Bonjour Rinat. Vous vous faites assez discret depuis quelques années, on n’a plus trop de nouvelles. Vous êtes toujours entraîneur des gardiens au Spartak Moscou ?
Oui. (il parle très lentement) Je suis toujours en charge de l’entraînement des portiers pour la deuxième équipe, l’équipe réserve du Spartak.
Ce n’est pas un manque d’ambition pour un ancien joueur de votre stature ? Vous n’avez jamais eu l’envie de devenir coach principal ?
Si, cela reste dans un coin de mon esprit. C’est une idée. Mais bon, pour l’instant, je n’envisage pas de la concrétiser, j’attends la bonne occasion.
Bon et sinon, comment va la vie ? Pour un Russe en villégiature à Monaco, vous n’avez pas l’air très heureux. Vous avez failli vous endormir en conférence de presse…
Si, si, je suis heureux (sourire). C’est juste que je suis beaucoup sollicité depuis hier soir.
C’est ça aussi être une star…
Je suis toujours comme ça, assez flegmatique. Je suis pris sans arrêt par les interviews, c’est fatiguant.
La célébrité, ça vous pèse ?
Non, non, cela me fait très plaisir. C’est toujours agréable que les gens vous reconnaissent même trente ans après la fin de votre carrière. J’assume la célébrité (sourire).
En tant que meilleur gardien des années 80, tout en sobriété et en réflexes sur la ligne, qu’est-ce que vous pensez de l’évolution du poste de gardien de but ?
Le style des portiers a beaucoup changé. Cela ne s’est pas fait d’un coup, c’est difficile d’expliquer d’où vient ce phénomène ou à quoi il correspond. Mais le jeu est très différent, cela se voit au premier coup d’œil.
Vous faites par exemple référence au fait que l’on demande de plus en plus aux portiers d’utiliser leurs pieds, d’être les premiers relanceurs de l’équipe ?
Non, je ne parle pas vraiment des mains ou des pieds (silence). C’est vraiment techniquement que la gestuelle a changé, notamment dans la manière d’attraper le ballon. À mon époque, on sautait le plus haut possible pour attraper le ballon et vite relancer, maintenant les gardiens se laissent tomber et gagnent du temps. Avant, on bloquait le ballon, maintenant, on le repousse. C’est aussi une autre manière de jouer pour les sorties aériennes. C’est complètement différent en matière de gestuelle.
La Russie a une longue tradition de qualité dans le domaine des gardiens de but. D’abord avec Lev Yachine, puis vous, Rinat Dasaev. Plus récemment, et à un degré moindre, il y a eu Igor Akinfeev et Viatcheslav Malafeïev. Quel est le secret de l’école russe ?
C’est vrai, on peut dire que, de tout temps, la Russie a toujours formé de grands gardiens, c’est une priorité pour nos écoles de foot. Cela a commencé avec Lev Yachine. Depuis, dans n’importe quelle génération, nous avons au moins eu un gardien qui a fait partie des meilleurs d’Europe. Je crois que cela tient avant tout à la qualité de nos entraîneurs, qui sont très forts pour enseigner la technique si particulière du poste. Et puis surtout, du temps de l’URSS, nous avions un grand régime de discipline. Tout le monde était très concentré à l’entraînement, faire le maximum ne suffisait pas. Il fallait s’investir comme jamais pour progresser. Le travail et le sérieux, c’est la base de notre succès.
Vous avez raconté un jour que vous aviez aussi été aidé par Harald Schumacher…
Oui, quand j’étais plus jeune, j’avais l’habitude d’inscrire dans un cahier les différents exercices des gardiens de but du monde entier. Avec mon entraîneur à l’époque, Constantin Beskov, on les reproduisait à l’entraînement pour progresser. Schumacher avait bien voulu me confier tous ses exercices de préparation physique, et c’est vrai qu’ils étaient très efficaces. C’est de loin celui qui m’a le plus aidé pour monter mon niveau.
Personnellement, quel est votre point fort en tant qu’entraîneur ? Qu’est-ce que vous pouvez apprendre aux jeunes, étant donné que le poste a beaucoup changé depuis votre époque ?
J’ai mis au point mon propre système de sélection, qui est en soi assez différent de la tradition nationale et de l’école russe. J’ai mis tous les gardiens du club devant moi et j’ai sélectionné les meilleurs. Je me concentre uniquement sur ceux que je pense pouvoir améliorer rapidement, ce qui est assez rare comme méthode en Russie.
Vous leur enseignez le secret de la relance à la main ?
Oui, c’est vrai que c’est ma spécialité (sourire). À l’époque, c’était assez novateur, mais aujourd’hui, c’est devenu indispensable. Durant ma carrière, je n’ai jamais fait d’entraînement particulier pour apprendre à faire le geste, c’était assez naturel pour moi. C’est une technique que j’ai perfectionné au fil des matchs et c’est vrai que cela nous donnait un grand avantage, notamment en matière de rapidité pour les contre-attaques. Après avoir intercepté le ballon, je choisissais juste la meilleure cible sur le terrain, et je lançais mon bras. On se souvient de moi grâce à cette technique, c’est mon truc à moi.
Vous avez aussi été précurseur dans un autre domaine. À la fin des années 80, vous avez été l’un des premiers joueurs russes à quitter l’URSS pour signer en Europe…
J’ai signé à Séville en 1988, un petit contrat de 6000 francs. À la base, je suis parti pour des raisons financières et économiques. Mon contrat n’a duré que trois ans, mais j’ai passé au total plus de dix ans en Espagne et je parle maintenant très bien la langue. L’Espagne est devenue ma seconde maison. Aujourd’hui encore, j’ai beaucoup d’amis espagnols. Avec le recul, c’est une très grande satisfaction pour moi d’avoir pu travailler dans un autre pays, et de découvrir une mentalité et une culture différente, même si le changement a été brutal.
Cette année-là, vous avez aussi joué la finale de l’Euro avec l’URSS contre les Pays-Bas, en encaissant notamment un but de légende de Marco van Basten. Verra-t-on à nouveau la Russie revenir un jour au plus haut niveau ?
Il n’y a pas de possibilités pour l’instant.
Ah bon ? Qu’est-ce qui manque ?
Un peu de tout. Les jeunes joueurs russes sont attirés par la carrière de footballeur, car ils veulent gagner de l’argent, mais ils ne sont pas prêts à s’investir suffisamment dans le travail pour progresser. Ils ont l’amour de l’argent, mais pas celui du football.
Julian Nagelsmann, le temps de l’expérimentation