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Ricardo Zielinski : « Le système de jeu, c’est le moins important »

Par Markus Kaufmann, à Córdoba
13 minutes
Ricardo Zielinski : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Le système de jeu, c&rsquo;est le moins important<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Diego Simeone ? Tata Martino ? Alejandro Sabella ? Et si le meilleur entraîneur argentin des dernières années était Ricardo Zielinski, alias le Russe ? Depuis 2011, le barbu costaud aux airs plutôt slaves que latins a fait des Piratas de Belgrano la sensation de la première division argentine. Une ascension provinciale qui cache l'organisation d'un club sérieux au pays de l'éphémère et des raccourcis, mais qui a surtout révélé Zielinski. Un entraîneur de football au chemin cabossé, qui a longtemps vécu de son bar plus que de son tableau noir, et qui a des choses à dire.

Le barrage Belgrano contre River en 2011, c’était un peu les pirates contre l’empire, non ? Et il paraît que l’empire n’a pas tout fait dans les règles…

La veille du match retour à Buenos Aires, entre 200 et 300 supporters de River ont manifesté devant notre hôtel pour nous empêcher de dormir. Quelques-uns avaient même réservé des chambres dans l’hôtel et ont pu balancer des fumigènes dans les couloirs des chambres. Ils l’ont fait deux fois en plein milieu de la nuit et il a fallu tout évacuer et descendre dans le lobby. Et dans ces situations, tu dois descendre par les escaliers… On était là, en caleçon, à aider les personnes âgées… Mais bon, on savait que ça allait arriver. On n’a pas donné beaucoup d’importance à cette histoire. Et puis, je viens d’Isla Maciel (quartier populaire du Sud de Buenos Aires, ndlr), ils n’allaient pas m’intimider avec ça…

D’où est sorti Belgrano ?

En 2001, le club a fait faillite (une dette de 20 millions de pesos, ndlr) et le club a été repris par Armand Pérez en 2005. Le président l’a sorti de ses problèmes en payant la dette du club progressivement, en 5 ans. Moi, je suis arrivé fin 2010, et institutionnellement, le club était déjà remis sur le droit chemin. Je suis arrivé dans une structure très fonctionnelle, et c’est ce qui m’a séduit. Mais sportivement, ça n’allait pas (trois saisons et demie d’affilée en seconde division, ndlr). Avec mon staff, on a eu de la chance, parce qu’on a immédiatement mis le sportif au niveau de l’institutionnel. On est remonté en première division dès la première saison, et avec la vente de Franco Vázquez à Palerme et d’un autre garçon, on a pu acheter un terrain pour construire ce centre d’entraînement. Tout est allé très vite, mais avec de belles bases, pas à pas.

Quels sont les mérites du président Armando Pérez ?

Tout part de lui. Avec l’argent encaissé par les ventes, n’importe quel autre président aurait racheté de nouveaux joueurs, pris des risques, cédé à la pression populaire pour ramener des « renforts » . Mais pas lui. Il s’est dit qu’un centre de formation de qualité nous rapporterait de futures belles ventes. Et aujourd’hui, pour le sérieux de ses dirigeants, sa structure et son centre d’entraînement, je n’ai pas peur de dire que Belgrano fait partie des cinq meilleurs clubs d’Argentine. Le budget compte, mais l’intelligence aussi. Quand un club travaille pour réussir, la réussite n’est plus une surprise.

Quelle est la clé pour que le centre de formation fasse partie du projet sportif de l’équipe première ?

C’est une question d’harmonie. Cela ne passe pas seulement par les joueurs, mais tout ce petit monde qui les entoure. Et les jeunes en font partie. Nous, pour des questions naturelles, on privilégie toujours les jeunes du club plutôt que le marché extérieur. Et c’est un cercle vertueux. Les jeunes voient que Belgrano donne sa chance aux jeunes, et donc les meilleurs jeunes veulent venir ici. C’est un long processus. Cela fait quatre ans qu’on est dedans. Fondamentalement, ce sont des messages envoyés à l’extérieur. C’est ce qui est arrivé avec Argentinos Juniors : ils ont formé Maradona et l’ont fait débuter à 15 ans en équipe première, et pendant les trente années suivantes, tous les jeunes ont voulu aller là-bas (Redondo, Riquelme, Cambiasso, Sorín, entre autres, ndlr). À une autre époque, on n’avait pas ça. Les équipes de Buenos Aires avaient les meilleurs joueurs de Córdoba. C’est une tendance qu’il faut lancer, pour donner envie aux joueurs de venir et transmettre du sérieux. Rosario et Córdoba sont des viviers exceptionnels, mais avant, ils allaient tous à Buenos Aires. Dans le futur, les fruits seront récoltés. Aujourd’hui, si un Javier Pastore ou un Pablo Aimar traîne quelque part dans les rues de Córdoba, on peut espérer qu’il viendra toquer à la porte de Belgrano pour se former, à la place de rejoindre la capitale.
Au mercato, t’as des équipes qui dépensent 1000, et d’autres qui dépensent 10. Le problème, c’est qu’à l’heure de juger le travail, personne ne se souvient de ces conditions de départ

