Robert, parle-nous un peu de cet avant Coupe du monde 98. Car il ne faut pas oublier que vous étiez quand même très critiqués, à l’époque.
Oui, c’est vrai que l’équipe de France était critiquée pour sa façon de jouer, son système de jeu. Après, c’est surtout Aimé Jacquet qui était remis en cause, il était notamment la cible des journalistes. Nous, d’ailleurs, on ne comprenait pas qu’on se fasse critiquer avant même le début de la compétition. Autant, à la fin, quand tu fais le bilan d’un truc, ok, mais là on n’avait même pas commencé. Donc bon, voilà, ça ne te met pas en confiance.
Comment est-ce que vous avez réagi, vous, les joueurs ? Vous avez décidé de faire abstraction de tout ça ?
Pas vraiment faire abstraction, non, car quoi qu’il arrive, t’as toujours des gens qui t’en parlent. Le truc, c’est de faire le dos rond et d’essayer de préparer la compétition du mieux possible. Et nous, là-dessus, on avait fait les choses comme il fallait, que ce soit le stage à Tignes ou le tournoi au Maroc. Le reste, après, on allait bien voir sur le terrain…
Est-ce que tu te rappelles du moment où la liste est faite ? Tu es dans quel état d’esprit à ce moment-là ? Sûr d’être pris ? Dans le doute ?
Houla, non, pas sûr du tout. Tu sais, dans un groupe, tu as ceux qui sont sûrs d’y être, et après tu as ceux qui se battent, qui luttent pour intégrer le groupe. Et moi, clairement, je faisais partie de cette catégorie-là. Mais je le savais, il n’y avait aucun souci. J’avais bien conscience que ça allait être compliqué pour moi d’être dans ce groupe. Après, quand t’es pris, bah t’es heureux, forcément, et puis t’es fier de voir que ce que t’as fait sur le terrain n’est pas passé inaperçu. Pour un joueur, c’est la plus belle récompense d’aller en équipe de France.
Quand tu abordes cette Coupe du monde, tu n’es absolument pas dans la peau d’un titulaire, du coup. Comment on prépare une telle compétition en sachant que l’on va être remplaçant ?
De toute façon, ma situation, elle était claire depuis le début avec Aimé Jacquet. Il n’y avait aucun souci là-dessus. Après, il faut se tenir prêt tout le temps. Si le coach a besoin de toi, il faut que tu sois prêt de suite, il n’y a pas de temps à perdre. C’est pas facile d’être remplaçant, ça c’est clair, mais si t’es conditionné à faire l’effort, il n’y a pas de problème. Et c’est peut-être pour ça que lorsque je rentrais sur le terrain, ça se passait plutôt bien, car justement je faisais tous les efforts nécessaires pour être à 100% lorsque le coach faisait appel à moi.
Pour le plaisir de tous, tu peux nous parler de la fameuse scène du « Muscle ton jeu, Robert ! » ?
(rires) C’est vrai que ça reste une scène forte. Après, même encore aujourd’hui, t’as des gens qui me demandent si finalement j’ai réussi à muscler mon jeu, tu vois (rires). Mais j’avoue que c’est une scène marrante, hein. De toute façon, tous ceux qui ont vu Les yeux dans les Bleus se souviennent de ce passage, donc je pense que ça va encore me poursuivre longtemps. Mais attention, tu sais que lorsqu’il me le dit, je ne fais pas le fier, hein. Aimé ne rigole pas du tout, en plus il me pointe du doigt, c’est un message assez fort.
D’ailleurs, quand on regarde Les yeux dans les Bleus, on sent qu’il y a une bonne ambiance, on sent un groupe soudé. Est-ce que c’est ça qui a fait votre force ?
