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Robert Waseige, une histoire belge
À 79 ans, Robert Waseige s’est éteint ce mercredi d’une insuffisance cardiaque chez lui, à Liège. Surnommé le Mage, pour sa capacité à sublimer ses équipes, il incarnait le football belge à l’ancienne. Et laisse derrière lui un héritage colossal, à commencer par un match resté dans l’histoire du Plat Pays : le huitième de finale disputé lors du Mondial 2002 face au Brésil.
« Moi, ce qui m’ennuie le plus, c’est d’être parfois critiqué par des incompétents. Je ne vais pas dire des idiots, mais nous sommes des professionnels souvent critiqués par des amateurs qui ne connaissent pas le foot de l’intérieur. Et ça, c’est un peu frustrant, mais on a tort de se vexer et de réagir négativement. Parce que c’est sans espoir pour les joueurs et les entraîneurs : les médias sont là et ils seront encore là longtemps quand nous, on aura terminé notre carrière. » Cette diatribe, Robert Waseige l’a prononcée en l’an 2000, dans un reportage diffusé par la RTBF peu avant l’Euro belgo-néerlandais. On y découvre, brut de décoffrage, un sexagénaire plein de verve et de gouaille, doté d’un accent liégeois à couper au couteau. Ce qui, au sein d’une institution comme l’Union belge, historiquement noyautée par des Flamands, apporte un petit vent de fraîcheur.
Dans le même reportage, Robert Waseige se présente comme un homme pointilleux, exigeant, sans pour autant être dénué d’humour. On devine sa capacité à dialoguer avec les journalistes, même ceux du nord du pays, et ce, malgré un niveau de néerlandais plutôt bancal. Qu’importe, la mission qui l’attend ne saurait se targuer de prendre part aux tensions communautaires qui déchirent la classe politique belge. Les Diables rouges sortent d’une ère catastrophique sous Georges Leekens et c’est à un « Mage » que les dirigeants de l’Union belge ont choisi de faire confiance pour remettre le navire à flot.
Un homme qui tombe à pic
Cela tombe bien, puisque tirer une équipe vers le haut, Robert Waseige s’en est fait une spécialité. Après une carrière de joueur moyen, le natif de Sainte-Walburge s’embarque en 1971 aux commandes de Winterslag, dans la province voisine du Limbourg. Sous sa houlette, l’équipe connue aujourd’hui sous le nom de KRC Genk passe de la D3 à l’élite. Fort de ce succès, ce fils d’un supporter du FC Liège passe alors sur le banc du rival, au Standard, qu’il amènera trois ans de suite à la troisième place et donc en Coupe d’Europe. Mais c’est bien chez le voisin de Rocourt que Waseige connaît ses plus belles heures : en neuf saisons, il porte les Sang et Marine au sommet du football belge, avec en guise de point d’orgue, la coupe nationale remportée en 1990 (le seul titre de sa carrière) et à laquelle succèdent quelques affiches européennes de premier choix, face à la Juventus ou au Benfica notamment.
Ce n’est donc pas un perdreau de l’année qui succède à Georges Leekens à la tête des Diables, lesquels sortent d’un Mondial 1998 catastrophique (élimination au premier tour, après trois matchs nuls et trois buts marqués). En revanche, Waseige doit préparer cet Euro à domicile avec un noyau bien éloigné de la génération dorée actuelle. À l’époque, son effectif joue majoritairement en Belgique, à quelques exceptions près, et le niveau se fait vite ressentir, puisque les Diables ne passent à nouveau pas les poules. Pas de quoi décourager le sélectionneur qui parvient à envoyer ses joueurs au Mondial asiatique deux ans plus tard, après être une fois de plus passé par la case des barrages.
« Mais qui va nous battre ? » Le Brésil.
Et cette fois-ci, malgré un premier tour compliqué (une victoire, deux nuls et six buts marqués), les Belges arrachent la deuxième place du groupe H et affrontent le Brésil en huitièmes de finale. « Qu’est-ce qu’on avait à perdre contre eux ? Le Brésil, c’était encore LE Brésil, à l’époque » , soulignait Waseige il y a quelques années dans les colonnes de So Foot. Et malgré la différence de niveau, le Liégeois encourage ses joueurs à jouer crânement leur chance, convaincu que leur réussite offensive en phase de poules n’est pas le fruit du hasard. « Pendant les quinze premières minutes, on a encore eu cette admiration pour « Le grand Brésil. » Puis progressivement mes joueurs ont commencé à vraiment bien jouer, ils ont même bien existé offensivement, étonnement. »
La suite, on la connaît, elle fait d’ailleurs encore figure de trauma dans les annales du ballon rond au Plat Pays : Marc Wilmots se voit injustement refuser l’ouverture du score à la 34e minute après que l’arbitre jamaïcain Peter Prendergast a sifflé une poussette sur Roque Júnior dans la surface. Écroulés, les Diables ne se relèveront pas et s’inclinent finalement 2-0 face au futur vainqueur du tournoi. De quoi donner un sentiment mitigé à Robert Waseige : « Je n’étais pas déçu, j’étais blessé… C’est un peu le sentiment du chômeur qui se place à l’arrivée du Tour de France pour recevoir les petits cadeaux et qui se fait bousculer au moment où il s’apprête à en réceptionner un ! »
Une phrase qui résume bien ce personnage amateur de cigares et de NBA, habitué à travailler en parallèle de son métier, tour à tour employé d’une concession automobile, agent d’assurances ou représentant en articles de sport. Aimé par les supporters, respecté par ses joueurs, Robert Waseige représentait un petit morceau de cette Belgique de papa, à la coule, sans fioriture, presque folklorique. Une Belgique où les Diables rouges étaient encore présents, mais sans faire peur à personne. Une Belgique à des années-lumière de son niveau actuel. Ce 26 août de 2019, il aurait soufflé sa 80e bougie. Il en aura finalement soufflé plus de 40 sur un banc de touche. Avec sa mort, c’est un grand nom du football d’outre-Quiévrain qui s’est envolé.
Par Julien Duez