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Robbie Keane : de Tallaght à Lyon
Larry Fox a accompagné Robbie Keane, de 11 à 16 ans, vers son premier contrat professionnel, à Wolverhampton. Si l'Irlande est éliminée, s'en sera fini de Robbie Keane, meilleur buteur et joueur le plus capé de la sélection irlandaise, sous la tunique verte. Lors du dernier match de poule contre l'Italie, on s'est assis à côté de Larry, à Dublin. Pour parler Robbie.
Larry Fox a donné rendez-vous. Ce sera au Winn’s, un hôtel cosy du centre ville de Dublin, pour suivre ensemble le match Irlande-Italie et parler de Robbie Keane. Un endroit idéal selon lui, fréquenté par des personnes venues plutôt discuter de leur business que pour regarder le match. Le bar de l’hôtel est très calme, assez éloigné de l’ambiance festive des pubs du quartier de Temple Bar. Mais il est surtout très grand, avec beaucoup d’espace, ce qui laisse suffisamment de place à Larry Fox pour se lever et nous imiter les mouvements que Robbie Keane réalisaient quand il n’était encore qu’un jeune adolescent. Larry a entraîné Robbie, était même son premier coach au Crumlin United (club du centre de Dublin). Avant qu’il ne devienne le meilleur buteur de l’histoire de la sélection (67 buts en 145 matchs), le joueur le plus capé de l’équipe nationale. Avant que les supporters, en tribunes ou dans les pubs, ne se lèvent et l’applaudissent, même pour une entrée en jeu dans les dernières minutes.
Le jongleur fou
Car il se souvient encore de cette journée du mois de juin, où il a invité Robbie Keane à venir faire un essai dans son club du Crumlin United, à l’occasion de la Coupe du monde des jeunes, une compétition annuelle organisée par le club afin de recruter les nouveaux talents irlandais. Toutes les équipes représentent une sélection et s’affrontent pendant deux jours lors d’un tournoi amical. Robbie Keane évolue ce jour-là avec le maillot des Pays-Bas, et éclabousse le tournoi de sa classe. « On m’avait dit de le regarder avec attention, commence Larry Fox. Donc, dès le premier match, je suis allé l’observer. Je vais être honnête avec vous : en trois minutes j’ai compris que j’allais lui faire signer un contrat à la fin du week-end. » Larry fonce alors vers le père de Robbie Keane, pour lui proposer que son fils rejoigne l’équipe U11 du club à partir du mois d’août, au moment de la reprise de l’entraînement. Le deal est conclu en cinq minutes, car le Crumlin United est réputé pour amener beaucoup de ses joueurs en sélection nationale chez les jeunes.
À partir de ce moment-là, le renard Larry va devenir le coach de Robbie Keane. Et même un peu plus que ça, presque un second père. Il doit aller le récupérer les soirs pour l’amener aux entraînements. Robbie Keane vit à cette époque à Tallaght, un quartier du sud de la ville qui n’a pas forcément très bonne réputation. À la fin des années 80, début des années 90, le chômage y est très élevé, beaucoup de jeunes se retrouvent impliqués dans le trafic de drogue. Mais Robbie Keane est assez éloigné de ce genre d’embrouilles. « Quand je venais le chercher, sa mère me disait d’aller le récupérer dans un petit jardin, derrière la maison, il y avait un mur, et il passait sa journée à taper dessus avec un ballon. » Larry Fox ne le sait pas encore, mais Robbie Keane n’a pas fini de l’impressionner. Lors du premier entraînement de la saison, il demande à ses joueurs, de prendre un ballon et de jongler de la surface de réparation jusqu’au milieu du terrain : « Robbie a pris la balle, a jonglé jusqu’au milieu du terrain, il a fait le tour du cercle, puis il est allé jusqu’au but opposé, et il est revenu tout en jonglant. Je rappelle qu’il avait 11 ans. J’avais jamais vu ça, dans ces moments-là vous comprenez tout de suite. »
« Tu vois, les attaquants de Manchester ? Je suis largement aussi fort qu’eux »
Si Robbie Keane lui montre rapidement qu’il a le talent, il va très vite lui prouver qu’il possède quelque chose d’encore plus important aux yeux de son coach : l’envie de réussir. « Je pense que pour devenir footballeur professionnel, le talent est important, mais le mental ça compte au moins pour 60% de la réussite. Et ça aussi il l’avait, et dés 11 ans. Un jour à la fin d’un entraînement j’ai eu un entretien avec lui et il m’a dit : « Ecoute Larry, il faut que je devienne joueur professionnel, j’ai pas d’autres solutions, tous mes amis de Tallaght finissent mal, ma famille a des soucis. Je n’ai que le football pour sortir de tout ça. » »
Le football est la partie la plus importante de la vie du jeune Robbie Keane. Il le met au-dessus de tout, et cela lui permet de résister à toutes les tentations. Même les plus fortes : « En début de saison, on amène toujours les joueurs à la plage, pour organiser un petit match et manger un barbecue. Mais très vite les filles arrivaient et il était impossible de consacrer les gamins sur le match. Sauf un : Robbie. C’était le seul qui en avait rien à faire. Il ne quittait jamais le ballon. » Ce n’est pas seulement en match ou lors des séances d’entraînements que Larry Fox comprend qu’il a affaire à un phénomène. Lors des sorties organisées par le club, Keane montre à son coach qu’il est décidément quelqu’un de très spécial : « Un jour, on a amené son équipe voir un match à Manchester United. À l’issue de la rencontre, Manchester est devenu champion d’Angleterre, et à la fin du match Robbie est venu me voir et m’a dit : « Tu vois les attaquants de Manchester, je suis largement aussi fort qu’eux » » .
