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Robert Herbin : la flamme verte s’est éteinte

Par Chérif Ghemmour
10 minutes
Robert Herbin : la flamme verte s’est éteinte

Robert Herbin, joueur (1957-1972) et surtout entraîneur mythique de Saint-Étienne (1972-1983) nous a quittés ce lundi à 81 ans. Avec feu Michel Hidalgo et Michel Platini, il restera pour toujours associé à cette Sainte Trinité qui a ressuscité le football français au milieu des années 1970.

Robert Herbin est parti au printemps, saison de la renaissance. Dans le désert du football français des années 1970, les clubs tricolores mourraient tôt en coupes d’Europe. À l’automne. Et puis Saint-Étienne a passé l’hiver, nous donnait rendez-vous au printemps des quarts de finale, des demi-finales et de la finale (1976). Le football français revivait au temps de la floraison, de l’air léger, de la jeunesse éternelle de Rocheteau, Bathenay, Janvion. L’étincelle de vie, la flamme de la Résistance, l’appel de l’espérance, c’était d’abord ça, le Sainté de Robert Herbin.

La République bleu-blanc-vert

Une république bleu-blanc-vert qui sonnait l’heure du réveil d’un foot français qui n’existait tout simplement plus. De Lorraine apparut à la même époque, en 1976, Michel Platini. Et l’alliance de Saint-Michel et Saint-Étienne revitaliserait l’équipe de France pour toujours. Le mardi 24 août 1976, l’équipe de France jouait son traditionnel match de gala d’été au Parc des Princes. Ce jour-là, c’était contre le redoutable Mönchengladbach. Et les Bleus de Michel Hidalgo l’emportèrent 4-1 ! Platini, 21 ans, fut étincelant. Il faut dire qu’il était escorté sur le terrain de sept Stéphanois : Janvion, Lopez, Farizon, Larqué, Bathenay, Synaeghel et Rocheteau. Tous les héros des épopées européennes. Hidalgo, Platini et les Verts ont signé ce soir-là l’acte officiel de renaissance du football français. Et Robert Herbin se présentait humblement comme le meilleur sergent-recruteur d’une équipe de France en reconquête. Rouquin incongru et taiseux, casqué de frisettes afro, il avait en fait participé aux rares interstices de lumière d’un football français tombé de bas en bas après la Coupe du monde 1958. Arrivé à Saint-Étienne cette année-là, ce défenseur central sera initié à l’excellence par deux grands ténors du coaching à la française, Jean Snella, puis ensuite Albert Batteux. C’est de ces deux grands entraîneurs qu’il gardera toujours cet ADN offensif et conquérant. C’est d’ailleurs en passant milieu de terrain porté sur l’attaque qu’il inscrira 26 buts en championnat en 1966. Surtout, dans le désert du football français, il sera de l’aventure des Bleus à l’Euro 1960 (France quatrième), de la Coupe du monde 1966 en Angleterre et de l’exploit en C1 1970 contre le grand Bayern (0-2 et 3-0 au retour dans le Forez). Homme minéral aux principes granitiques, Robert Herbin incarnait avant tout la croyance ultime aux fondamentaux du professionnalisme : le football est un jeu, mais c’est d’abord un sport. Un sport où il faut courir plus vite et plus longtemps, et où il faut sauter le plus haut pour gagner. Le football est aussi un combat, un duel où il faut savoir se faire respecter, surtout dans le football des années 1970 devenu plus athlétique.

Basiques du foot et fondamentaux du sport

Alors Robert Herbin s’acharnera sur les fondamentaux et fera travailler ses gars dur, très dur. En été, les reportages TV offraient toujours le spectacle quasi soviétique de l’effectif stéphanois en train d’en chier sous le cagnard à répéter les mêmes exercices physiques épuisants, les courses ininterrompues, les levers de poids ou de medecine-balls. Et le tout en silence, sans se plaindre. Robert Herbin, torse nu, short et crampons, faisait du rab en entraînant tout seul le gardien Ivan Ćurković.

Des mines à bout portant avec des ballons blancs jusqu’au soir… C’était ça ou mourir, en coupes d’Europe. « Chaque joueur acceptait les qualités et les défauts de l’autre, rappelait le coach des Verts. Ces joueurs n’avaient qu’une envie : réussir. Il y avait quand même des semaines pesantes, des entraînements durs pour répondre à ce qu’était le football. Cette équipe a offert une telle générosité, une telle solidarité que le public a suivi, s’en souvient et que cette époque reste gravée dans les mémoires. » Point commun avec Hidalgo : pas de pleurniche avec les arbitres ! En cas de décision arbitrale injuste ou injustifiée, on ferme sa gueule et on reprend le jeu encore plus fort ! Traditionnellement, et malgré le passage d’artiste comme Mekhloufi ou Salif Keita, Saint-Étienne n’a jamais été porté sur le « beau jeu à la française » comme Reims, Monaco ou Nantes. Le style Sainté reposait plutôt sur une virilité cégétiste faite d’abnégation et de solidarité, mais avec un jeu toujours vers l’avant. « Le football offensif, je ne conçois pas d’autre méthode que celle de savoir se faire craindre pour mieux se défendre, professait coach Robert. Ce principe ancré dans ma tête, je me suis appliqué à le faire passer. Il en allait ainsi en Coupe d’Europe. »

