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Rio Ferdinand et la parenthèse Bournemouth
Promu pour la première fois de son histoire en Premier League cette saison, Bournemouth demeure un club modeste où peu de grands noms sont passés. Il y a bien eu Jermain Defoe, Jamie Redknapp ou encore David James, mais le plus grand joueur ayant enfilé le maillot des Cherries reste Rio Ferdinand. Ça n'a duré que trois mois en troisième division, entre novembre 1996 et janvier 1997. Suffisant, à l'époque, pour démontrer qu'il surclassait tout le monde et susciter déjà l'intérêt d'un certain Alex Ferguson.
Même si le souvenir est lointain, profondément enfoui, l’homme n’a pas oublié. Avec cette classe naturelle qui l’a toujours escorté durant sa carrière, Rio Ferdinand se joint lui aussi aux festivités. Ce 28 avril 2015, alors que Bournemouth vient d’officialiser sa promotion en Premier League – une première dans son histoire –, le défenseur qui approche d’un crépuscule inéluctable félicite les Cherries pour leur exploit. « Félicitations à Bournemouth pour sa promotion en Premier League… Une histoire digne d’un conte de fées ! Je parie que les joueurs ne lavent pas leur tenue comme ils le faisaient quand j’y étais prêté ! » a-t-il tweeté dans cet élan d’euphorie générale. Une pensée sincère de la part de « Ferdy » , lequel a fréquenté autrefois le club de cette station balnéaire du Sud de l’Angleterre. Une brève et courte parenthèse de trois mois, mais « qui a joué un rôle dans (s)on développement » , dixit lui-même. Là-bas, il a appris. Et montré en seulement quelques apparitions toute l’étendue de son talent.
Congrats to Bournemouth on promotion to the PL..fairytale stuff-Bet the players aren’t washing their kit like they were when I loaned there!
— Rio Ferdinand (@rioferdy5) 28 Avril 2015
« Le genre de joueur que le football anglais réclamait depuis longtemps »
Avant d’atteindre le pinacle et d’y siéger pendant plus d’une décennie avec Manchester United (2002-2014), avant les frissons distillés avec Leeds United (2000-2002), il y a donc eu cette aventure éphémère à Bournemouth. Un prêt de trois mois entre novembre 1996 et janvier 1997. Alors, comment se fait-il que Rio Ferdinand se soit retrouvé à traîner ses crampons sur les pelouses de Football League Second Division, l’ancienne Football League One (troisième division anglaise) ? À l’époque, le Britannique sort du centre de formation de West Ham en même temps qu’un certain Frank Lampard et reçoit des louanges répétées de la part de Tony Carr, responsable de l’Academy des Hammers. De douces paroles qui ne tardent pas à parvenir aux oreilles du manager principal de l’équipe, Harry Redknapp.
Et après l’avoir observé à plusieurs reprises avec la youth team, l’inénarrable entraîneur anglais succombe rapidement. Parce que le talent du jeune joueur est ostensible et ne souffre aucune contestation. « Il était le genre de joueur que le football anglais réclamait depuis longtemps, se remémorait Harry Redknapp, en 2014. Quelqu’un qui pouvait ressortir le ballon de la défense avec style et de manière propre. C’était un milieu de terrain quand il est venu chez nous et nous l’avons reconverti en tant que défenseur central. Quand vous regardez tous les plus grands, ils ont tous reculé d’un cran. Franz Beckenbauer, Lotthar Matthäus… Ils ont commencé au milieu de terrain et sont devenus cultes quand ils ont joué derrière. Rio était capable de passer, de relancer et de lire le jeu. C’était un jeune joueur avec de réelles possibilités. » En 1995, Ferdinand accède au rang de professionnel en signant un contrat de cinq ans en faveur de la formation londonienne, avec un salaire hebdomadaire de 450 livres sterling.
