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Robben, roi des persos
Indéniablement, Robben est un génie. Balle aux pieds, le Néerlandais est l'un des tout meilleurs joueurs au monde. Seulement voilà, Robben a tendance à agacer. La raison ? Son individualisme poussé à l'extrême. Car oui, Arjen choisira souvent la solution personnelle à la possibilité collective. Question de personnalité, sûrement. Voyage chez les persos.
Les persos, qu’est-ce qu’on a pu les détester, quand même. Le dimanche, sur un vieux stade de campagne, en semaine, sur un city stade ou dans un urban, ils nous énervent tout le temps. Car les persos ont un peu tendance à croire que le foot est un sport individuel. Un sport où la différence se fait tout seul, sur un dribble ou une accélération. Si c’est en partie vrai, il ne faut pas oublier que, derrière, il y a dix coéquipiers qui attendent le ballon, donnent la solution ; bref, qui les maudissent. Mais un perso, c’est un peu comme le mec qui roule vite en bagnole, on a beau lui dire cent fois que ce n’est pas bien, qu’il faut changer de conduite, le gars n’y peut rien, il conduira comme ça toute sa vie. Si, parfois, il peut y avoir un léger mieux, généralement les vieux réflexes seront toujours là. Un peu comme le veut l’adage « chassez le naturel, il revient au galop » , quoi.
Encourager et comprendre le perso
Arjen Robben est de cette race-là. À la différence près que c’est n’est pas un vulgaire joueur du dimanche, mais un footballeur de classe internationale, au niveau qui lui permet d’intégrer une caste élitiste des dix meilleurs footballeurs de la planète. En gros, hein. Rapide, dribbleur, instinctif, buteur, gaucher magique, Arjen a tout pour plaire. Tout, sauf cet égoïsme chronique dont il n’arrive pas à se défaire. Car si Arjen dribble, derrière, Arjen frappe. Et bien souvent, Arjen marque. Voilà d’ailleurs le véritable problème, comment jeter la pierre à quelqu’un qui réussit ? Impossible, tout simplement. Ulrich Ramé, ancien gardien international, est de cet avis : « De toute façon, il ne sera jugé que si ça ne se passe pas bien. Si ça finit au fond, personne ne dit rien. » Et force est de constater qu’Ulrich a raison. Car on est bien obligé de crier au génie quand le Hollandais dégarni élimine trois joueurs, plus le gardien, avant d’envoyer une patate au fond des filets. Et ce, même s’il lui était possible de décaler un coéquipier totalement démarqué à côté de lui. En revanche, on l’aurait traité de salaud s’il n’avait pas marqué. Question de finalité, en fait.
De toute façon, Robben fait ce qu’il sait faire de mieux : du Robben. Ça fonctionne et tant mieux. Ses coéquipiers ne vont quand même pas oser s’en plaindre. Pour José Broissart, ancien directeur du centre de formation de l’OL, « les grandes équipes ont un jeu collectif, évidemment, mais quand on regarde bien, ce sont les individualités qui font la différence sur le terrain. Dans les grandes compétitions, comme la Coupe du monde, ce sont toujours les grands joueurs qui font la différence. Et peu importe qu’ils aient fait la différence par une passe ou par un geste technique. » Voilà qui explique beaucoup de choses. On demande à Robben de faire la différence, et il la fait, le bougre. Que demander de plus, finalement ? Le Néerlandais se repose sur ses qualités intrinsèques, sur ce qu’il a de meilleur en lui : la vitesse et le dribble, en somme. Pour Broissart, qui a eu à diriger un paquet de gamins au centre de formation, il est important de s’appuyer sur les qualités individuelles dont les jeunes des centres de formation peuvent faire preuve, « si un joueur a des qualités de dribbleur, par exemple, bah il faut le pousser dans ce sens-là pour qu’il devienne vraiment exceptionnel dans ce domaine-là. »
Le perso fait gagner
Nul doute que les formateurs du petit Arjen ont dû le pousser dans ce sens-là, alors. Car, la planète foot est bien obligée de l’admettre, le talent et la réussite du joueur du Bayern sont immenses. Et si Arjen énerve, il fascine tout autant. Et même si ses coéquipiers doivent parfois se sentir lésés, Ulrich Ramé assure que « si sur le moment ça peut-être frustrant, au final il n’y a que le résultat qui compte » . Et l’ancien portier des Girondins d’ajouter : « Il ne faut pas oublier qu’un joueur qui arrive à faire la différence, c’est forcément une plus-value pour une équipe. » Et oui, car s’il énerve, Robben fait souvent gagner son équipe. Une sorte de génie, quoi. Et peut-être pas si perso que ça, finalement. Du moins, pas de façon volontaire. En effet, pour comprendre un peu plus le jeu du Batave, José Broissart estime important de se pencher sur l’aspect physique de son jeu. À force de courir partout et très vite, Robben perd forcément en lucidité : « Il faut avoir conscience que parfois, s’il ne fait pas la passe, c’est qu’il est cuit. Quand tu fais une course de 30 mètres, que tu as éliminé un ou deux joueurs, tu ne vois plus ce qu’il y a à côté de toi, et donc tu vas jusqu’au bout tout seul. »
Et oui, parfois Robben a juste les œillères à cause de l’effort physique qu’il vient de réaliser et pas forcément à cause d’une vision trop individualiste du foot. De toute façon, Arjen continuera sûrement d’énerver pendant encore un petit moment. C’est certain. Mais Robben continuera surtout à nous régaler par ses accélérations folles et ses dribbles extérieur pied gauche fabuleux. Et s’il choisit encore la solution individuelle à l’avenir, laissez-le faire, c’est son boulot. Et il le fait plutôt bien, le salaud.
Par Gaspard Manet