Et que manque-t-il aux autres clubs pour reproduire ce schéma ?

De la patience. Nous, on a lancé notre processus d’équipes de jeunes il y a quatre ans, et on a des résultats. Donc c’est très bien. Mais parfois, tu fais tous les efforts du monde dans le bon sens, et ça ne vient pas tout de suite. Si tu veux faire jouer des jeunes, il faut être sûr de toi et de tes idées, hein… Mais les gens n’ont pas de patience. Au mercato, t’as des équipes qui dépensent 1000, et d’autres qui dépensent 10. Le problème, c’est qu’à l’heure de juger le travail de chaque staff, personne ne se souvient de ces conditions de départ. Au milieu de la saison, tout le monde a déjà oublié si tu as pu dépenser beaucoup, si tu as dû vendre tes meilleurs joueurs, si tu joues avec des joueurs de la réserve, etc. Et je ne parle pas des blessés, hein, parce que là, j’estime que la responsabilité repose sur les épaules du staff.

Vous avez toujours su que vous alliez entraîner ?

Je me suis blessé assez jeune (sur un duel avec un autre gaillard : Sergio Batista, ndlr) et j’ai réalisé à ce moment-là que je n’atteindrais pas le niveau que je souhaitais en tant que joueur. Alors, je me suis mis à m’intéresser à ce que faisaient mes entraîneurs. Très tôt, j’ai pris des notes sur les exercices, je me mettais à voir des choses que les autres joueurs ne voyaient pas. C’est une question d’attention, rien de sorcier. Et c’est comme ça que j’ai commencé. Mais bon, ça ne m’a pas évité de débuter dans la catégorie la plus basse du football argentin, où j’ai dû gagner, gagner et gagner. Dans ces divisions, soit tu gagnes et tu montes, soit tu ne changes jamais de division. C’est une constante en Argentine. Tu dois être champion pour changer de division. Ou alors, t’es un Simeone.

C’est-à-dire ?

Regarde les entraîneurs d’Amérique latine qui partent entraîner en Europe. Ils partent grâce à leur image, pas vraiment pour leurs mérites en tant qu’entraîneur. J’ai énormément de respect pour le superbe travail de Diego Simeone, mais il n’a pas été engagé par Chelsea : il a été engagé par l’Atlético parce qu’il connaissait les gens et qu’il avait laissé une super image là-bas lorsqu’il jouait au club. Il n’y a pas beaucoup de secrets dans le football. Moi, vu que je n’avais pas un nom assez gros pour débuter en Primera, donc j’ai dû commencer dans la C. Et il a fallu gagner beaucoup pour monter. Le système est comme ça.

On a beaucoup parlé de Belgrano comme d’une machine efficace à gagner des points. C’est quoi, le style Zielinski ?

Le style n’est pas donné par un entraîneur, mais par les joueurs. Si seulement t’as des joueurs de niveau, le style peut varier. Dans ce sens-là, il faut être assez intelligent pour ne pas tomber dans la prétention et savoir comment les joueurs que t’as à disposition peuvent jouer. Il ne suffit pas de jouer en 4-2-3-1 pour jouer comme le Real Madrid. Il faut les joueurs, sinon je ne te dis pas ce qui va se passer… (rires) Les gens pensent qu’en copiant un système, tu vas bien jouer. Mais un système, ça peut s’analyser, ça ne peut pas se copier. En ce qui concerne nos équipes, elles ont toujours été dures, difficiles à jouer, inconfortables pour les adversaires. Mais ça, ce n’est pas un style. C’est un état d’esprit.
Tous les systèmes ont été champions, tous les systèmes ont été relégués. L’important, c’est les joueurs, toujours

Et le système de jeu, ça n’est pas important ?

