- Nos Jours Euro
- Épisode 5
- Euro 2000
Robert Pirès : « En 2000, on était l’équipe à abattre »
Au moment de se lancer dans un slalom côté gauche, Robert Pirès s’est revu dans ses « années messines ». Au bout, un centre en retrait vers David Trezeguet pour l’éternité. 24 ans après la nuit de Rotterdam, Robby revient sur cet Euro qui a contribué à faire changer de statut celui qui n’était alors qu’un simple soldat.
Robert, quelle place a cet Euro 2000 dans ta carrière ?
Cette compétition a été importante pour moi, comme pour l’ensemble du groupe ou les supporters. Réaliser un doublé Mondial-Euro nous était présenté comme une mission impossible. Donc c’est une fierté d’avoir fait ça.
Le Mondial 1998, l’Euro 2000 : est-ce que tu en mets un au-dessus de l’autre ?
Non, pour moi, les deux compétitions sont aussi difficiles à gagner l’une que l’autre. Certes, l’Euro ne regroupe que les meilleures équipes européennes et celle qui va au bout est toujours au point techniquement et physiquement. Mais gagner les deux, c’est juste exceptionnel.
À titre personnel, tu étais dans une mauvaise passe avec l’OM. Tu étais dans quel état d’esprit au moment d’attaquer ce tournoi ?
Cette saison 1999-2000 était très compliquée, en effet. Mais c’était une vraie bouffée d’oxygène de pouvoir retourner en sélection. Avoir la confiance de Roger Lemerre à chaque rassemblement, ça me faisait du bien à tous les niveaux. D’autant plus que la concurrence était rude. Comme Aimé Jacquet avant lui, Roger nous mettait toujours en garde et attendait de nous qu’on soit performants en club pour mériter d’aller en équipe de France. À Marseille, ça ne se passait pas très bien au niveau des résultats, mais je faisais mes matchs. En sélection, je n’étais pas un titulaire indiscutable, donc je savais que je n’avais qu’à être suffisamment bon pour être appelé.
Avant d’aller en Belgique et aux Pays-Bas, la phase qualificative n’a été en rien une partie de plaisir. Ce statut de champion du monde était lourd à porter ?
Ce qui est certain, c’est que le regard des autres équipes avait changé. Si nos adversaires sentaient avoir la moindre chance de nous battre, nous, équipe de France championne du monde, ils sautaient dessus. On a aussi été peut-être un peu trop faciles sur certains matchs, mais l’objectif était de se qualifier, et on l’a fait. Même si ça a été pénible, c’est vrai.
C’est un constat qui se tient aussi sur les premiers matchs de l’Euro ? Êtes-vous arrivés avec une pression supplémentaire ?
La pression, tu l’as à chaque fois. Même en match amical. C’est l’équipe de France, et tu représentes un pays entier. Lors du premier match, on savait que les Danois allaient nous poser des problèmes avec leur football dur et rugueux. On savait qu’il fallait répondre tout de suite présent. Contre la République tchèque, on est allés chercher la victoire dans la difficulté. Je pense qu’on avait bien préparé ces rencontres pour rentrer de la meilleure des manières dans la compétition.
Tu n’entres pas en jeu lors des deux premiers matchs. Tu t’attendais à ça ?
Je le savais. Le discours de Roger Lemerre a toujours été clair : il y avait une hiérarchie. J’ai toujours respecté ça, sans que ça me pose de problèmes. Là, j’étais en concurrence avec Duga (Christophe Dugarry) qui était devant moi, meilleur que moi. S’il avait été décevant, j’aurais pu espérer quelque chose d’autre, mais ce n’était pas le cas. C’était à moi d’accepter cette situation. Mon but, c’était d’être prêt quand le coach faisait appel à moi pour saisir chacune des opportunités. Mais je sais que pour débuter en finale, Roger a hésité entre lui et moi.
En matière de jeu, qu’est-ce qui avait changé en l’espace de deux ans ?