Quand Herbin a été nommé à 33 ans au poste d’entraîneur-joueur en 1972 (le plus jeune en France, à son poste), puis entraîneur à part entière ensuite, il n’a pas eu à inventer vraiment un culte de la victoire. La gagne était naturelle à Sainté, champion de France 1957, 1964, 1967, 1968, 1969, 1970 et vainqueur de la Coupe 1962, 1968, 1970. Des succès auxquels il avait contribué à partir de 1958, un an après le premier titre de champion. En 1974, après deux années à intégrer les jeunes pousses vertes vainqueurs de la Gambardella 1970 (Lopez, Repellini, Merchadier, Santini, Synaeghel, P. Revelli, Sarramagna), la moisson nationale reprit de plus belle : champion de France 1974, 1975, 1976, 1981 et vainqueur de la Coupe de France 1974, 1975, 1977 ! Pour jouer les premiers rôles en Europe, il fallait juste ajouter un supplément d’âme et acquérir le goût du combat : « Savoir se faire craindre », martelait-il ! Et Sainté s’est fait craindre, devenant à son époque une terreur continentale avec le Dynamo Kiev et Mönchengladbach, trois tornades affolantes, mais qui n’eurent pas l’honneur de gagner la Ligue des champions (Coupe des clubs champions, à l’époque). Pour en arriver là, dans le gratin continental, Sainté s’était encore appuyé sur les fondamentaux avec à sa tête une organisation hiérarchique rigoureuse : un président qui préside (Roger Rocher), un entraîneur qui entraîne (Robert Herbin) et un capitaine qui dirige (Jean-Michel Larqué) ! On peut ajouter au trio l’indispensable Pierre Garonnaire, le recruteur hors pair des grandes années vertes. Donc, pas de directeur sportif, de manager général ou de dircom à la con, mais un organigramme simplifié et vertical qui favorise les prises de décision rapides. À sa prise de fonction, Robert Herbin ne demanda à son président qu’un investissement sur deux postes, assurant qu’un gardien solide et un libéro de classe étaient indispensables à sa jeune équipe. Il obtiendra le charismatique gardien yougoslave Ivan Ćurković (Ivan le terrible) et l’immense stoppeur argentin Oswaldo Piazza. Ajoutés à la jeune génération Gambardella 1970 et aux anciens avec lesquels Herbin avait joué (Farison, Larqué, Bereta, Hervé Revelli), Sainté était paré pour la grande aventure !

Et Robby devint Le Sphynx

Organisé en 4-3-3 ajaxien, Sainté multipliera les exploits au terme de matchs retours vertigineux dans un stade Geoffroy-Guichard en fusion, « le Chaudron » , devenu un ring terrifiant pour les visiteurs de France et d’Europe, battus par KO. Les prolongations dantesques écriront les qualifications légendaires : en C1 1975, Split coulera 5-1 après l’aller 4-1, Nantes pliera 5-1 aussi en demi-finales de Coupe de France 77 (3-0 à l’aller) et surtout le redoutable Dynamo Kiev de Blokhine sombrera 3-0 en mars 76 malgré le 2-0 de l’aller. C’est d’ailleurs de cette folle soirée du 17 mars 1976 que Robert Herbin sera affublé du surnom de « Sphinx » , comme il le raconta plus tard

Les fumeurs de pipe, faux calmes, sont souvent des vrais révoltés. Robert Herbin combattait la médiocrité, l’à-peu-près, les excuses bidon du football français qui se complaisait dans son incorrigible lose.

: « Lors de ce quart de finale retour, nous avions marqué le troisième but et tout le monde explosait de joie. J’ai regardé mon chrono et je me disais : « Il reste dix minutes à tenir et cela ne va pas être facile. » Au lieu de me jeter, je suis resté de marbre. » Impassible, comme sculpté sur le banc, Robert Herbin consolidera sa légende en fumant la pipe. Même bouffarde pour son président Roger Rocher, assis à ses côtés : les fumeurs de pipe, faux calmes, sont souvent des vrais révoltés. Robert Herbin combattait la médiocrité, l’à-peu-près, les excuses bidon du football français qui se complaisait dans son incorrigible lose. C’est dans ce sens qu’il rendra hommage à son équipe, vaincue 1-0 en finale de C1 1976 à Glasgow, face au Bayern Munich : « Je ne retiendrais pas spécialement ce match, mais plutôt la période qui a été extraordinaire, qui a servi à faire grandir le club et le football français. L’exemple que nous avons donné, les joueurs et moi, dans la qualité athlétique, l’expression du jeu collectif, les autres s’en sont imprégnés. À travers nous, le foot français est sorti de son amateurisme. »

« J’en veux aux poteaux, pas à leur forme »

L’escorte en Écosse des 30 000 supporters parés d’émeraude et convoyés par un gigantesque pont aérien avait porté la « fièvre verte » inouïe à son summum, mais pour une défaite amère où Sainté aurait mérité de l’emporter.

