- Coupe du Roi
- 8es
- Ceuta (D3)-FC Barcelone
Robin Lafarge : « Le Barça a loué 6 ou 7 hélicoptères pour venir à Ceuta »
Ancien pensionnaire du centre de formation de Montpellier, Robin Lafarge (30 ans) s'est forgé une réputation de solide défenseur de troisième division espagnole en vadrouillant depuis ses 20 ans. Ce jeudi, avec son club enclavé de Ceuta, lanterne rouge de D3 espagnole, le natif de Toulon se mesurera à Robert Lewandowski et au grand FC Barcelone (20h).
Tu jouais la saison dernière en D3 américaine, au Valley United FC (Phoenix, Arizona). Ce jeudi, tu vas affronter le Barça en Coupe du Roi. Ça fait un sacré changement, non ?Si on me l’avait dit au début de la saison, je ne l’aurais peut-être pas cru. On va se retrouver face à des joueurs qu’on a l’habitude de ne voir qu’à la télé. C’est un rêve pour tout footballeur de pouvoir se mesurer à de tels joueurs et de tels clubs. C’est en direct à la télé en France en plus, donc pour moi, ça a une saveur particulière parce que j’ai tous mes amis et ma famille qui vont regarder. Ma mère va venir au stade, mon père regardera à la maison à Toulon et mon grand-père de 99 ans va pouvoir me voir jouer depuis son EHPAD. En entrant sur le terrain, je ne vais penser qu’à ça et je vais essayer de le rendre le plus fier possible.
Ceuta est le dernier club de D3 espagnole ou d’un niveau inférieur à être encore en Coupe du Roi. C’est quoi votre formule secrète ?Il n’y a pas de formule secrète, mais il faut croire en soi à chaque match. On a sorti une D2 puis une D1, en faisant de bons matchs à chaque fois. On ne s’est pas contentés d’attendre derrière pour contrer, on a vraiment bien joué. La personnalité et l’intensité ont été les clés du succès. Il faut se dire qu’en face, ce sont des humains comme nous, donc on a nos chances.
On se rappelle Intercity, autre club de D3, qui a failli éliminer le Barça au tour précédent (en 16es, 3-4 score final après prolongation) et qui avait fait forte impression. Ça t’a surpris ? En D3 espagnole, ce ne sont que des joueurs professionnels avec des infrastructures professionnelles, il n’y a pas tant d’écart que ça. On reste des joueurs de foot, on est quasiment tous passés par des centres de formation, on a quasiment tous tutoyé le haut niveau, donc on n’a pas à rougir face à eux.
Votre coach a dit en conférence de presse : « Xavi a dit qu’il avait eu de la chance avec le tirage, on trouve que nous aussi. » Ça a été quoi votre réaction quand vous avez tiré le Barça ? On était tous heureux parce que dans ce genre de tirages, on espère tous tirer le Barça ou le Real. Ça va être une fête pour le club, pour nos supporters et ça va nous donner beaucoup de visibilité. Xavi a dit qu’ils avaient eu de la chance au tirage, mais on va essayer de le faire mentir. Je ne sais pas si c’est de la maladresse ou de l’arrogance, mais c’est le Barça, ils peuvent venir confiants s’ils veulent. Une fois que le coup d’envoi sera donné, on ne va leur faire aucun cadeau et on va lui faire manger son chapeau.
Sur une échelle de 1 à 10, tu estimes à combien votre chance d’éliminer le Barça ?Cinq. On a 50% de chances de passer. On a vu un nombre incalculable d’exploits, ça arrive tout le temps en Coupe de France… Un peu moins en Coupe d’Espagne, mais on démarre à 0-0. Le format de la Copa est différent de celui de la Coupe de France parce qu’ils font en sorte que les petits prennent obligatoirement des gros. Ils pensent éliminer les petits au fur et à mesure et ne se retrouver qu’avec des grosses affiches à partir des quarts voire des huitièmes. Arriver en huitièmes de finale en Espagne, ça a plus de valeur que de le faire en France, où tu peux te retrouver en huitièmes ou en quarts sans avoir affronté d’équipes de Ligue 1 ou de Ligue 2. Nous, on n’est pas censés être là et on espère être encore là en quarts.
Vous avez regardé un peu de vidéos du Barça ?Pas encore, mais des matchs du Barça, on en a tous mangé depuis des années, donc on sait à quoi s’attendre. On sait qu’il n’y aura pas de longs ballons, on a bien vu contre le Real Madrid en Supercoupe, c’est du super football. Je ne sais pas si le Barça va essayer de nous analyser, mais tous nos matchs sont télévisés, donc s’ils veulent le faire, ils peuvent. Je pense qu’ils sont surtout sûrs de leurs forces et qu’ils vont arriver focalisés sur leurs performances à eux en se disant que s’ils font les choses bien, ils n’auront aucun souci. Bon, nous, on va quand même préparer deux ou trois plans pour les contrer au maximum.
