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Rocé : « Dans le foot comme le rap, on s’en fout de qui tu es »
Depuis plus de 10 ans, Rocé ne cesse de donner des coups de fouet au rap français. Il était donc plus que temps qu'il s'en prenne au foot. À l'heure où sort Gunz'n Rocé, quatrième album à la fois brut et sincère, le MC parisien nous parle de l'Algérie, d'argent, du PSG et de DJ Mehdi. Ou comment avoir un avis tranché sur le foot sans en être un fana.
On supporte forcément le PSG lorsqu’on est élevé en région parisienne ?Non, pas du tout. Je pense qu’on peut supporter autant Paris que Marseille. Par contre, je pense qu’il y a surtout beaucoup de supporters de pays africains en région parisienne. Moi, par exemple, je ne suis pas spécialement fan du PSG. D’ailleurs, si je devais choisir une équipe, ce serait l’Algérie.
À quel âge as-tu commencé à suivre le foot sérieusement ?Pour tout dire, je n’ai jamais suivi le foot très sérieusement. Je suis surtout les gros matchs avec mes potes. On se réunit tous dans une même pièce et ça donne une chouette ambiance.
Et, du coup, quels sont tes meilleurs souvenirs de footeux ? Au stade ? Dehors, avec tes potes ?Je me souviens surtout d’un soir où je donnais un concert à Alger, c’était le soir où les deux équipes de la ville s’affrontaient. Autant te dire que tout le monde se foutait de mon concert (rires). Jusqu’au lendemain matin, il n’y a pas eu une seule seconde de silence. On entendait que des klaxons et des cris. Je n’avais jamais vu ça de ma vie.
En Angleterre, on évoque souvent le rapport étroit entre la pop et le football. Penses-tu qu’en France ce soit le rap qui entretient cette relation ?Oui, ça ne fait aucun doute. Il y a une proximité claire entre joueurs et rappeurs. D’ailleurs, beaucoup de joueurs avouent écouter du rap. Après tout, ils sont souvent issus de la même génération et de la même classe sociale. Sans citer d’exemple, je pense qu’en France, les artistes pop n’oseraient pas revendiquer leur appartenance à un club. Ils n’auraient pas ce courage. Pour en revenir au rap, je pense qu’il y un rapport intéressant avec le foot, mais également avec le sport en général. Dans les deux cas, c’est de la performance. On s’en fout de qui tu es, d’où tu viens ou de ta couleur, l’important c’est ce que tu vas faire. Je pense que c’est ça qui fait que le rap donne tant d’espoir au sein d’une société soumise au piston et au réseau. Principalement en France où on a une vieille culture artistique qui contamine tout le reste.
Sur ton premier album, tu rappais : « Les groupies, j’y suis paré, faut que je reste pareil et c’est carré. » Tu penses que les rappeurs et les footballeurs subissent de la même façon l’effet « groupie » ?
Je pense que, dans tous les cas, nous sommes dans une société de la starification. Autrement dit, si quelqu’un passe devant une caméra pour quelque chose de positif, il y a tout un mécanisme qui se met en place, et les gens y adhérent. C’est sans doute plus gros et plus flagrant dans le foot, tout simplement parce qu’il y a plus d’argent et de médiatisation que dans le rap. Tout dépend de la taille de l’industrie dans laquelle tu évolues, en somme.
Penses-tu que l’argent soit corrupteur dans le football ?Je pense, oui ! Mais il l’est partout ! Le problème, ce n’est pas l’argent avec un grand A, mais le rapport avec les gens qui en découle. Dans les arts, par exemple, que ce soit la musique, le cinéma ou autres, il y a tout un système de réseau. En gros, c’est : « Est-ce que tu pèses ou pas ? » Dans le foot, je pense que c’est pareil, même si certaines choses se font beaucoup plus au mérite, de manière plus concrète et moins subjective. On en revient d’ailleurs à ce que je disais tout à l’heure sur le rapport entre le foot et le rap. Le côté performance est également très important dans le sport. Je pense que c’est ça qui le sauve, même si l’argent vient tout chambouler. Si le mec est bon, dans tous les cas, il fera une bonne carrière et on ne pourra pas remettre ça en cause.
Ton rap est plein de valeurs. Comment considères-tu l’arrivée des milliardaires à la tête des clubs européens ?J’ai l’impression que tout ça, c’est historique. Dans la Grèce antique, déjà, les spectacles dans les arènes étaient organisés par l’État pour divertir le peuple. Et je pense qu’aujourd’hui, les propriétaires des clubs font un peu la même chose. De toute manière, je ne vois pas comment il pourrait en être autrement.
Comment présenter ce nouvel album ? Sur quelle impulsion l’as-tu mis en chantier ?J’ai fait cet album uniquement pour le plaisir de rapper, sans prétention de délivrer un message. De toute façon, je le fais dans tous les cas, c’est devenu mon identité. Mais là, je ne voulais pas avoir à me justifier, juste être plus léger. En gros, réussir à faire bouger la tête des gens sur de bonnes rimes.
Tes textes révèlent une opposition au bling-bling du rap actuel. Pour quelles raisons ?Je pense que ce sont plus des postures. Régulièrement, on me définit comme un rappeur à l’ancienne, conscient. Pourtant, je ne me suis jamais ressenti comme engagé, social ou autre. Je ne fais pas attention à ça en écrivant, et c’est tant mieux. Après, c’est sûr que j’aime écrire sur des thèmes sérieux, mais ça reste de la musique. Ce n’est pas moi qui ai eu envie d’être dans une bulle, ça s’est fait comme ça.
Parles-nous un peu de Magic, une chanson dédiée à DJ Mehdi.
Tout est parti d’une idée de Manu Key qui est actuellement sur un projet d’album hommage à DJ Mehdi. C’est grâce à Manu que j’ai rencontré pour la première fois Mehdi. Quand il m’a proposé ça, j’étais déjà sur l’écriture de mon nouvel album et sur un morceau similaire. Du coup, ce morceau qui porte le même nom que le projet de Manu Key sera présent sur les deux albums.
As-tu un regard sur la jeune génération du rap ? Tu en penses quoi ?J’aime la dynamique. Beaucoup de choses se font et on peut y trouver beaucoup de petites perles innovantes. Il faut les chercher, mais elles sont là. Bien sûr, le rap actuel est différent de celui qu’on a connu à nos débuts, mais il a ses propres richesses et son propre amateurisme. Dans le rap, il n’y a pas de transmission, les jeunes d’aujourd’hui sont aussi amateurs que nous à nos débuts. Ça pourrait être une tare, mais je pense que c’est une chance. Cela évite toute notion de conservatisme.
Tu es originaire d’Algérie. Un pays qui était engagé dans la Coupe d’Afrique des nations. Tu as suivi son parcours ?Ouais, bien sûr. Mais en toute honnêteté, je l’ai suivi de loin. Tout simplement parce que c’est ma manière de suivre le foot. Je trouve qu’il y a beaucoup de très bons joueurs en Algérie, mais l’important dans le foot ce n’est pas d’avoir 11 bons joueurs, uniquement d’avoir des joueurs qui se complètent. C’est le problème de l’Algérie.
Propos recueillis par Maxime Delcourt
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