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Rica Lewis, le nouveau millénaire
Anciennement présente sur le maillot de l’OGC Nice comme sur celui de l’ES Troyes, la marque de textile Rica Lewis aura scotché une génération entière avec son logo si charismatique. Le résultat de rencontres entre hommes simples, pour une belle histoire de 2000 à 2007 sur les maillots de Ligue 1.
Sur les hauteurs de Marseille, la Bonne Mère garde un œil sur sa ville et sa populace. Elle observe les enfants filer à l’école le matin, voit les bateaux quitter le Vieux-Port pour partir à la pêche ou scrute les commerçants monter leurs affaires. En 1928, elle est spectatrice d’un accord entre les époux Lévy, Rica et Charles, pour la création d’une marque de jeans française. C’est le début d’un nouveau commerce. Qui aurait alors pu croire que 80 ans plus tard, cette griffe se retrouve ancrée dans l’histoire des maillots de l’ESTAC et de Nice ? Pas grand monde, a priori. C’est pourtant lors de son rachat en 1988 que tout va basculer. Fan de football depuis sa tendre enfance, Dominique Lanson se veut être un directeur général proche du monde sportif. Et à Marseille, qui dit sport dit Vélodrome. « Cela démarre en 1991, avec un peu de panneautique autour du stade Vélodrome de Marseille, explique Lanson. C’était notre place historique. On commence plutôt bien, parce que 1991 pour l’OM, ça se finit à Bari. » Avec un bon pied à l’étrier, Rica Lewis prend rapidement goût à se retrouver dans le milieu du football, même si tout le monde ne s’y intéresse pas encore. Dans les catégories de jeunes de l’Olympique de Marseille à l’époque, Olivier Echouafni contextualise. « Sur Marseille, je n’en avais pas beaucoup entendu parler. On portait du Old River à l’OM. C’était une période où l’on avait tendance à mettre des affaires comme des smokings, des vestes simples. Chez Rica Lewis, ils ont été précurseurs : porter du sportswear avec des jeans, des polos, ce n’était pas habituel. Pour les joueurs et leur image, cela devenait plus intéressant de porter un style sportif, même en avant-match. » Rica Lewis prend ses marques.
« L’ESTAC, c’était la vraie PME à notre image »
Dans le milieu du ballon rond, Dominique Lanson fait ainsi la rencontre de Jean-Claude Darmon, un homme qui va faire franchir un palier médiatique à l’entreprise. « Il me vend tous les matchs du dimanche soir sur Canal, cela marchait par packs, se rappelle Lanson. Et puis au printemps 2000, Darmon me dit qu’il faut sortir de la panneautique. Il me propose un maillot. Là, on change de schéma de jeu. On est en mai, et l’avantage qu’on a dans le textile, c’est que l’on a une lecture économique, on sait comment va se finir l’année. C’était des années où l’on progressait bien, donc je me suis lancé. J’avais Lille ou Troyes de disponible. Troyes, c’est le berceau du textile en France, la bonneterie, Petit Bateau, Lacoste… Je trouvais ça intéressant. L’ESTAC, c’était la vraie PME à notre image. » Sportivement en effet, Troyes est un club adepte du très bon avec très peu. Depuis 1993, Alain Perrin entraîne l’équipe avec ambition, et cela fonctionne. Après sept saisons et deux montées, les Aubois se hissent en Ligue 1 et obtiennent le maintien à la fin de la saison 1999-2000. C’est le moment où Rica Lewis offre son sponsoring. L’association fait un tabac. Troyes se retrouve qualifié pour la Coupe Intertoto et devance Marseille, Monaco ou le PSG au classement. Rica Lewis est au centre de toutes les attentions. « Pendant cette période, on avait le droit à des dimensions plutôt bien, une super place, évoque Lanson. J’avais quatre ans de contrat, c’était acquis, et le président me convainc aussi de faire l’Intertoto. On fait un peu plus petit pour rentrer dans les normes européennes, mais on la gagne contre Newcastle, un truc incroyable ! »
Ce fameux titre contre Newcastle à St James’ Park, Nicolas Goussé l’avait vécu sur le terrain. L’ancien buteur troyen garde encore en tête ce maillot devenu mythique. « Cette coupe intertoto, c’était une sacrée aventure… D’ailleurs, j’ai toujours des maillots Rica Lewis. Ils sont chez moi, dans un carton. J’aime bien garder au moins un ou deux maillots par équipe où j’ai joué. Ce maillot, ça me rappelle Celestini, Rothen, Loko et toute la bande. On avait fait une belle année, où tous les joueurs en avaient profité pour partir dans des gros clubs… Et puis sur le maillot, ça prenait de la place. Un logo jaune sur un maillot bleu, on ne pouvait pas nous louper ! » Dans un style désormais bien vintage, l’ESTAC continue son bonhomme de chemin la saison suivante et composte à nouveau un billet pour l’Intertoto. Les demandes des clubs pour engager Alain Perrin affluent, l’OM empoche la mise. Remplaçant du stratège, Jacky Bonnevay prend la suite, mais l’expérience tourne court. « Y a eu une connerie de faite avec un joueur non-qualifié contre Villarreal, ça nous élimine de la coupe, regrette Lanson. Derrière, Bonnevay sort au bout de quelques matchs et les entraîneurs se succèdent, Troyes tombe en deuxième division. Mais je reste avec eux encore une année sur le maillot… J’avais donné ma parole, c’était un engagement humain, pas que du sportif. » Présent en Ligue 2, Rica Lewis reste pour autant pensionnaire de Ligue 1 car entre-temps, sa visibilité s’est étendue.