On doit s’attendre à quel style de jeu de Ceuta face au Barça ?En championnat, on est totalement dans ce que fait le Barça. En toute humilité évidemment, on essaie de s’en rapprocher le plus possible. On essaie de ressortir les ballons proprement de derrière, tout jouer au sol, même s’il y a des variantes en fonction des moments et des matchs. Mais notre mentalité est la même que celle du Barça : jouer, ressortir des ballons, prendre du plaisir et en donner aux supporters. Le coach montre parfois des actions que le Barça fait le week-end et nous dit : « Regardez, nous aussi on peut les intégrer dans notre tactique. » Cette dimension-là rend le match encore plus attrayant parce qu’on va affronter notre modèle de jeu.
En championnat en revanche, c’est un peu moins la fête. Après 19 journées, vous comptez seulement 8 points, vous en avez 14 de retard sur le premier non-relégable et vous avez déjà encaissé 36 buts…Ceuta est monté de deux divisions en deux ans et dans beaucoup d’aspects, le club a grandi très vite et a beaucoup de retard sur certains clubs de notre division. Le souci qu’on a eu aussi, c’est qu’on est presque tous nouveaux, et la mayonnaise a mis du temps à prendre. Comme ce n’est pas vraiment sur le territoire espagnol, mais dans une enclave au Maroc, ça rend le quotidien plus compliqué pour l’adaptation, on ne peut pas rentrer voir la famille tout le temps, on est un peu isolés. On a pris du retard en début de championnat, on a eu du mal à vraiment démarrer, mais depuis la reprise, on est vraiment mieux, on joue bien, on prend des points. On est dans notre meilleur moment. (Ceuta vient de faire 2-2 contre la réserve du Real Madrid de Théo Zidane, NDLR.)
Comment on joue en D3 nationale quand on est une enclave ? On a des contraintes qui ressemblent à celles des clubs de Corse. Nous, c’est forcément 1h ou 1h30 de bateau pour sortir du territoire africain et rejoindre l’Espagne, puis depuis Algésiras, soit on continue en bus, soit on prend l’avion. Ça fait de longs déplacements, on part souvent deux ou trois jours et ce n’est pas toujours idéal pour les joueurs. On a vite envie de rentrer voir notre famille. Et c’est peut-être des petits détails qui font que l’adaptation est plus compliquée.
Vos adversaires font comment pour venir ? Ils prennent obligatoirement le bateau aussi ?Ça dépend des moyens du club en face, il y a à peu près autant de façons de venir que d’adversaires. Par exemple ce week-end, la réserve du Real Madrid est venue en avion jusqu’à Tétouan (au Maroc) qui est à trente minutes de Ceuta. Ils ont dormi à l’hôtel là-bas, et ils sont venus jouer chez nous le lendemain. Dans notre poule en D3, il y a des clubs comme le Deportivo La Corogne et Córdoba, qui sont des clubs mythiques qui ont joué la Coupe d’Europe et qui préfèrent la voie aérienne. Ils ne sont pas du genre à prendre le bateau. Moi, je n’ai pas le mal de mer, mais si j’avais un petit jet privé, ça ne me dérangerait vraiment pas. (Rires.)
Et tu sais comment vient le Barça ?Si j’ai bien compris, ils viennent en hélicoptère de Malaga. Ils ont loué six ou sept hélicoptères et ils arrivent tous en hélicoptères jusqu’à Ceuta. Je pense que le Barça n’avait pas envie de risquer le mal de mer. C’est la première fois que je vois des adversaires venir en hélico, et pour être honnête, je n’avais même pas pensé à cette option. Ils sont tellement habitués à ce confort que je ne sais même pas s’ils se rendent compte que venir ici en hélicoptère, c’est vraiment un truc de fou. Aucun club ne fait ça. Ce qui les aurait choqués, c’est de venir en bateau au milieu des gens. Le Barça qui fait la queue au port d’Algésiras, ça aurait été problématique. Ils sont dans leur monde, on est dans le nôtre, et c’est ce qui rend ce match intéressant parce que pendant 90 minutes, on est égaux sur le terrain. Et on va essayer de leur montrer qu’on n’a pas à rougir d’être là.
Comment as-tu atterri à Ceuta ?J’ai connu le directeur sportif de Ceuta dans un club où j’étais avant, à Xerez, et c’est une des personnes qui m’avaient appelé et fait confiance dans un moment compliqué de ma carrière alors que je sortais de blessure. Il m’avait tendu la main, et je lui avais promis de lui rendre la pareille. Quand il a pris Ceuta, ils sont montés, et même si j’avais d’autres propositions, je lui avais donné ma parole que je venais avec lui.