Le système, c’est le moins important. Tous les systèmes ont été champions, tous les systèmes ont été relégués. L’important, c’est les joueurs, toujours. Donc l’entraîneur, il doit avant tout savoir interpréter. De quoi a-t-il besoin ? Trois attaquants ? Et si t’en as pas ? Et deux lignes de 4 ? Oui, mais si tu n’as pas d’ailiers ? Et deux attaquants ? Tout dépend des joueurs. Or, les joueurs ont une essence, meilleure ou pire. Ils sont modifiables, mais l’essence ne se modifie pas : un joueur peut devenir plus ou moins ordonné et discipliné tactiquement, mais l’intelligence de jeu, la lecture du jeu, elle est naturelle. J’aimerais avoir des joueurs qui savent résoudre les situations en pensant sur le terrain, mais par nécessité économique, on ne peut pas acheter de joueurs d’élite. Donc les équipes comme Belgrano, au budget très faible, ne s’appuient pas sur un seul joueur, mais sur un ensemble.

Qu’est-ce qu’apporte un entraîneur, alors ?

Aujourd’hui, tu ne peux pas te baser sur un seul point fort. Entraîner, c’est un tout. Les détails font que tout marche bien ou mal. Si tu te trompes sur un détail, tu peux tout faire tomber. Rien n’est plus important que le reste. Ce que j’essaye de faire vraiment, pour que les joueurs et les gens donnent le meilleur d’eux-mêmes, c’est de faire en sorte que tout le monde soit heureux et travaille convenablement dans une belle ambiance. Ça part de la star de l’équipe première au premier employé du centre d’entraînement. Et puis, il y a l’entourage, tous ces gens que les joueurs croisent. Certains ne donnent pas assez d’importance à l’entourage, mais c’est primordial. Cela rejoint ce qu’on disait tout à l’heure sur les succès du centre de formation. Et ensuite, seulement après, sur la tactique, tu peux faire des erreurs. Mais tu dois créer un contexte positif. C’est la clé. Et pour ça, deux qualités me paraissent essentielles : la simplicité et le fait de savoir tirer le meilleur de chaque joueur. Surtout quand t’entraînes dans l’austérité, et non dans l’abondance.

T’as des exemples ?

J’en ai discuté avec Paolo Montero, l’ex-Uruguayen de la Juve, à propos d’Ancelotti et de Lippi. Il nous avait raconté une histoire. À Turin, Lippi avait préparé un entraînement, et ça n’avait pas du tout marché. Apparemment, c’était une histoire de positionnement du latéral par rapport à ses milieux. Lippi était convaincu de son idée, et il insistait pour que les joueurs reproduisent son schéma. Puis, après autant d’essais que d’échecs, Lippi arrête l’entraînement et demande à Ciro Ferrara ce qu’il pense de la nouveauté. D’après Montero, Ferrara lui a dit pourquoi ça ne marchait pas, et lui a donné une autre idée. Ça a marché, et Lippi a fait en sorte d’entraîner cette phase de jeu d’après les concepts de son joueur. Il faut avoir une grandeur fantastique et une autorité énorme pour être capable de faire ça devant tout un groupe.

On t’a longtemps catalogué comme un entraîneur de seconde division, non ?

Je n’ai jamais vécu du football, jusqu’à très récemment. Durant toute ma carrière, j’ai toujours dû faire des petits investissements à droite à gauche pour aider. Je faisais de l’entrepreneuriat familial, quoi. Je tenais un bar à Lanus, par exemple. À l’époque, il fallait payer cher le câble pour pouvoir voir les matchs, tout le monde n’en avait pas les moyens, donc tous les bars étaient des mini-stades. C’était bien, pour voir les matchs. Aujourd’hui, c’est différent avec le programme Futbol para todos (tous les matchs de football argentins sont retransmis sur une chaîne publique, ndlr). Bref, ce que je veux dire, c’est que malgré cette vie différente, je n’étais pas un moins bon entraîneur qu’aujourd’hui. Il n’y a pas d’entraîneurs de première division et d’entraîneurs de seconde division. Pour moi, il y a des bons entraîneurs et des mauvais entraîneurs. C’est comme les journalistes. Ce n’est pas parce que tu travailles pour un grand média que tu es un meilleur journaliste qu’un type qui bosse pour une radio locale. Ce n’est pas où tu exerces ton métier qui importe, c’est comment. Pareil avec les coachs.

Et dans ce bar, tu regardais plus particulièrement les matchs de quelle équipe ?

San Lorenzo. C’est l’équipe la plus grande d’Amérique. Mais oui, je sais, ils ont mis un siècle à le rendre officiel… (rires)

Qu’est-ce que t’a apporté cette expérience dans les divisions inférieures ?

