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Révolution chez les Espagnoles

Par Anna Carreau
8 minutes
Révolution chez les Espagnoles

Après plusieurs tentatives de dialogue ces derniers mois, 15 joueuses de la sélection féminine espagnole ont dit stop jeudi dernier dans un mail envoyé à leur Fédération. Celles qui ont porté l'Espagne lors du dernier Euro y dénoncent des conditions peu propices à la performance sportive et demandent à ne plus revêtir la tunique ibérique tant que rien n'aura changé. Une situation de non-retour très peu du goût de la direction, qui préfère le clash à l'écoute. Résumé de la situation.

Vendredi 30 septembre, 16 heures. Pour affronter la Suède et les États-Unis, Jorge Vilda, le sélectionneur de l’équipe féminine d’Espagne, dévoile une liste avec 15 absentes de renom : Aitana Bonmatí, nommée au Ballon d’or, ainsi que six autres de ses coéquipières du Barça (Claudia Pina, Sandra Paños, Mapi Leon, Irene Paredes, Patri Guijarro et Mariona Caldentey) manquent à l’appel. Tout comme Lucía García et Ona Batlle (Manchester United), Laia Alexandri et Leila Ouahabi (Manchester City), Amaiur Sarriegi et Nerea Eizaguirre (Real Sociedad) et Jenni Hermoso et Andrea Pereira (Club America). Toutes, ou presque, étaient présentes lors du dernier Euro, en Angleterre, où l’Espagne s’est vautrée en quarts de finale face au pays hôte (défaite 2-1). Une élimination qui n’est ni plus ni moins que le point de départ du mail envoyé à la Fédération espagnole, il y a déjà une semaine, signé par les 15 joueuses en question, qui déclarent toutes renoncer à la sélection dans les circonstances actuelles.

Mail in black

Dans ledit courrier, dévoilé par les médias espagnols, les joueuses évoquent « les récents évènements ayant eu lieu en sélection » et des « faits dont la fédération a connaissance » affectant « de façon importante » leur état émotionnel et leur santé. « En raison de tout ça, je ne me vois pas en condition d’être une joueuse sélectionnable pour l’équipe nationale et je demande à ne pas être convoquée jusqu’à ce que la situation soit rétablie », conclut le courriel. Des propos qui font écho au mal-être qui gangrène la sélection ibérique, déjà révélé dès le rassemblement du mois d’août par la capitaine Irene Paredes, alors soutenue dans sa démarche par une grande majorité du vestiaire. Toutes remettaient déjà en cause les compétences de Jorge Vilda – notamment le manque de professionnalisme lors des entraînements -, mais surtout des problèmes de gestion et de respect de leur vie privée.

Parfois, il faut dire les choses que l’on n’aimerait pas entendre.

Ces doléances, les concernées les ont fait remonter à Jorge Vilda puis à Luis Rubiales, le président de la Fédé. En réponse, le boss du football espagnol a tenté de couper l’herbe sous le pied à la révolution naissante. Primo, en annonçant que son sélectionneur était et sera intouchable. Secundo, en organisant des entretiens individuels avec chacune des joueuses, menés conjointement par Jorge Vilda et la fédé. L’objectif ? « Connaître leur ressentiment. » Avant ceux-ci, toutes les filles étaient unanimes et réclamaient de profonds changements (à commencer par celui de coach). À l’arrivée, certaines se sont « dégonflées » une fois en tête-à-tête avec la direction. Après avoir semé la zizanie chez les contestataires, la RFEF a parachevé son œuvre en organisant une conférence de presse, où capitaines (Paredes, Guijarro et Hermoso) et entraîneur ont donné leur version des faits. Sans surprise, Jorge Vilda a déclaré ne pas se sentir menacé et même « plus fort que jamais » après cet épisode. Quant à Irene Paredes, qui a quitté prématurément l’un des entraînements de la semaine en pleurs, elle affirme que les joueuses n’ont jamais demandé la tête de leur sélectionneur, mais qu’il faut « parfois dire les choses que l’on n’aimerait pas entendre. » Ambiance.

Las 15

À ce moment-là, la Fédé espagnole pense avoir éteint le début de l’incendie. À tort. En ayant refusé d’entendre les demandes de ses fines gâchettes en août, la RFEF voit arriver un second avertissement, en septembre, à travers le fameux mail de ses stars. Un courriel immédiatement taclé en public via un communiqué indiquant que la Fédé ne « permettra pas aux joueuses de remettre en question la continuité du sélectionneur » ni « n’admettra n’importe quel type de pression de la part des joueuses concernant des changements dans le domaine sportif ». Pire : si les joueuses concernées « ne reconnaissent pas leur erreur et ne présentent pas leurs excuses », elles risquent entre deux et cinq ans d’inéligibilité en sélection.