Le Ricalewisico
Si la firme est marseillaise à l’origine, sa maison mère ne se situe plus dans les Bouches-du-Rhöne, mais dans les Alpes-Maritimes, à Carros. Le rachat par le groupe italien Grim est passé par là, et la proximité avec la frontière transalpine doit être plus marquée. Dès lors, Nice se rend bien compte qu’une entreprise locale travaillant avec l’ESTAC fait un peu désordre. « L’OGC Nice était détenu par des dirigeants serbo-croates, un Américain et Sensi, un Romain, rappelle Lanson. C’était pas très clair. Puis une nouvelle équipe arrive avec Maurice Cohen, Roger Ricort et Gernot Rohr. Ils voulaient récupérer l’entreprise niçoise… J’ai pris le short, et je leur ai dit : « Vous allez me prouver que vous êtes des bons, parce qu’avec vos présidents bizarres, c’est pas une bonne pub ! » » Le message est bien passé. Nice monte en puissance, Rica Lewis signe un partenariat sur quatre années, de 2003 à 2007. Et là encore, le club prend le logo pour un talisman, avec une qualification en Coupe Intertoto et une finale de Coupe de la Ligue en 2006. « Il nous a porté chance, ce flocage, résume Echouafni. Pour mon premier match avec Nice d’ailleurs, je me souviens avoir été pris en photo en train de remercier les supporters. On voyait bien le Rica Lewis, je crois que Dominique Lanson a gardé la photo. »
Au-delà de voir sa marque apparaître sur les jeux de maillots de Nice et Troyes, l’Orléanais de souche est un mordu de sport. « Ce Nice-Troyes n’avait eu lieu qu’une seule saison, en 2002-2003, rembobine Lanson. J’avais trouvé l’hôtel avec un terrain de jeu pour Alain Perrin pour s’entraîner à Nice… Après pour choisir une équipe, on va dire que je faisais le choix des points ! Je devais plus être supporter de Troyes, parce qu’ils n’étaient pas bien au classement… Et y avait déjà une différence de niveau à l’époque. Mais ça restait mes deux familles ! » De son côté, Olivier Echouafni garde en mémoire un homme de valeur. « Avec Lionel Letizi et moi-même, il était devenu notre partenaire à la mise en place des stages d’été Isola, rappelle l’ancien capitaine des Aiglons. Dominique, je lui parle encore… Je sais qu’il était déçu de terminer l’aventure avec l’OGC Nice. Cet aspect de convivialité ne s’y prêtait plus, et c’est aussi pour cela qu’il a quitté le club. » L’intéressé refuse toutefois d’y voir un quelconque malentendu. « C’était une autre époque. On avait une belle part du gâteau avec Gernot Rohr, une personne très humaine avec qui on savait qu’inviter des clients n’était pas problématique. Quand le staff change, le rendu n’est parfois plus le même. Mais cela reste des détails. Si j’ai quitté Nice, c’était dans une optique de renouvellement, de surprendre après sept années passées dans le foot. » Aujourd’hui encore présent sur le maillot de Gravelines en Pro A de basket ou sur celui, plus historique, des volleyeuses de Cannes, Dominique Lanson garde un orteil dans le monde du football. La raison est toute simple. « Sur un maillot, je pense que le football est parti à un stade où les prix des sponsors ont complètement flambé, boucle Lanson. Seul les grands groupes sont sur les maillots, pas des PME ou des gens de la fringue. Il y aura peut-être un petit logo sur un short voire un maillot extérieur, mais ce sera tout. Aujourd’hui, l’écart est trop grand entre la montée du football et nos chiffres d’affaires. Après, sur la panneautique, je reste sur des coups occasionnels, comme avec l’OM en 2013, ou maintenant Châteauroux. » Une bonne raison d’aller voir jouer la Berrichonne.
Par Antoine Donnarieix