Si on regarde ta carrière, on voit que tu restes rarement plus de deux ans dans un même club. T’as la bougeotte ?Ce n’est pas le même monde du foot que l’élite. Quand tu arrives dans un club comme le PSG, tu peux te projeter et te dire « je signe 5 ou 6 ans » . En Espagne, je joue en troisième division, je me suis fait un petit nom modestement dans ce championnat et je préfère signer des contrats courts au cas où il y ait des propositions intéressantes pour moi. À part les phénomènes comme Mbappé, c’est très compliqué de pouvoir dire : « Je vais vivre du foot. » Déjà parce qu’il y a énormément de personnes qui ont le même projet que toi, énormément de concurrence, il faut beaucoup de chance. Je connais beaucoup de joueurs qui étaient meilleurs que moi qui ne jouent même plus au foot aujourd’hui, et inversement des joueurs qui étaient moins bons que moi et qui jouent plus haut. Il y a une question d’opportunités. Dans mon humble carrière, j’ai eu beaucoup de chance, j’ai joué dans des pays agréables, que ça soit l’Espagne, Chypre ou les États-Unis.
Comment t’es-tu retrouvé à Getafe en quittant le centre de formation de Montpellier ?Je suis parti de Montpellier alors que j’étais avec le groupe professionnel quand ils ont été champions de France, avec Giroud, Cabella, Belhanda… Vu qu’ils sont champions de France, la saison suivante, c’est Ligue des champions, et le directeur du centre de formation me convoque et me dit que dans une saison normale, ils m’auraient sûrement gardé avec un contrat pro en équipe première. Mais pour la C1, il fallait qu’ils recrutent des joueurs expérimentés. J’ai eu une opportunité en Espagne : on me propose un essai à l’Atlético de Madrid, mon meilleur ami qui jouait à Nantes à l’époque lui a un essai à Getafe, on fait le chemin ensemble jusqu’à Madrid. Le sien était deux jours avant, on se pointe à Getafe et l’agent me dit : « Si tu veux, pour rester en jambes, tu fais l’essai avec lui. » Et finalement, c’est moi qui suis pris et je reste à Getafe tout seul.
Je pensais que je parlais bien espagnol en arrivant parce que j’avais eu une bonne note au bac, je m’étais dit que ça serait facile. Et arrivé ici je ne comprenais rien, mais j’ai appris en me forçant à faire mes courses en espagnol, aller au cinema alors que j’y comprenais rien…
Depuis tu as joué dans onze clubs, entre D1 chypriote, D3 américaine ou D3 espagnole. Quel bilan tires-tu de ces expériences ?Le foot m’a ouvert l’esprit en général. Avec tous les voyages que j’ai faits grâce au foot, je suis allé quasiment partout en Espagne. En plus, on est toujours super bien reçus, dans les meilleurs endroits. J’ai cette chance, et il faut en être conscient, on peut toujours avoir des regrets parce qu’on a tous tutoyé le très haut niveau et on se dit qu’avec un peu plus de chance, j’aurais pu jouer en première division. Mais avec un peu moins de chance, j’aurais pu devenir livreur. Le vrai foot c’est nous, parce que c’est vraiment dur, il y en a qui arrêtent, d’autres qui n’en peuvent plus, certains font même des dépressions. On te respecte moins quand tu joues à notre niveau. Quand tu t’appelles Mbappé ou Neymar on te respecte, on te cire les pompes, t’es rarement embêté. Nous, joueurs de D3, on doit s’imposer, faire attention parce qu’il y a pas mal d’agents qui tournent autour juste pour faire un peu d’argent sur ton dos. C’est le football où c’est un métier difficile, où on n’est pas loin de rejoindre la « vraie vie » si ça se passe mal.
Si on regarde tes dernières publications Instagram, on voit que tu passes tes vacances à Dubaï, comme les stars du ballon rond. Ça paie bien d’être joueur de D3 espagnole ? Tu auras mis suffisamment de côté pour « l’après » ?Par rapport à une personne lambda, ça paie bien. Il n’y a pas vraiment de fourchette : pour quelqu’un qui arrive et qui n’a pas encore fait ses preuves, ça peut commencer à 1500 euros net par mois, mais ça peut monter à du 150 ou 250 000 à l’année. Il n’y a pas de limites, c’est en fonction des capacités financières de chaque club. Parfois, il y a de gros écarts de salaires au sein même d’une équipe. Suivant ta carrière, ton parcours et ta popularité en Espagne, ça paie bien.
J’ai la chance d’avoir une famille et des parents qui m’ont éduqué à ces questions financières dès le plus jeune âge, donc je n’ai pas fait n’importe quoi avec mes sous. En tant qu’amoureux du foot, j’aimerais travailler dans le monde du foot ensuite. Pas entraîneur parce que quand tu es joueur, tu te rends compte que c’est vraiment compliqué. Plutôt dans la direction sportive ou comme agent de joueurs. Je vois tellement de gens travailler mal dans le monde du foot que je me dis qu’en faisant les choses bien, ça pourrait vraiment marcher. J’ai eu la chance de pas mal bouger, je parle plusieurs langues donc…
Propos recueillis par Anna Carreau