Mais là encore, Robert Herbin ne s’apitoiera jamais trop sur ce revers : « Je conserve dans mon esprit la qualité de la prestation des joueurs, les occasions qui n’ont pas voulu rentrer et ce coup du sort avec ce coup franc à retirer. Cela reste une déception, puisque nous n’avons pas gagné la Coupe d’Europe que Marseille a remportée. » Les occasions qui n’ont pas voulu rentrer ? Les fameuses barres carrées, bien sûr, sur la frappe divine de Bathenay et sur la tête de Santini : « Le problème, c’est qu’il y avait des poteaux. Et que les poteaux étaient contre nous. C’était le douzième adversaire. Qu’ils soient ronds ou carrés… J’en veux aux poteaux, pas à leur forme. » Toujours dans la retenue, Robert Herbin goûtera avec plaisir, mais avec une certaine gêne la descente « triomphale » des Verts en voiture sur les Champs-Élysées, le lendemain de Glasgow.

L’hommage de Liverpool

La saison suivante marquera le chant du cygne du Sainté d’Herbin en Coupe d’Europe. Après le quart de finale aller contre Liverpool (1-0), les Verts se rendront à Anfield Road où ils seront éliminés après avoir cru à l’exploit. Ils tiennent le 2-1 pour les Reds jusqu’à ce but de Fairclough à la 84e (3-1) qui mit fin à l’espérance. Jusqu’à aujourd’hui, le cœur des vieux supporters de Liverpool a gardé ce match retour contre Saint-Étienne comme l’un des souvenirs les plus marquants de l’histoire des Reds en Coupe d’Europe. Il y eut bien sûr les six victoires inoubliables en Ligue des champions, mais sur les bords de la Mersey, beaucoup conservent en mémoire cette soirée du 16 mars 1977, là où tout avait vraiment commencé en C1 pour Liverpool. Un match entre deux équipes qui se ressemblaient, anglaises dans l’âme par leur stade, leur public et leur jeu, ouvrières et fières de l’être. C’est l’un des plus beaux titres de gloire de « Robby » : recevoir l’estime authentique de l’adversaire, du champion. L’immense Franz Beckenbauer rendit lui aussi un hommage sincère aux Stéphanois après Glasgow. Le football est un sport et il faut un vainqueur. Les Verts de Saint-Étienne avaient toujours tout donné sur le terrain alors, aucun regret à avoir ! C’est la vie, c’est le jeu. Voilà pourquoi Herbin ne ressassa jamais ce rêve européen évanoui. Il repartit de plus belle, mais avec une politique nouvelle du club recentrée sur l’achat onéreux de grands joueurs, tels Michel Platini et Johnny Rep. Mais la dynamique s’était éteinte. Malgré un titre de champion en 1981, deux finales de coupes perdues en 1981 et 1982 et quelques matchs mémorables en Coupe d’Europe (5-0 à Hambourg, 6-0 contre le PSV Eindhoven), la fièvre verte retomba petit à petit. Puis vint la sale affaire de la caisse noire qui brouilla Rocher et Herbin, qui finit par quitter le club de ses exploits en 1983. Il entraîna le rival lyonnais (1983-1985) et Strasbourg (1986-1987), avant de revenir dans le Forez (1987-1990), mais sans rallumer la flamme des années de gloire… Le 17 mars 1976, à quelques heures du match retour Saint-Étienne-Kiev, Robert Herbin avait été l’invité interviewé de la célèbre émission Radioscopie de Jacques Chancel sur France Inter. « Et si c’était à refaire ? », l’avait-il questionné : « Je referais sûrement la même chose, mais je m’arrangerai tout de même pour étudier plus attentivement le solfège. Mon père est professeur au conservatoire de Nice et je crois que dans le domaine qui est le sien, il ressent des joies aussi grandes que celles que je peux moi-même connaître. Mais le football est aussi un art, et les footballeurs sont des créateurs. » Robert Herbin a été chef d’orchestre d’une Symphonie fantastique. Alors que regretter ?

Dans cet article :
Les Bleues dans le groupe de la mort, vraiment ?
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