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Revoilà la grande Espagne
En deux matchs de Ligue des nations, l'Espagne a démontré les pleines capacités du projet mis en place par Luis Enrique. Celui d'une équipe jeune et talentueuse, dans la continuité d'un Euro 2020 abouti, qui souhaite désormais s'établir en référence mondiale. Comme au bon vieux temps.
Au coup de sifflet final de cet Espagne-France (1-2) qui restera longtemps dans les mémoires, les images sont saisissantes. Loin des célébrations françaises, les visages juvéniles et emplis de déception des joueurs de la Roja nourrissent effectivement le paradoxe. Celui d’une équipe vaincue au tableau d’affichage, mais dont la défaite porte en elle une insouciance et une philosophie de jeu bien établie. Un renouveau bienvenu, issu du cerveau en fusion de Luis Enrique, véritable promesse d’un avenir radieux.
La Revolución
Pour l’annonce de sa liste, en prévision de ce Final Four de la Ligue des nations, le sélectionneur n’a une nouvelle fois pas fait dans la demi-mesure. « Je demande de la patience et de l’indulgence envers cette formation. Je ne réfléchis pas selon l’instant présent, mais sur du très long terme : je construis l’équipe de demain », s’expliquait-il en conférence de presse. Car si les noms de Gavi (17 ans) ou Yeremi Pino (18 ans) ont légitimement surpris sur la péninsule, leur présence n’est en réalité que la suite logique d’un processus entamé par le Creador Enrique.
Les chiffres sont simples : depuis son retour sur le banc en novembre 2019 (premier mandat entre les mois de juillet 2018 et 2019), l’ancien du Barça a lancé pas moins de dix-sept joueurs, tous âgés de 26 ans ou moins (dont quatre joueurs nés dans les années 2000). Une focale d’autant plus intéressante si l’on y ajoute des éléments prépondérants tels que Pau Torres ou Dani Olmo, jetés dans le grand bain par l’intérimaire Robert Moreno. Et si le mélange est savamment orchestré, il n’a pas tardé à être suivi d’effet. En témoigne cette demi-finale d’Euro, arrachée au gré d’un style bien établi. « Je n’ai jamais caché mes idées de jeu. Je ne sélectionne que des jeunes que j’ai appris à connaître. » Sans concessions.
Faire du neuf avec du jeune
Mais les statistiques ne peuvent suffire à expliquer la renaissance d’un groupe que l’on pensait désuet. Il faut dire qu’au terme d’un titre de champion d’Europe aux airs d’apothéose en 2012, les années suivantes ont pris des allures de festin au pain noir : élimination dès le premier tour de la Coupe du monde 2014, sortie prématurée en huitièmes face à l’Italie lors de l’Euro 2016 et défaite au même stade en 2018 face à la Russie, au terme d’un Mondial à mettre aux oubliettes. Appelé à la rescousse, le soldat Enrique a, petit à petit, vu son abnégation faire mouche. Les vacas sagradas (vaches sacrées en VF), dont Sergio Ramos ou l’indécis Jordi Alba, ont laissé place à cette nouvelle vague, décrite comme plus réceptive au discours de coach Enrique. Le réservoir est solide et paraît d’autant plus inépuisable malgré la grise mine d’un football en berne outre-Pyrénées. En effet, dans une Liga où le seul Karim Benzema fait figure d’épouvantail et où la sempiternelle « Real/Barça dépendance » semble désormais loin, le choix des hommes est fort.
« Je choisis les joueurs indépendamment des clubs où ils jouent contrairement à ce que l’on dit », martelait le technicien afin de pallier ce déficit national. Pour ce rassemblement d’octobre, onze clubs ont ainsi été représentés. Le Manchester City de Pep Guardiola s’est dès lors mué en pourvoyeur principal de la colonne vertébrale espagnole (Laporte, le néo-Barcelonais Eric Garcia, Rodri et Ferran) comme un symbole du retour au « tiki-taka » déchu, mais en quête de rédemption. Une alchimie opérant au travers d’un inamovible 4-3-3, basé sur un milieu de terrain rajeuni, encadré par le bonifiant Busquets, et des armes de couloir létales (Marcos Alonso, Ferran, Sarabia ou Pino). En guise de laboratoire, cette Ligue des nations a alors permis de mettre en œuvre ce « concept concret » devenu réalité. Un scénario d’autant plus viable lorsqu’il prend forme sans véritable attaquant et avec un entrejeu amoindri. Les absences de Gerard Moreno, Álvaro Morata ou Rodrigo ont été surpassées sans grand mal par la paire Oyarzabal-Ferran quand les blessures de Pedri, Dani Olmo, Thiago Alcântara et Fabián Ruiz ont donc laissé place au néophyte Gavi, reléguant tranquillement Koke sur le banc. Quand insouciance rime avec insolence.
Le cocktail de talents est donc détonant. Et si le trophée n’a cette fois pas rallié la Ciudad del Fútbol de Madrid, les certitudes entrevues en ce mois d’octobre laissent un espoir immense. La garantie de voir une génération de millennials ramener leur nation sur le devant de la scène et plus si affinités à l’hiver 2022.
Par Adel Bentaha