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Rojas : « À Grenoble, je me sentais aimé comme Maradona ! »
À l’heure où le monde pleure la perte de Diego Maradona, Grenoble accueille le Paris FC ce samedi (15h) pour un choc au sommet de la Ligue 2. L’occasion de prendre des nouvelles de Sergio Rojas, avant-centre du GF38 entre 2002 et 2005 et légende du club aux yeux des plus fervents supporters grenoblois. Entretien avec l’idole argentino-iséroise.
Bonjour Sergio ! On vient de perdre Diego. Quelle importance a-t-il eu dans ta vie ? (Il réfléchit.) C’est assez difficile de bien m’en rendre compte, car Diego est avant tout présent dans la mémoire de chaque Argentin. Ici, il y a trois jours de deuil national, et le pays ne parle que de cela actuellement. Quand tu voyais ces centaines de milliers de personnes qui défilaient devant son cercueil pour lui rendre hommage… Toute cette gloire que Diego a pu avoir au cours de sa vie, c’est quelque chose d’unique. Je ne suis personne pour le juger en tant que personne, mais je sais que Diego impressionne quand tu dois parler de football. Même quand vient le débat de le comparer avec Messi, il n’y a pas de comparaison possible : Diego est le plus grand.
Tu étais un enfant issu du Chaco, au sud du Paraguay. Quel était ton club de cœur ?Boca Juniors, à fond. Ici, la transmission d’appartenance à un club se fait du père vers le fils. Certains peuvent se rebeller, mais la plupart du temps les codes sont clairs. Le premier cadeau d’enfance que j’ai reçu, c’était un maillot de Boca. Tu imagines bien que Diego avait une place toute spéciale… Mais aujourd’hui, on se rend compte que Maradona est de toutes les couleurs en Argentine, car il unit les passionnés du football. Boca, River, Rosario Central, Independiente, Racing… Tous ces clubs du pays pleurent Maradona.
Tu avais eu l’occasion de voir jouer Maradona en vrai ? Jamais, seulement à la TV. J’habitais loin de la capitale et j’avais un objectif à suivre pour devenir footballeur professionnel. Quand j’y pense maintenant, c’est un regret, mais je suis tout de même lié à Diego par les émotions qu’il a procurées à travers la TV ou la radio.
Tu avais 13 ans en 1986 lors de l’épopée victorieuse de l’Argentine en Coupe du monde. De quoi est-ce que tu te souviens ? C’était une époque formidable. Je sortais après les victoires de l’Argentine sur les potreros (terrains vagues pour jouer au football, N.D.L.R), on s’amusait à commenter les buts de Diego comme on les entendait à la radio ou sur la télévision : « Diego dribble, Diego court vers le but, Diego frappe, Diego… GOOOOOLLLL ! » Il y a encore vingt ans, tu avais encore ces petits terrains partout en Argentine, c’était un vecteur social énorme. Aujourd’hui avec l’apparition de la technologie, ces choses-là n’existent presque plus. Malgré tout, nous nous identifions tous à Diego. À titre personnel, j’avais déjà la mentalité offensive et j’aimais cette sensation qu’il dégageait d’être toujours dangereux balle au pied. Quand Maradona fait quelque chose, la société argentine suit le mouvement. Il y a une forme de similitude avec la figure du Che, même s’il ne faisait pas non plus l’unanimité en Argentine. Pour Diego, c’était une grande inspiration et c’est pour cela qu’il s’est fait tatouer le Che sur son épaule. Quand tu voyais les soucis extrasportifs de Maradona, est-ce que cela te faisait mal ? Cela faisait mal d’apprendre ces nouvelles difficiles sur son état de santé. Je ne crois pas qu’un Argentin reste insensible à cela, car son image était une représentation mondiale de notre pays. Évidemment, j’étais touché.
Aujourd’hui, comment tu sens l’atmosphère en Argentine avec ce décès ? Les gens sont tristes, et j’imagine que cela va durer encore quelques semaines. Mais en vérité, la société argentine va passer à autre chose quand viendront les nouvelles sur l’évolution de la pandémie et l’économie. Les gens vont se remettre à vivre, même si l’âme de Diego va rester présente pendant de longs moments encore. Par exemple, les matchs de championnat argentin vont peut-être avoir une minute de silence en son honneur pendant toute la saison.
