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Roberto Palacios : « Les joueurs du Pérou comprennent peu à peu que la fête, l’alcool et les soirées ne mènent nulle part »
Recordman de sélections avec le Pérou, Roberto Palacios, international entre 1993 et 2012, a échoué à qualifier son pays pour un Mondial à cinq reprises. Manque d'ambition, malchance, crash d'avion, indiscipline, oubli du travail de formation, El Chorri revient sur les raisons de ces années noires du football péruvien. Et donne quelques conseils aux 23 heureux élus.
Chorri, qu’est-ce que tu fais actuellement ? J’ai commencé à faire mes premiers pas d’entraîneur, au Club Miguel Grau de Abancay, qui dispute la Copa Peru (championnat d’accession aux première et deuxième divisions, N.D.L.R.). Je travaille aussi avec les jeunes du Sporting Cristal. J’attends une possibilité de coacher au plus haut niveau, au Pérou, en Colombie, en Équateur ou ailleurs.
Tu étais au stade le jour de la qualification contre la Nouvelle-Zélande ?Bien sûr ! C’était magnifique, à la fin du match les supporters ont commencé à scander mon nom. C’était une belle reconnaissance. Je suis descendu saluer les joueurs, j’ai pris Farfán dans mes bras. Il y avait beaucoup d’émotion, de bonheur. J’ai joué avec une partie des gars, je leur avais donné quelques conseils. J’étais content pour eux, mais aussi pour tout le Pérou, qui attendait cette qualification depuis tant d’années.
Il représente quoi ce Mondial pour le Pérou ?Tu n’imagines pas la fièvre qui s’est emparée du pays. Voir sa sélection en Coupe du monde était l’un des plus grands désirs des Péruviens. Moi, quand je jouais, je voulais leur offrir ça, mais je n’ai pas pu.
Quand tu as commencé en sélection, en 1993, vous jouiez dans des stades à moitié vides et vous vous battiez pour ne pas terminer derniers des éliminatoires AmSud. C’était plus un problème de talent ou de mentalité ?
De mentalité, je crois. Il fallait être plus ambitieux, ne pas se contenter de ce que l’on faisait. Les choses se sont améliorées sur ce plan-là, même s’il reste encore du chemin à faire. En allant jouer massivement à l’étranger (seuls 4 des 23 Péruviens sélectionnés pour le Mondial évoluent dans le championnat local, N.D.L.R.), les joueurs ont commencé à penser différemment. Partir t’aide à devenir plus professionnel, à valoriser le travail que tu as fait. Tu ne peux pas te reposer sur tes lauriers, parce que derrière toi, il y a plein de gamins qui veulent ta place. Tu gagnes plus d’argent aussi, donc tu sais que tu vas finir ta carrière l’esprit tranquille, sans besoin d’aller taper à plusieurs portes pour trouver un travail. Tout ça te pousse à être plus discipliné, à faire attention à toi et à ton physique. Les joueurs actuels du Pérou comprennent peu à peu que la fête, l’alcool et les soirées ne mènent nulle part.
L’indiscipline, c’est le mal du Pérou de ces dernières années ?Il faut comprendre qu’il y a des moments pour tout. Sortir avec ses amis, avec la famille, aller à une soirée. Ce sont des choses normales, parce qu’on est des êtres humains. Mais tu ne peux pas le faire la veille d’un match. Malheureusement, ces quinze dernières années, les joueurs de la sélection ne l’ont pas toujours respecté.
Ton ami Farfán, par exemple, a déjà été suspendu deux fois pour ce genre de comportement.Oui, mais je préfère ne plus en parler. Aujourd’hui, on est dans un bon moment. Je crois qu’il a compris ses erreurs, et Dieu est tellement grand qu’il lui offre aujourd’hui une participation à une Coupe du monde. À lui, comme à d’autres qui ont aussi eu des problèmes du même type en sélection.
Ernesto Miguel Moreno, un historien du sport péruvien, expliquait qu’après les Mondiaux de 1978 et 1982, le Pérou avait raté l’entrée dans la modernité du football : les infrastructures, la formation des jeunes, etc. Tu es d’accord avec ça ?
