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Rohff : « Les Comores ne réclament pas de la pitié, juste de jouer d’égal à égal »
Lundi dernier, Rohff était à Yaoundé pour assister aux huitièmes de finale de CAN opposant ses Comores au Cameroun. Un voyage dont l'ancien membre de la Mafia K'1 Fry se souviendra longtemps. Entre amertume et fierté, le MC raconte.
Tu étais invité au huitième de finale opposant le Cameroun aux Comores ou tu t’es rendu de ton propre chef à Yaoundé ? J’y suis allé de moi-même. Je suis arrivé le matin du match. Après, quand la fédération comorienne a été mise au courant, elle s’est bien sûr préparée à me recevoir. Dès 2013, je me déplaçais pour voir leurs matchs amicaux, j’ai toujours été derrière l’équipe, je les ai même sponsorisés avec ma marque.
Comment était l’ambiance à Yaoundé ?La ville était surchargée de voitures, ce qui m’a fait arriver en retard au stade. J’étais dans une voiture avec des officiels de la délégation comorienne, et malgré leurs contacts et l’escorte, on s’est retrouvé dans les bouchons. Au bout d’un moment, j’ai arrêté un motoman pour qu’il m’amène au stade. On a fait du contre-sens pendant 30 minutes, c’était « Yaoundé Express », mais j’ai quand même raté la première mi-temps. Je n’ai pas pu assister à l’hymne national, ce qui me tenait à cœur.
Tu as quand même pu suivre un bout de la première période dans la voiture ?Oui, on avait la radio dans la voiture, et je voyais les écrans dans les snacks, tellement on n’avançait pas vite. Quand j’ai entendu qu’un de nos joueurs avait été expulsé dès la 7e minute, je suis devenu auch, j’en pouvais plus. Attends, c’est pas possible ! Douze joueurs covidés, un joueur de champ dans les buts et maintenant un carton rouge d’entrée ! Alors qu’il n’y avait pas danger de but ! C’est un carton jaune, ça. Le Camerounais a repris le jeu, il n’était pas blessé. OK, il y a faute, mais on est à la 7e minute ! On est déjà désavantagés, et vous nous rajoutez ça ? On ne demande pas de la pitié, juste un peu de fair-play.
Tu as très vite senti que ce match sentait le traquenard ?Je n’ai pas de preuves, donc je ne vais accuser personne. Mais je pense qu’on est en droit de se poser des questions et d’être suspicieux.
Suspicieux contre qui ?Je ne sais pas, justement. En tout cas, j’ai assisté à un appel téléphonique entre un responsable de l’équipe nationale et quelqu’un de la CAF. Le responsable de l’équipe nationale réclamait juste un document attestant du changement de règlement concernant la durée de confinement des joueurs touchés par la Covid. Ali Ahamada, notre gardien, a quand même eu interdiction de jouer alors qu’il a été testé négatif. Les joueurs m’ont aussi dit qu’avant d’être testés, certains avaient été pris en photo. Ils ne comprenaient pas pourquoi, ils ont même protesté. Et c’est justement ceux qui ont été photographiés qui ont été testés positifs. C’est quand même suspect. Je n’accuse personne, mais je trouve que tout est bizarre dans cette histoire.
Les joueurs savent par qui ils ont été pris en photo ?Je ne sais pas.
Malgré tout, tu es fier de la manière dont l’équipe comorienne s’est comportée durant cette CAN ?Très fier. Parce que j’ai suivi son histoire depuis le début. Cette équipe s’est construite dans la difficulté, elle a fait face à des obstacles financiers et logistiques qu’on est à mille lieues de s’imaginer. Les voir participer à la CAN aujourd’hui ne peut que rendre fier. Surtout que l’histoire retiendra qu’ils ont vraiment mérité d’y être. Ils ont écrit l’histoire sur le drapeau comorien avec le bout de leur crampons. Le monde entier a été touché par cette équipe. Elle a perdu à 10 contre 11 ! Après le match, je n’ai pas senti Yaoundé en feu. Les gens n’étaient pas ultra heureux d’avoir gagné. Les Camerounais étaient très humbles. Parmi ceux que j’ai croisés, beaucoup m’ont dit que les Comoriens avaient du mérite. Même Samuel Eto’o me l’a dit, quand je l’ai croisé à l’aéroport.
Qu’est-ce que tu as dit à Samuel Eto’o après le match ?Simplement que tout cela n’avait pas été très fair-play. Il m’a répondu qu’on avait du mérite. On n’a pas eu le temps de discuter longtemps, on avait des avions à prendre. Encore une fois, on ne réclamait pas de la pitié. Juste jouer d’égal à égal. On n’est pas des mauvais perdants. Le gardien camerounais a fait un super arrêt sur la frappe d’El Fardou (Ben Nabouhane), il n’y a pas de problème ! Mais à armes égales, cela aurait été un match totalement différent. C’est sûr.
Après la rencontre, tu t’es rendu dans le vestiaire des Comores. Comment était l’ambiance ?J’ai commencé par faire un petit discours, et… Ce que j’aime beaucoup chez ces joueurs, c’est qu’ils ne sont pas venus juste pour participer. El Fardou m’a confié que leur ambition était de gagner la CAN : ça, ça m’a plu ! Ils voulaient créer la surprise. Je ne sais pas s’ils y seraient parvenus dans des conditions normales, mais à défaut de toucher la lune, montons dans les étoiles. Ce n’est que partie remise. Pour la CAN 2023, ils m’ont dit qu’ils étaient chauds. Je leur ai dit que s’ils y vont aussi enthousiastes, on sera derrière eux. Le peuple comorien est fier d’eux, ce qu’ils ont fait est historique, maintenant ils sont plus que chauds.
C’est donc une sélection qui a de l’avenir, selon toi ?Oui. Quand je vois tous les jeunes sur le banc, c’est super. Le groupe s’entend super bien et on invite tous les jeunes joueurs d’origine comorienne qui étaient un peu hésitants à l’idée de rejoindre la sélection à le faire. Tous ceux qui ont du talent sont les bienvenus ! J’encourage tout ce qui touche aux Comores. Je viens de là-bas, je ne suis arrivé en France qu’à 7 ans. Ce n’est qu’un petit bout de terre, mais aujourd’hui il y a Rohff, Soprano, Alonzo… Il faut que l’équipe nationale ait la même faim que nous. Car la faim justifie les Comoriens.
Propos recueillis par Mathias Edwards