Ça se situe justement sur la maturité et l’expérience qu’on a pu acquérir. Et c’est pour ça qu’en 2000, je suis convaincu qu’on était beaucoup plus forts qu’à la Coupe du monde 1998. On jouait tous dans des grands clubs, on a enchaîné des matchs de haut niveau… Les mecs qui jouaient en Italie – le meilleur championnat à cette époque – nous ont aussi beaucoup apporté. Moi, j’étais en France, mais les autres ont découvert une autre culture, une autre façon de jouer. Thierry Henry (passé brièvement par la Juve et arrivé à Arsenal en 1999, NDLR) est un bon exemple de ça et en a profité pour exploser.
D’où cette espèce de sérénité dans les moments où ça pouvait être plus friable derrière…
Attention, on était très solides défensivement ! Je pense justement que c’était notre force principale et que c’était même la base de l’équipe. Notre jeu offensif s’appuyait autour de deux joueurs : Zizou et Youri (Djorkaeff). L’équipe était construite autour de ces deux belles armes. Pour attaquer, il n’y avait pas de problème, on savait le faire. Mais il fallait réfléchir à ce qu’il fallait mettre en place à la perte du ballon et compenser, car ces joueurs sont aspirés par leurs tâches offensives et c’est normal. Donc la priorité de Roger Lemerre était d’être vraiment solide derrière.
Changer de système à chaque match, c’était voulu ou subi ?
On savait qu’on était l’équipe à abattre, mais pour Roger, c’était à nous de nous adapter à l’adversaire.
Quel genre de sélectionneur était Roger Lemerre ?
De par le fait d’avoir été dans le staff d’Aimé Jacquet, il a beaucoup observé et analysé comment cette équipe de France fonctionnait. Bien évidemment, quand tu deviens numéro 1, ce n’est plus pareil, parce que c’est à toi de prendre les décisions. Mais il savait où il mettait les pieds, dans quelle direction il fallait aller. Avec lui, on avait vraiment beaucoup de libertés. Sa devise, c’était « pas vu, pas pris » parce qu’il nous faisait hyperconfiance. Et on le lui rendait sur le terrain. Je ne devrais pas dire que c’était facile vu les joueurs qu’on avait, parce qu’on va penser que je suis arrogant. Mais c’était fluide, quoi.
Quand tu parles de liberté, c’était plus détente qu’à Clairefontaine en 1998 ?
Non, c’était autre chose, c’était autre chose… (Il reste évasif.) C’était fou d’avoir cette liberté en dehors des terrains. Bon, tu connais les jeunes, on n’allait pas se coucher tôt. C’était un peu notre souci. Mais une fois qu’on avait les pieds sur le terrain, on était complètement focalisés sur notre mission. Le groupe était extraordinaire. C’est facile de dire ça quand tu as gagné, mais je peux te dire qu’on a très très bien vécu l’Euro 2000.
Vous sortiez le soir ?
Quand tu es dans une telle dynamique, tu peux t’autoriser à faire des choses. On sortait, mais c’était pas forcément pour faire la fête, hein ! On allait au restaurant, pas en boîte de nuit. On avait une confiance illimitée et on en a profité sans dépasser les limites. Les anciens comme Didier Deschamps nous rabâchaient justement qu’il ne fallait pas dépasser les bornes.
Lemerre avait appris le décès de son père pendant la compétition. Ça n’a pas été pesant ?
Bien évidemment, tout le monde était très triste pour Roger. Mais pour lui comme pour nous, ça a été une force supplémentaire, une autre énergie positive en nous. Il voulait absolument qu’on soit champions d’Europe pour lui.
Quand tu entres en demi-finales contre le Portugal, le pays de ton père, il y avait aussi une énergie particulière pour toi ?
Émotionnellement, ça représentait beaucoup de choses pour moi, oui. Mais c’était aussi le cas en quarts de finale, où on élimine l’Espagne, le pays de ma mère. Elle était beaucoup moins contente que moi ce soir-là. En demies, oui, j’y ai pensé au moment d’entrer. Une fois dans le match, ça disparaît. Mais encore une fois, après ce match, mon père pleurait. Heureusement, tout le monde était du même côté pour la finale contre l’Italie. C’était l’affiche parfaite.
Raconte-nous cette finale.