Avant, il n’y avait pas vraiment de travail de formation au Pérou. Tu allais à un tournoi inter-scolaire ou de quartier, et ça regorgeait de talent. Après le Brésil, le Pérou était un pays où les joueurs talentueux apparaissaient tout le temps. Si tu voulais un bon joueur, tu le trouvais : Teofilo Cubillas, César Cueto, Guillermo La Rosa, Juan Carlos Oblitas… Après toute cette génération, on a continué de la même façon. Sans travailler avec les jeunes, sans encadrement spécifique pour éviter qu’ils sortent de la route ou pour qu’ils améliorent leur rendement. En 1986, on est passé tout près de se qualifier. Le Pérou avait encore une belle génération de joueurs, mais la mort des Aliancistas (crash de l’avion qui transportait l’équipe de l’Alianza Lima, le 8 décembre 1987, N.D.L.R.) fut un coup très dur pour notre football. Treize joueurs de la sélection sont morts ce jour-là. À partir de là, les années noires ont commencé. On a seulement ressuscité lors des éliminatoires de 1998.
C’est le moment le plus triste de ta carrière ? Tu rates ce Mondial en France à la différence de buts avec le Chili.Imagine comment on se sentait ! On finit cinquièmes, comme la sélection actuelle qui va en Russie, mais à cette époque il n’y avait pas de barrages. On était un bon groupe, mais les dirigeants de la Fédération n’ont pas su poursuivre ce processus. Ils ont viré Oblitas, le sélectionneur, ils ont écarté Juan Reynoso, qui était un joueur important. Et tout est retombé. Cette belle campagne a quand même servi à quelque chose : les supporters ont recommencé à s’enthousiasmer pour leur sélection, à aimer ce maillot. Lors des éliminatoires suivants, on a mal fini à chaque fois, mais les stades étaient pleins et les supporters nous encourageaient.
Depuis les années 2010, il y a une nouvelle dynamique, avec deux troisièmes places consécutives en Copa América (2011 et 2015), et donc cette première qualification pour une Coupe du monde depuis 36 ans. C’est le fruit du travail de l’Uruguayen Markarian (2010-2013) et de l’Argentin Gareca ?Ils ont un peu changé la façon de penser, mais comme je disais, ils se sont surtout basés sur des joueurs aux profils de plus en plus internationaux. À mon avis, la principale différence est là (15 des 23 sélectionnés pour la Copa América 2011 jouaient au Pérou, N.D.L.R.).
Et les bonnes nouvelles s’enchaînent, avec le retour à temps de Guerrero, le capitaine, dans le groupe.Il est d’autant plus important qu’il n’y avait pas vraiment de joueur du même profil pour le remplacer. Lui, Farfán, le Mudo Rodríguez, ce sont les joueurs expérimentés qui soutiennent l’équipe. Après, il y a d’autres joueurs encore jeunes, mais déjà bien installés, comme Yotún et Advíncula. Et tous ces jeunes avec l’avenir devant eux. J’aime beaucoup le petit Wilder Cartagena, par exemple. Un bon Mondial pourrait permettre à plusieurs d’entre eux de rejoindre de meilleurs clubs et de continuer leur progression.
Quels conseils leur as-tu donnés avant de partir ?
Qu’ils profitent de ce moment si beau que Dieu leur a donné, et qu’ils jouent sans pression. On n’a pas vraiment d’objectifs pour ce Mondial, l’important était de se qualifier. Ce que l’on attend d’eux, désormais, c’est une digne représentation, qu’ils donnent une bonne image du Pérou. On verra après le premier match ce qu’on peut espérer de plus. Dans ce groupe, la France est clairement supérieure, mais les joueurs péruviens doivent être contents d’affronter un adversaire de cette magnitude. Moi, je n’aurais pas peur. Au contraire, je serais plus motivé que jamais pour montrer mes qualités face à une puissance mondiale de la sorte. Honnêtement, je les envie. J’aimerais être à leur place et disputer ce match.
Propos recueillis par Léo Ruiz