Tu apprends toujours plus des erreurs que des bons choix. Alors forcément, imagine en 15 ans…

Comment va le football argentin ?

Le football argentin a des points forts, et le premier est que son championnat est une source inépuisable de générateurs de talents. Le point faible, c’est que ces talents s’en vont très vite, et reviennent très tard. Il y a un écart générationnel entre ceux qui naissent et ceux qui meurent ici. Prenons l’exemple de Franco Vázquez… Il a pris du temps pour s’adapter au football européen. Mais c’est parfaitement normal. En réalité, même ici, sous notre direction, il n’était pas tout le temps titulaire, il alternait. Mais la vente est allée vite. Il a fait une super saison, et ça a suffi pour convaincre Palerme. C’est pareil pour tous les joueurs sud-américains qui partent en Europe, ils ont trois équations à résoudre de façon immédiate : une question mentale de bien-être, une question physique de mise à niveau disciplinaire au niveau des entraînements et de l’alimentation, et une question footballistique liée à la compréhension d’un nouveau championnat, sans parler des nouveaux coéquipiers, d’un nouvel entraîneur. Et donc presque personne ne peut assimiler tout cela si rapidement, surtout lorsqu’ils ne sont pas prêts. Il leur manque quelques minutes au four, quoi.
Vivre en Europe n’est pas évident. C’est un autre continent, pas de famille, pas de maison. Leur copine leur manque… La femme, c’est primordial pour un joueur de football.

Ça n’a pas toujours été comme ça ?

Avant, on arrivait en première division à 24 ans. Eux, ils partent à dix mille kilomètres de leurs repères avec peu de matchs joués, peu d’expérience, et le processus d’adaptation en Europe n’est pas facile. Ils sont confrontés aux meilleurs joueurs au monde. Ils ne sont pas bien « cuits » . Vázquez s’est mis à bien jouer seulement l’an passé en Serie B, après avoir eu des difficultés en Serie A et en Liga avec le Rayo. Dans quelques clubs européens, tu joues un ou deux matchs, ça ne marche pas trop et un nouveau joueur est acheté. Vivre en Europe n’est pas évident. C’est un autre continent, pas de famille, pas de maison. Et puis c’est des gamins à 20 ou 21 ans. Leur copine leur manque… La femme, c’est primordial pour un joueur de football.

Comment juger le niveau du championnat argentin, alors ?

Pour moi, ça reste l’un des cinq ou six championnats les plus compétitifs au monde, en ce qui concerne le défi qu’il représente pour les entraîneurs. Regarde, on a fini deux fois deuxième ces dernières années (en 2011 et 2012, ndlr). Une fois à égalité avec le Racing de Diego Simeone, et une autre à égalité avec le Newell’s de Tata Martino. Deux des meilleurs entraîneurs au monde, non ? En Europe, c’est un peu plus facile au niveau de la compétition. Ici, les entraîneurs doivent avoir énormément de qualités pour réussir, parce qu’en plus des aléas du football et de l’adversaire, tu dois assembler une équipe avec un matériel qui n’est pas le même qu’en Europe. Il faut des capacités pour créer, pour construire… et aussi pour détruire… (clin d’œil)

Tu regardes beaucoup de football européen ?

Bien sûr. Ici, on regarde combien de matchs tous les week-ends, les gars ? 15, 20, 30 matchs ? La Serie A, la Bundesliga, la Premier et la Liga. Tout ce qui passe, quoi. Le club a des observateurs et des analystes de vidéos, mais pour nous, le staff, c’est une question personnelle. On ne peut pas s’en passer. On vient ici le week-end et on travaille en regardant des matchs de football.

À quel entraîneur t’identifies-tu le plus ?

Celui que j’aime le plus, c’est Mourinho, même s’il a fait quelques trucs qui ne m’ont pas plu ces dernières années. Mais généralement, chaque entraîneur essaye de prendre des éléments de chaque grand technicien. Ancelotti, ça c’est un entraîneur que j’admire. Pas forcément pour son jeu, mais pour sa simplicité. Dans cette profession, il faut savoir être le plus simple possible, et attention hein, c’est très compliqué d’être simple dans tous les secteurs du métier d’entraîneur. Et j’ai l’impression qu’Ancelotti est un as de la simplicité. Comme Carlos Bianchi l’a été en Argentine.

T’aimerais entraîner en Europe ?

Oui, bien sûr. Ce serait super. N’importe quel professionnel a envie d’aller toujours plus loin. Mais si ça n’arrive jamais, ce n’est pas la fin du monde.
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