Oui, il y avait une bonne ambiance qui s’est créée petit à petit. Après, je ne vais pas te mentir, quand tu gagnes, c’est plus facile d’avoir une bonne ambiance. Est-ce que c’est cette cohésion de groupe qui nous a permis d’aller si loin ? Honnêtement, je pense que oui, et puis mélangé à tout ça, il y avait beaucoup de qualités techniques. Donc quand tu as un groupe comme ça, et surtout quand il est orchestré par un mec comme Jacquet qui connaît parfaitement le football, bah voilà ça fonctionne. Rappelle-toi dans Les yeux dans les Bleus justement, qu’est-ce qu’il dit Jacquet le matin de la finale ? Il dit : « Le Brésil sur coups de pied arrêtés et notamment sur les corners, ils sont vulnérables. » Et qu’est-ce qu’il se passe ? Bah, on leur en met deux sur corners, donc tu vois. C’est vraiment un mec pointilleux, qui connaît parfaitement son métier, et puis surtout il ne rigolait pas. Quand il fallait déconner après une victoire ou un truc comme ça, il était là, pas de soucis. Mais la veille d’un match et le jour même, je peux te dire que tu ne plaisantais pas.
En parlant de ça, tu te souviens d’un discours fort de sa part, pendant la compétition ? On pense notamment à la mi-temps contre la Croatie où il vous met une gueulante assez forte, quand même.
Ah bah tu m’étonnes, je m’en souviens très bien. C’est vrai que le ton est monté un peu plus haut que d’habitude et il avait raison. On était à la mi-temps de cette demi-finale et on était en train de tout gâcher. Mais derrière, t’as le miracle qui arrive avec Thuram qui plante deux buts. Et à ce moment-là, tu te dis que rien ne peut t’arriver quand Lilian te met un doublé en demi-finale de Coupe du monde (rires).
On va quand même parler un peu de cette finale. Dans quel état d’esprit vous êtes à ce moment-là ?
Déjà, il ne faut pas oublier que le Brésil était le grand favori de cette Coupe du monde. Ils avaient une équipe de dingues, faut bien en avoir conscience. Quand t’es à ce stade de la compétition, tu te dis que tout est possible, mais tu restes quand même dans la peau de l’outsider, ce qui est normal, car en face de toi, c’est l’ogre brésilien. Et derrière, tu as Jacquet qui te dit : « Les mecs, vous avez des qualités, si on en est là, ce n’est pas le fruit du hasard, et puis surtout, c’est maintenant ou jamais, les gars ! » Je pense que le fait de ne pas être favoris nous a enlevé la pression, et on était sûrement plus relâchés que les Brésiliens.
Quand on regarde les images du départ en bus de Clairefontaine, c’est incroyable le nombre de personnes qu’il y avait. Ça devait être impressionnant, non ?
Ah mais c’était un truc de dingue. Tu ne peux pas imaginer ce que c’était. Ce jour-là, c’était vraiment hallucinant. En plus, comme je te disais, depuis le début de la compétition, on ne se rendait pas vraiment compte de la ferveur populaire, on était enfermés à Clairefontaine, mais le moment où on est sortis du château, on a véritablement halluciné. On n’arrivait même pas à sortir de Clairefontaine tellement il y avait de monde. C’était vraiment énorme.
Et comment on réagit quand on gagne une Coupe du monde, au fait ?
Il n’y a même pas d’adjectif pour dire ce qu’on a ressenti ! C’était tellement puissant, qu’il n’y a pas de mot. La folie, c’était aussi cette effervescence populaire que ça a créé. Voir tout le pays en liesse, c’était vraiment magnifique. Ça, tu vois, pendant la compétition, on ne l’a pas trop senti, car on était dans notre univers, on essayait de se préserver de tout ça. Jacquet nous disait de ne pas trop s’occuper de tout ce qui se passait à l’extérieur. Donc toute cette ferveur, on l’a vraiment mesurée à la fin.
Sur un plan personnel, quel est ton souvenir le plus fort de la compétition ?
Sur un plan personnel, c’est évidemment le match contre le Paraguay où j’ai vraiment senti que je servais à quelque chose. Quand je centre pour David (Trezeguet) qui la remet ensuite à Laurent (Blanc)… qui marque le but en or. Mais ça, c’est sur un plan purement personnel. Après, le plus important, c’est d’y participer et de la gagner.
Quelle est l’image que tu as encore en tête aujourd’hui ?
Tu sais, quand j’étais petit, je voyais Pelé ou Maradona soulever la Coupe du monde, et là, j’ai vu Didier être à la place de ces grands joueurs. Donc, ouais, le moment où Didier soulève le trophée, c’était un moment magique. Là, quand je t’en parle, j’ai encore les images devant les yeux. En plus, je voulais être à côté, donc j’avais trouvé une bonne place pour le moment où il soulève la Coupe du monde (rires).
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