Robbie Keane, ce fan des Corn Flakes
Robbie Keane passe en plus de la parole aux actes. Il enchaîne les buts, une moyenne de 50 par saisons en 25 matchs. Conscient qu’une carrière professionnelle lui tend les bras, Larry Fox va tenter de placer son protégé dans une grosse écurie anglaise. Mais pas n’importe laquelle, Liverpool, le club de cœur de Robbie Keane. Présent à Dublin lors d’une préparation d’avant saison, Larry présente son joueur au coach de l’époque, Ronnie Moran, avant que celui-ci ne prenne l’avion pour retourner à Liverpool : « Je lui ai dit que c’était le meilleur que j’avais dans le club, et que j’avais jamais eu un joueur de ce niveau. Il l’a regardé et m’a dit qu’il était trop petit et pas assez développé physiquement pour s’imposer chez eux. » Ce ne sera que partie remise, toujours aussi performant, Robbie se fera finalement recruter par Wolverhampton à l’âge de 16 ans, et intégrera après seulement quelques jours d’entraînement l’équipe professionnelle. Une seule chose inquiète Larry Fox : la nutrition. « Il mangeait juste des Corn Flakes et rajouter du sucre par-dessus. Mais cinq fois par jour. Heureusement, une fois arrivé en Angleterre, il a été obligé de changer. »
On pourrait croire que le rôle de Larry Fox dans le développement du prodige irlandais s’est arrêté ici. Mais bien au contraire, c’est sans doute à ce moment là qu’il a été le plus important. Robbie est malade d’être éloigné de sa famille pour la première fois de sa carrière, le club de Wolverhampton appelle régulièrement le premier coach pour qu’il enchaîne les allers-retours entre Dublin et l’Angleterre, pour remonter le moral du jeune attaquant. Car celui qui est aujourd’hui toujours l’entraîneur des jeunes du Cremlin United l’avoue sans honte, Robbie Keane a peut-être été plus important dans sa carrière que lui ne l’a été dans la sienne. « Je n’ai jamais vraiment eu besoin de lui apprendre quelque chose, il avait tout. » Mais grâce à Robbie Keane, celui qui est passé à côté d’une carrière professionnelle à cause d’une grave blessure au genou, a beaucoup évolué en tant que coach : « Au début de mes entraînements, je demande à tous les joueurs de se mettre en ligne. Et je viens les saluer, un par un en les regardant dans les yeux. Je leur demande comment ils vont. Ça me permet d’avoir une première impression sur ce qu’ils vont me faire pendant la séance. Dans le regard de Robbie je ne lisais qu’une seule chose : « Est-ce que tu es prêt à me coacher ? » Il n’a jamais rien dit, mais je lisais ça. Donc quand il a quitté le club, je me suis mis à suivre des cours pour évoluer, car je voulais continuer à coacher des joueurs comme lui. »
L’Inter, le passage décisif
Robbie Brady marque contre l’Italie et envoie l’Irlande en huitième de finale. Larry se rend alors compte qu’il est tard, et qu’il doit filer à un autre rendez-vous. Mais avant de partir, il prend le temps d’expliquer une dernière chose. Un passage à regarder de près selon lui, à l’heure où il est temps de dresser le bilan de la carrière de Robbie Keane. Un moment qu’on oublie pourtant souvent quand on évoque le joueur. Son passage à l’Inter Milan entre 2000 et 2001 : « Il ne serait jamais devenu le joueur qu’il est aujourd’hui sans avoir joué là-bas. C’est la seule fois de sa carrière qu’il a évolué dans un environnement totalement différemment. Ça l’a obligé à se réinventer. » Et après nous avoir montré une dernière fois, à l’aide de son verre de vin et son Smartphone, quel était le mouvement favori de Robbie pour tromper les défenseurs, Mister Fox s’en va, avec le sourire : « Finalement, ça ne sera pas ce soir son dernier match, espérons que ça se prolonge encore un peu. » Ce qui serait une mauvaise nouvelle pour l’équipe de France.
Par Charles Thiallier, à Dublin.