Peut-on penser que, huit mois avant une Coupe du monde, un groupe de JOUEUSES DE HAUT NIVEAU, ce que nous considérons être, puisse considérer cette décision, comme cela a été publiquement sous-entendu, comme un caprice ou un chantage ?

Pas suffisant pour réduire au silence celles que l’on nomme aujourd’hui « Las 15 », qui persistent et signent : elles ne comptent pas renoncer à la sélection espagnole sur le long terme et attendent un meilleur cadre afin d’être plus performantes. « Peut-on penser que, huit mois avant une Coupe du monde, un groupe de JOUEUSES DE HAUT NIVEAU, ce que nous considérons être, puisse considérer cette décision, comme cela a été publiquement sous-entendu, comme un caprice ou un chantage ? », interrogent-elles dans un texte également partagé par Alexia Putellas, Ballon d’or 2021 et jusque-là absente de la fronde.

Histoire d’un système patriarcal

Des cris du cœur auxquels se sont ajoutées des révélations médiatiques. Si les journaux madrilènes se gargarisent de ne voir aucune joueuse du Real faire partie de cette jacquerie, Marca soulève quand même de son côté les dix problèmes essentiels de la sélection, parmi lesquels « le manque de préparation tactique des matchs que les joueuses tentent de compenser par des réunions secrètes », « le non-respect des temps de récupération après une blessure » ou encore « les obligations à répéter mot pour mot le discours donné par le sélectionneur lui-même avant chaque conf de presse ». À Barcelone, Mundo Deportivo révèle que Vilda n’hésite pas à contrôler les sacs des joueuses lorsqu’elles vont faire des courses, ou encore à demander avec qui elles se retrouvent durant leurs jours off. Dans le livre No las llames chicas, llamalas futbolistas de Danae Boronat, ce paternalisme était déjà dénoncé par une internationale anonyme qui disait : « Il nous traitait comme des petites filles alors que certaines avaient pratiquement son âge. »

En dehors de cet environnement que les joueuses décrivent comme « anxiogène », l’aspect sportif est régulièrement pointé du doigt. Le média El Confidencial rapporte un traitement de faveur concernant les joueuses évoluant au Real Madrid, à qui Jorge Vilda aurait promis un accès facilité à la sélection si les jeunes joueuses décidaient de rejoindre l’écurie madrilène. Sa dernière liste de vendredi ne laisse par ailleurs pas de place au doute : dix joueuses du Real ont ainsi été appelées. Si la majorité des médias critiquent la « méthode Jorge Vilda » , la radio Onda Cero se penche, elle, sur l’homme, placé à la tête de la sélection féminine en 2015 après 27 ans de règne d’Ignacio Quereda et une première rébellion des joueuses. Propulsé dans le staff de la sélection grâce à son père, qui était alors préparateur physique, Vilda est ensuite devenu le premier sélectionneur espagnol à n’avoir jamais entraîné une équipe professionnelle. Aujourd’hui également directeur sportif de la sélection, il cumule les pouvoirs jusqu’à devenir le chef quasi tout-puissant du football féminin espagnol.

El pueblo, unido…

S’il a réussi jusque-là à se débarrasser de certains de ses adversaires en interne, Vilda se heurte cette fois-ci à plus fort que lui. Le vent de révolte soufflé par les 15 pionnières a créé un véritable séisme dans le football féminin espagnol, déjà sous tension après les différentes entraves mises par la fédération au développement de la ligue professionnelle. Les supporters du football féminin espagnol se sont très vite rangés aux côtés de « Las 15 », usant des matchs de championnat pour faire passer leurs messages qui peuvent être résumés ainsi : Rubiales et Vilda doivent partir. À l’international, Alex Morgan, Megan Rapinoe, Lucy Bronze et Merel van Dongen n’hésitent pas, elles aussi, à prendre le parti de celles qui sont habituellement leurs rivales. Mais si l’on en croit les mots de Jorge Vilda, lors de la conférence de presse de ce vendredi, l’heure n’est pas vraiment au dialogue : « Pour moi, la solution (au conflit), ce sont les 23 joueuses qui ont été appelées parce qu’il y a quatre dates et une Coupe du monde, ce qui est le maximum auquel une joueuse peut aspirer. » Pris à parti par des journalistes qui l’accusent de ne pas dire toute la vérité, Vilda se range derrière une théorie du complot menée « par des intérêts », sans jamais dire lesquels. « Je défie n’importe quelle joueuse de critiquer mon comportement », lance-t-il à l’assemblée, alors même que Damaris Egurrola s’était chargée de le faire il y a moins d’un an. Cette situation, que Jorge Vilda définit comme « mondialement ridicule », pourrait l’être encore davantage si l’Espagne se présente sans plusieurs de ses meilleures joueuses au Mondial australien et néo-zélandais 2023. Surtout si c’est pour préserver le poste d’un homme sans palmarès.

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