évidemment pas de s’exprimer à la place de chacun, qui reste libre de se définir comme il le souhaite. Je souligne juste qu’il est tout à fait possible de se sentir africain et français en même temps, que cela n’enlève rien à son attachement à la France. Mais le foot est dans la société, il ne peut échapper aux tensions qui l’habitent et la secouent.
Propos recueillis par Nicolas Kssis-Martov
Crédit : Facebook Rokhaya Diallo