Ça ne commence pas très bien, puisqu’au moment où Roger décide de me faire entrer, on joue la 86e minute et on perd 1-0. Je remplace Liza et dans ma tête, je me dis : « Bon, ça ne sert pas à grand-chose… » En face, c’est l’Italie, on sait qu’ils maîtrisent ce genre de scénarios. En défense, ils ont Cannavaro, Nesta et Iuliano… Je ne vois pas ce que je peux apporter. Puis, quelques minutes plus tard, il y a ce dégagement de Fabien (Barthez), la déviation de David (Trezeguet) et Nino (Wiltord) qui égalise. Et là, ça change tout. Les Italiens sont morts. C’est terminé pour eux.
Il se passe quoi entre la fin du temps réglementaire et la prolongation ?
On est dans une certaine euphorie, alors que les Italiens ont pris un coup sur la tête. Ce qu’il leur a fait mal, c’est cette demi-finale face aux Pays-Bas. 0-0, prolongation, tirs au but… Ça a été long et stressant pour eux. Physiquement, on était avantagés. Et puis, Roger trouve les bons mots, nous stimule, nous dit qu’il ne faut pas les lâcher et les faire tomber. Il y a aussi Marcel Desailly, qui arrive derrière moi au moment de reprendre le jeu. Moi, je ne l’ai pas vu arriver, et il me glisse sur un ton hypersérieux : « Bon Robert, on va voir maintenant de quoi tu es capable. » Et hop, il repart. Une bonne pique à la Marcel Desailly. Moi, je n’ai pas le temps de réagir. Et là, je me dis : « Mais lui qu’est-ce qu’il veut, pourquoi il me dit ça ? »
Puis vient ta passe décisive sur le but en or de Trezeguet…
Je suis sur le côté gauche, j’intercepte une mauvaise passe de Cannavaro. Là, naturellement, j’aurais dû faire la passe à Zizou, qui était à trois ou quatre mètres. Puis je me ravise en me disant que ça ne servait à rien. Donc je replonge sur ce côté gauche, où je me revois dans mes années messines à faire des débordements et faire la différence en dribbles. Je pars vraiment dans cette optique. Est-ce que la phrase de Marcel m’a permis de faire ce dribble ? Je ne sais pas. Peut-être inconsciemment.
Cette passe a-t-elle changé le cours de ta carrière ?
Ah oui, bien sûr. Ça a changé des choses dans le regard des supporters ou des médias. J’ai changé de statut. Je pouvais prétendre à être un titulaire.
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D’ailleurs, le lendemain, tu signes à Arsenal.
Ça a été très vite. Pendant tout l’Euro, j’étais en relation avec Arsène Wenger. De l’autre côté, j’avais la chance d’avoir le Real et la Juve qui faisaient le forcing. Pendant l’Euro, je fais une photo avec le maillot du Real sur les épaules, le quotidien AS me placarde sur sa Une et je suis à deux doigts de signer au Real. Et puis, en fait, avoir eu Arsène au téléphone, ça a fait la diff’, tout comme les mecs qui étaient à Arsenal (Vieira, Petit, Henry, NDLR) qui ont poussé pour que je les rejoigne. En plus de ça, comme je sortais d’une saison très compliquée avec Marseille et qu’au Real, ce n’est pas évident si ça ne fonctionne pas d’entrée, je n’avais pas envie de repartir de suite sur une année galère. Donc j’ai choisi l’option Arsenal.
Ce transfert n’a pas un peu gâché les célébrations du titre ?
Le lendemain de la finale, Arsenal m’affrète un avion privé, je vais au centre d’entraînement, je passe la visite médicale, ça se passe bien, je signe et une fois tout réglé, j’ai rejoint les autres au moment du dîner. Je n’ai pas participé à la fête à Paris, mais ces 48 heures ont été assez magiques.
À lire :
- Nos Jours Euro, épisode 1 : Jean Wendling et l’Euro 1960.
- Nos Jours Euro, épisode 2 : Luis Fernandez et l’Euro 1984.
- Nos Jours Euro, épisode 3 : Jocelyn Angloma et l’Euro 1992.
- Nos Jours Euro, épisode 4 : Vincent Guérin et l’Euro 1996.
Propos recueillis par Mathieu Rollinger
Interview initialement publiée en mai 2020 sur sofoot.com