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- Élections à la présidence de la FFF
Révolution à la FFF : Noël Le Graët candidat à sa propre succession !
Dans la place depuis 2011, Noël Le Graët va donc de nouveau se présenter à la présidence de la FFF. À 79 ans, cette décision ressemble à un camouflet dans l’air du temps, et peut-être à la crise que traverse le football actuellement. Car, sans même se pencher sur le bilan de l’ancien boss de l’EAG, aussi bien la Covid-19 qu’un léger souci démocratique devrait pousser le responsable politique qu’il a été (maire socialiste de Guingamp) à raccrocher les gants, ou au moins à songer à sa succession. Mais le foot français reste un monde de notables où l’on ne quitte pas facilement la table des hautes instances.
Tout d’abord une évidence : le fonctionnement démocratique n’est pas franchement ce qui caractérise la FFF, quand bien même sa direction prétend être la pointe de la pyramide représentative du football, y compris associatif. Dans le projet de loi « sport et société » , porté par la ministre des Sports Roxana Maracineanu, qui doit débarouler à la fin du mois, la question du vote direct des clubs pour désigner les présidents – plus rarement présidentes – des fédés et la limite du nombre des mandats, aussi bien que la parité dans les organes de direction, occupe une place centrale, voire exclusive. La décision de Noël Le Graêt de ce point de vue s’apparente à l’un des derniers barouds (ou barouf) d’honneur de l’ancienne génération, de la vieille école, des dirigeants du sport tricolore. Ceux, et très rarement celles, qui occupaient le siège tant convoité, avaient bien du mal, sauf putsch ou crise aiguë, à le quitter.
Humain trop humain ?
Humainement, nous pouvons presque comprendre ce que Noël Le Graët peut éprouver comme dilemme intérieur. L’idée de devoir quitter la scène, alors qu’il a consacré une grande partie de sa vie, à divers postes (par exemple à la tête de la Ligue nationale de football de 1991 à 2000), à tenir les rênes du foot français, doit s’avérer douloureux, voire inconcevable. La libido du pouvoir, si bien décrite par Régis Debray, se révèle une drogue douce dont il demeure bien difficile de briser les chaînes de l’accoutumance. Et la France, entre monarchie absolue et république jacobine, a toujours su fabriquer une belle cohorte de toxicos en ce domaine. À ce titre, le choix de Noël Le Graët s’inscrit dans une longue tradition sur laquelle les tentatives de régulation, sur les cumuls, se sont régulièrement cassé les dents. Le principal concerné avait conscience des affres qui s’ouvraient devant sa conscience. « Mon mandat court jusqu’en 2020. La sagesse voudrait que j’arrête. J’ai déjà dit ça il y a quatre ans, je ne dis pas toujours la vérité.(Sourire.)Mais vous savez, j’ai été un peu mal fichu ces derniers temps(une leucémie lymphoïde avant le Mondial 2018, NDLR),la sagesse serait qu’il y ait quelqu’un qui prenne la suite », confiait-il dans L’Équipe du 6 avril 2019.
Il était une fois la représentation
Pourtant, le foot français a besoin de changement. Celui de sa tête n’y suffira sûrement pas, et il ne s’agit même pas de cibler en particulier Noël Le Graët. Certes les derniers instants de son actuel mandat ont été agités. La pandémie a durablement affecté le sport numéro 1 (en nombre de pratiquants et en poids politique ou social). Notamment chez les amateurs, qui se sont sentis parfois abandonnés par la FFF, et qui souffrent et s’interrogent infiniment plus que le foot pro quant à leur avenir. Pendant ce temps, la LFP gère un cataclysme inédit entre huis clos et naufrage de Mediapro, pendant que Nathalie Boy de la Tour jetait elle l’éponge, refusant de continuer dans un tel enfer. De son côté, la belle maison fédérale a été ébranlée par les révélations autour de la gestion interne de son personnel (harcèlement, dysfonctionnement, etc.), principalement autour du management de Florence Hardouin. Noël Le Graët a essayé de tenir la barre tant bien que mal, y compris lorsqu’il prenait à rebrousse-poil son petit monde dans Le Parisien du 3 avril 2020 à propos du confinement : « Que tout le monde soit pressé de reprendre, je l’entends. Il en va de même pour les entreprises, les petits commerces. Il n’y a pas que le foot dans la vie. »
Un, deux , trois… Noël
Tout cela sentait la fin de règne. De quoi aiguiser les appétits comme celui de Frédéric Thiriez qui, entre deux ouvrages sur la montagne et l’opérette, se voit bien prendre d’assaut la forteresse de son meilleur ennemi. La vraie question reste entière : assisterons-nous enfin à un changement de ligne politique ? La FFF sera-t-elle enfin la grande maison du ballon rond, des clubs d’en bas si souvent oubliés, en place et lieu d’une obsession prédominante autour des Bleus ? À ce propos, Didier Deschamps n’a pas caché son légitimisme béat : « Ce serait une très bonne chose, je ne vais pas dire pour moi, car ce serait égoïste de ma part, mais pour le football français. Regardez où était la FFF avant son arrivée et où elle est aujourd’hui. On peut toujours faire plus, mais il faut aussi reconnaître le travail effectué. À travers les équipes nationales, le football amateur aussi… » De drôles de paroles qui se heurtent à la réalité : le foot est quasiment encore à l’arrêt, les féminines, grandes oubliées, paient les pots cassés des arbitrages financiers dans les clubs, sans oublier une crise économique qui se profile… Cet avenir incertain pour un foot qui se pensait triomphant et inébranlable demanderait une vision, de l’engagement, de la force de conviction, en particulier face au pouvoir public. Si, comme il est possible, voire probable, Noël Le Graët est réélu, on doute qu’il s’affirme en capacité d’affronter ces défis. Tout cela pour voir un Euro et une Coupe du monde du déshonneur au Qatar.
Par Nicolas Kssis-Martov