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Roissy-en-Brie, victime collatérale de l’affaire Pogba
Il y a encore quelques mois, on présentait le quartier de la Renardière, où a grandi la fratrie Pogba, comme la belle cité qui a vu éclore un champion du monde. Mais depuis août dernier et les « grandes révélations » de Mathias Pogba, la triste affaire qui monopolise l’actualité a forcément terni la réputation de la commune de Roissy-en-Brie, en Seine-et-Marne. Mais alors, comment les Roisséens ont accueilli cette sinistre histoire ? Reportage.
« Ici, Paul, ça restera toujours quelqu’un. Et toute sa famille même. Ce ne sont pas non plus les patrons du quartier, mais sans eux, personne n’aurait parlé de la Renardière. » Dans le hall d’immeuble du bâtiment 12 de la cité de Roissy-en-Brie, Djamel*, 22 ans, assure suivre de loin le feuilleton aussi triste que sordide autour de la famille du champion du monde 2018, lancé par l’un de ses frères, Mathias, dans une vidéo annonçant des « grandes révélations » fin août dernier. Pas qu’il n’a pas le temps ni les moyens de le faire, mais plutôt pour garder simplement en tête « l’éclosion d’un banlieusard dans le football ».
Face à lui, son pote d’enfance Steve*, du même âge, porte un tout autre discours. « Oui, c’est bien ce qu’ils ont fait, bravo à eux, atteste le jeune habitant du quartier assis sur sa chaise de camping, avec le maillot de Manchester United floqué Pogba sur les épaules. Mais aujourd’hui, il y a des trucs qui ont changé. Pendant quelques années, nous les jeunes du tieks, on était les petits d’une « cité d’or ». Grâce à Pogba. À cause de cette histoire, il ne reste plus que la cité. Il n’y a plus d’or. » Entre l’omerta et un léger ras-le-bol, cette affaire divise dans le quartier qui a vu grandir la famille Pogba.
« Personne ne leur jettera des pierres »
À mesure que Djamel conte ses petits souvenirs de la famille Pogba, il décide de laisser sa chaise de côté pour offrir la visite de ce quartier. À quelques pas de la station du RER E, il s’engouffre ainsi entre les quatorze tours de la Renardière et s’amuse à pointer du doigt le bâtiment qui a vu grandir l’actuel pensionnaire de la Juventus. « Plus loin, il y a le city-stade Adidas de Paul, et par-là, la grande fresque, aussi inaugurée en son honneur. »
Le city stade Paul Pogba à Roissy-en-Brie. #MUFC pic.twitter.com/VAQj9WKblG
— Manchester United (@MUnitedFR) June 9, 2021
Le sourire au bord des lèvres, le jeune Roisséen prend vite plaisir à interpeller les plus anciens du quartier, sillonnant un autre bâtiment, pour leur demander leur avis. Tout de suite, « Papy » , comme on le surnomme, fronce les sourcils : « Franchement, ça fait mal au cœur, ces conneries. Nous, les plus anciens, on est obligé de voir qu’une famille est en train de se déchirer et ça nous casse les couilles. Qu’il soit à la Coupe du monde ou pas, c’est devenu le cadet de mes soucis. » « Il dit ça, mais quand il va marquer en finale, il va nous sortir des« J’étais là depuis le début » » , embraye en rigolant Djamel*. Au moment de parler plus en détails de cette affaire, les plus jeunes s’éclipsent de la discussion, et « Papy » reprend. « Vous voyez ? Les jeunes s’en branlent de cette histoire, ils gardent Pogba comme fierté, et le reste ne les intéresse pas, lance-t-il, une canette de 8.6 à main. Sauf que tous les médias mettent un peu tout ça sur notre dos, et ils ne s’en rendent pas compte. Ça tache l’image du quartier et de ses habitants, et forcément ça nous fait chier. »
Même son de cloche au comptoir de L’Auberge, à une dizaine de minutes à pied de La Renardière. Si au début, un des habitués du bar taquine en assurant bien vouloir « un des treize millions d’euros », faisant allusion à la somme qu’auraient réclamée les hommes armés lors d’une tentative d’extorsion sur Paul Pogba, les rires laissent vite place à une énorme déception. « Si demain, la famille Pogba devait se repointer ici, personne ne leur jettera des pierres, c’est sûr. Mais je ne dirai pas à mon gosse d’aller l’applaudir. Qu’il joue avec sur FIFA, c’est déjà bien. » Remontée, la patronne pense aussi aux jeunes. « Avec tout cet argent, toutes ses conneries, il ferait bien d’en donner aux adolescents en galère, clame-t-elle en pointant du doigt les immeubles du quartier. Depuis le stade l’été 2021, il n’est jamais revenu ici, ni Paul Pogba, ni sa famille. Et aujourd’hui, il y a des journalistes qui viennent nous demander ce qu’on en pense ? Et bah on s’en fout ! » Dans L’Auberge, tous s’accordent à dire qu’ils étaient heureux d’avoir « donné de la force » à une famille inspirante, mais que désormais, « plus ils sont loin, mieux c’est », en conclut la gérante.
Toujours la star des plus jeunes
Un peu plus loin justement, les enfants ont déjà pris possession du city-stade à peine sortis de l’école. Les cartables bordent le synthétique bleu, couleur choisie par l’enseigne à trois bandes pour évidemment faire un clin d’œil au parcours doré de l’équipe de France en Russie, et les maillots de la Juventus ne manquent pas à l’appel. Et pendant que les jeunes s’organisent à faire les deux équipes avant de taper le ballon, Issa, 13 ans, prend son courage à deux mains et évoque l’affaire. « Nous, on s’en fout un peu. On adore venir jouer ici, et je passe une dédicace à Pogba pour lui dire merci d’avoir construit la cage », lâche-t-il avec un grand sourire avant de faire un petit dab. Plein de naïveté et de bonté, un de ses copains ajoute : « On ne sait pas si c’est méchant ou gentil ce qu’il a fait par rapport à son frère, mais tant qu’il va bien, c’est le principal. » Après l’omerta et la stupéfaction des plus anciens, cette vision sert tout de même de rappel à tout le monde : oui, la famille de Pogba sera toujours chez elle à Roissy.
Par Matthieu Darbas, à Roissy-en-Brie
Tous propos recueillis par MD.
* Les prénoms ont été changés.