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« Roja » : mais à qui appartient vraiment ce surnom ?
Ce soir en finale de la Copa América, l'Albiceleste de Lionel Messi affrontera la Roja chilienne d'Alexis Sánchez. Au-delà de la plus prestigieuse des compétitions sud-américaines, c'est une autre bataille que pourrait remporter le Chili à domicile, la bataille du nom.
Le triomphe de la sélection espagnole avec deux Euros et une Coupe du monde raflés en à peine quatre ans a permis à Iker Casillas et à ses coéquipiers d’ancrer leur surnom dans l’histoire. Désormais, le nom de Roja se rapporte systématiquement à l’équipe victorieuse de Luis Aragonés et Vicente del Bosque. Pourtant, depuis plusieurs années, une équipe conteste la légitimité du surnom de la sélection espagnole. Il s’agit de la Roja chilienne, celle qui dispute ce samedi soir la finale de la Copa América, à Santiago.
Aux origines historiques
Jusqu’au début des années 1940, la sélection nationale chilienne opère plusieurs changements de couleurs. C’est officiellement à partir du 10 janvier 1942, à l’occasion du derby sud-américain contre l’Uruguay à Montevideo, qu’elle revêtit définitivement le maillot rouge. La sélection chilienne adopte dès lors le surnom de Roja de todos par tradition. Une tradition sud-américaine qui veut que la sélection soit appelée par la couleur de son maillot, à l’instar de la Bolivie (la Verde) ou l’Uruguay (la Celeste). « De todos » – de tous – traduit l’idée d’une sélection qui se veut populaire, d’une équipe qui appartient à tout le peuple chilien. Ce surnom a légèrement évolué depuis la Coupe du monde 1998. Supporters et journalistes chiliens donnent en effet à leur équipe le surnom de Marea Roja : la marée rouge.
En Amérique latine, l’Espagne est connue depuis longtemps comme étant la Furia Roja, bien avant que le surnom ne se démocratise en Europe, voire même en Espagne. Ce premier surnom est né à Anvers, aux Jeux olympiques d’été de 1920, après que l’équipe de foot espagnole (médaille d’argent) a montré des qualités plutôt rugueuses lors de la compétition. L’adjectif est une nouvelle fois associé à la sélection ibérique à l’occasion de la Coupe du monde 1934. Les matchs sont alors très physiques et le point d’orgue de cette violence sur le terrain est atteint à l’occasion du quart de finale opposant l’Espagne à l’Italie. Un journaliste italien parlera alors de « Furie rouge. » Néanmoins, ce n’est qu’à la fin de la guerre civile (1939) que la couleur initiale du maillot espagnol, le bleu, devient la couleur de l’équipe réserve pour laisser place au rouge qu’on lui connaît encore aujourd’hui. En 1947, en pleine dictature franquiste, le général Jose Moscardó, président du Comité olympique espagnol de l’époque, impose à l’équipe nationale d’adopter définitivement le maillot rouge censé rappeler et mettre en valeur l’idéologie communiste. L’équipe ne s’appellera pas la Roja pour autant, il faudra attendre une dizaine d’années supplémentaires avant de voir le surnom de Roja définitivement adopté pour désigner l’équipe ibérique.
L’héritage Aragonés
En juillet 2004, Luis Aragonés prend les rênes d’une sélection espagnole en manque de réussite. Après avoir été éliminé face au Portugal en phase de poules de l’Euro, Aragonés exprime son souhait de donner à cette équipe d’Espagne un nom, une identité. Ce sera La Roja. « Je veux que cette équipe ait un nom, une identité. Comme le Brésil est laCanarinhaou l’Argentine l’Albiceleste, j’aimerais que l’Espagne soit laRoja. » Le Chili voit rouge. Luis Aragonés a piqué les Chiliens dans leur orgueil patriotique.
La suite, on la connaît. C’est l’histoire d’une montée en puissance. Aragonés, l’artisan de cette nouvelle Roja, rassemble les foules devant les matchs de l’équipe nationale, le système de jeu de l’Espagne change. Fini la furia, place à l’organisation. Passage en 4-3-3, le FC Barcelone devient le modèle à imiter. Le sélectionneur madrilène fixe le jeu de passes de l’équipe et chasse les démons de la sélection espagnole. La Roja d’Aragonés se veut conquérante et terriblement compétitrice. Le « Sage d’Hortaleza » remportera un Championnat d’Europe en 2008 et instaurera un système de jeu qui permettra à cette équipe de régner sur le monde… jusqu’en juin 2014.
Le cataclysme brésilien
Mercredi 18 juin 2014, Coupe du monde brésilienne. Dans l’antre du Maracanã, le Chili va retrouver l’Espagne qu’il n’a jusqu’à présent jamais battue. L’Espagne n’a plus le choix après avoir été humiliée contre les Pays-Bas (1-5), elle doit se relever et gagner si elle veut poursuivre son parcours dans la compétition. Le Chili, fort d’un Arturo Vidal et d’un Alexis Sánchez en grande forme, est lui bien engagé dans la compétition avec une première victoire probante face à l’Australie (3-1). À la veille du match, on annonce déjà que la lutte que se livreront les deux équipes sur le terrain ce soir-là permettra à l’une des deux formations de conserver définitivement le surnom de Roja. Les Chiliens, qui ont vu ces dernières années le surnom de leur équipe nationale leur échapper, en font une question d’honneur. Une vidéo, diffusée à la télévision chilienne, donne la réplique à Aragonés et pousse les Chiliens à revendiquer le nom de leur équipe nationale.
« Parce que l’histoire nous a donné un nom et parce que nous devons nous rappeler que notre sélection est laRoja. Ce nom nous a suivis lors de compétitions mondiales, il a permis à cette équipe du Chili de gagner le respect de ses supporters. Il y a quelques années, une sélection visiblement dépourvue d’identité s’est appropriée notre nom : notre couleur ! Chiliens, il est arrivé le temps de récupérer ce que que l’histoire nous a donné. Défiez ensemble l’Espagne. Que nos onze guerriers jouent plus que pour se qualifier, nous exigeons que le vainqueur de cette rencontre soit le seul digne d’utiliser le nom deRoja. L’Espagne et le monde entier savent que laRojaest notre nom. » C’est dit.
Les Espagnols jouent en rouge et les Chiliens en blanc. Pas de signe du destin. L’Espagne s’incline ce soir-là (0-2) et est éliminée de la compétition. Les supporters chiliens, pleins de ferveur, envahissent alors les réseaux sociaux de « Adios España, Chile es la Roja. » Une victoire symbolique pour le peuple chilien, comme le prouve cet épisode advenu le 23 juin dernier. En pleine Copa América, une jeune fille handicapée rencontre son idole, Alexis Sánchez, alors à l’entraînement avec la sélection nationale. Lorsqu’elle demande à l’attaquant de la Roja s’il veut bien l’épouser, le joueur de 26 ans lui répond oui et s’empresse de raconter la petite histoire sur Twitter. Aux médias nationaux chiliens de commenter alors : « C’est ça, laRoja de Todos, la sélection de tous. Une sélection qui ne fait qu’un avec ses supporters. » Victoire du Chili par K.O. ?
Me pidió matrimonio y acepté ☺️💍…. Muchas gracias por la visita , que lindo es poder ver una carita feliz …. pic.twitter.com/dot1dDFO3z
— Alexis Sánchez (@Alexis_Sánchez) 23 Juin 2015
Par Sara Menai