Mister Class et Ferguson déjà aux aguets
Le défenseur n’a même pas encore vingt piges que les étapes s’enchaînent. Le 5 mai 1996, il effectue ses débuts dans le grand bain du monde professionnel contre Sheffield Wednesday. Une seule apparition au cours de la saison qui suffit pourtant à convaincre Terry Venables, boss des U21 des Three Lions, de le sélectionner à l’été 1996 avec Lampard dans le groupe pour les matchs qualificatifs à l’Euro. Mais, au début de l’exercice 1996/1997, « Ferdy » doit ronger son frein sur le banc de West Ham malgré les promesses entrevues. Une situation plus que frustrante pour le principal intéressé : « Harry pensait peut-être que j’étais un peu trop jeune et trop impatient à ce stade. Je voulais à tout prix évoluer en équipe première et cela m’a pris la tête, car j’y pensais beaucoup trop. » Afin de répondre aux desiderata de son poulain, Redknapp décide de l’envoyer en prêt à Bournemouth, club qu’il avait auparavant dirigé (1984-1992) et désormais coaché par l’un de ses amis, l’expérimenté Mel Machin.
Là-bas, dans le Sud du Royaume, Rio se voit accorder un temps de jeu conséquent. Surtout, le gamin régale chaque week-end : sens du placement, vision de jeu panoramique, relance soignée et, déjà, cette volonté assumée de défendre debout plutôt que de tacler (en dix-neuf ans de carrière, il ne totalise en club que 51 cartons jaunes et 1 rouge toutes compétitions confondues, ndlr). Coïncidence ou pas, au cours des dix matchs de championnat auxquels l’Anglais prend part, les Cherries n’en perdent pas un seul (5 victoires et 5 nuls). Mel Machin, qui a eu le privilège d’assister au quotidien aux transversales délicieuses du joueur, livrait, il y a un an, une anecdote sur le souvenir que lui inspirait son passage. « Un jour, alors que nous étions en train de nous rendre à l’entraînement, j’étais en train de marcher derrière lui et j’ai dit : « Hey, Class ! » Et Rio s’est immédiatement retourné. Il savait ce que cela signifiait » , racontait-il, un brin amusé.
« À vendre ? Oui… contre Beckham »
Si l’enfant de Peckham s’épanouit sur les pelouses boueuses de troisième division, il s’accommode en revanche bien moins de la quiétude de la ville de Bournmouth, lui le fêtard impénitent habitué à la vie trépidante londonienne : « Parfois, je retournais dans ma chambre à Bournemouth et je restais seulement assis devant la télévision toute l’après-midi. Cela m’a permis d’apprécier West Ham et tout ce qu’il y avait au club. Cette expérience m’a rendu meilleur. » C’est d’ailleurs au cours de celle-ci qu’Alex Ferguson, manager de Manchester United, commence à s’intéresser grandement à la nouvelle promesse du football anglais. Mais il faudra le retour précipité de Ferdinand dans la capitale, en janvier 1997 après seulement trois mois à Bournemouth, en raison d’un trop grand nombre de blessés à West Ham, pour que l’icône écossaise se manifeste réellement.
Après une prestation éblouissante du Hammer malgré une défaite à Blackburn (2-1, 1er février), Fergie appelle Redknapp et lui demande si Ferdinand est à vendre. La réponse de son homologue, claire et limpide, prête à sourire. « Bien sûr, si nous pouvons avoir en échange David Beckham » , lui a rétorqué celui qui a plus tard appelé Ferdinand comme la « Rolls-Royce des défenseurs » . Le manager des Red Devils devra encore patienter six ans d’avant de l’enrôler. Le temps que Rio quitte les Hammers. Le temps qu’il s’enhardisse à Leeds United (2000-2002) et que ses dirigeants courbent l’échine devant un chèque record de 40 millions de livres. Parce qu’à l’époque, la classe n’avait pas de prix.
Par Romain Duchâteau
Tous propos recueillis dans le livre Rio Ferdinand – Five Star – The Autobiography de Wensley Clarkson (2014)