À quoi ressemblaient les murs de la chambre de Sergio Rojas ?Jusque très tard dans ma vie de célibataire, j’avais des posters de Gabriel Batistuta sur les murs. Sa manière d’être sur le terrain, mais aussi en dehors, c’était un tout. J’admirais sa faim de but, il vivait pour cela. Ensuite, j’ai dû évoluer, car je me suis marié en Belgique et je n’avais plus le droit d’en mettre ! (Rires.) Maintenant, ces choses-là sont passées au grenier.
Est-ce que tu avais des rêves de jouer pour la sélection un jour et suivre les pas de Maradona ? (Rires.) J’étais conscient que si j’arrivais à devenir footballeur professionnel, c’était déjà une bonne nouvelle ! Arriver à un tel niveau de performance comme Maradona, c’est inimaginable. Je donnais le meilleur de moi-même sur le terrain à chaque fois, mais j’étais aussi conscient de mon réel niveau. Quand je suis arrivé à Charleroi, j’avais 25 ans. C’était un âge avancé, j’étais déjà un homme mature. Je m’imaginais jouer un an en Europe, mais finalement, j’en ai fait six !
Comment est-ce que tu décrirais ton passage au GF38 ? C’était merveilleux. Max (Marty, directeur sportif du GF38, N.D.L.R) et Alain Michel (entraîneur du GF38 entre 2001 et 2004, N.D.L.R) m’avaient invité à un match du club pour me convaincre de signer. Ce jour-là, j’ai eu un coup de foudre : j’ai pris l’avion depuis Charleroi jusqu’à Lyon, puis le train jusqu’à Grenoble. Je me souviens encore de la découverte des premiers paysages avec ces montagnes et les sommets enneigés, qu’est-ce que c’était beau ! Avec ma femme, mes enfants et certains amis comme Daniel Arenas, nous avons passé trois années fantastiques. À ma propre échelle, je me sentais aimé comme Maradona à Naples ! (Rires.) Dans mes plus beaux souvenirs, il y a ce ciseau retourné contre l’AS Saint-Étienne. J’adorais effectuer ce geste, et je crois que les supporters aimaient aussi quand je le tentais.
Lors de ton passage à Grenoble, tu avais tissé un rapport avec les ultras du GF38 qui était devenu fusionnel. Désormais, comment vis-tu ce football en période de pandémie ? Je me mets à la place du footballeur. Comment est-ce que tu peux vibrer pour du football sans public pour te soutenir ? C’est une vraie question parce que de mon côté, le public me donnait une réelle force pour dépasser mes limites et me concentrer au maximum. Les supporters étaient là pour me soutenir dans les bons comme les mauvais moments. Aujourd’hui, cela doit être très difficile à vivre.
Ce samedi, Grenoble accueille le Paris FC pour un choc au sommet de la Ligue 2. Est-ce que tu continues à observer ce championnat ? Malheureusement, les matchs de Ligue 2 en Argentine ne sont pas visibles à la télévision. C’est pour cela que j’aimerais connaître un jour le stade des Alpes, je n’ai jamais pu le voir de mes propres yeux. En revanche, je regarde les résultats sur internet chaque samedi soir et j’observe le nom des buteurs et le classement général. C’est pour cela que je sais que le match de ce week-end est très important pour le classement général, même s’il y a encore un match en retard à jouer.
Ça te plairait de revenir travailler en France à l’avenir ? À vrai dire, j’étais en discussion avec Max pour exercer dans le recrutement en collaboration avec le club. J’ai une relation très spéciale avec lui, il m’a toujours bien traité et nous avons gardé des contacts réguliers après mon départ. Hélas, la pandémie est venue perturber notre quotidien à tous, et ce dossier est resté en suspens. Mais j’espère beaucoup que cela va se concrétiser, c’est un réel objectif d’amener une touche argentine au club. Revenir en France et travailler pour Grenoble, ce serait magnifique.
Propos recueillis par Antoine Donnarieix