Rétro : Juventus-Bordeaux 1985
Demi-finale de la Coupe des Clubs Champions (ancien nom de la Ligue des Champions). Les 10 et 24 avril 1985. Le printemps des Girondins, qui disputent leur première demi-finale de C1 ? Non, vu que la Juve se qualifiera pour la finale grâce à son 3-0 à l'aller. Reste le match retour de feu et la victoire 2-0, belle mais vaine, des Bordelais vaillants. Magnéto, Serge !
Bon, allez ! Histoire de se remettre dans l’ambiance de l’époque, on va d’abord jeter des noms comme des grains de riz dans l’eau bouillante des souvenirs : Dropsy, Battiston, Tusseau, Giresse, Tigana, Gernot Rohr, Bernard Lacombe, Dieter Müller, Scirea, Cabrini, Tardelli, Platini, Boniek, Rossi, Prandelli. Riso amaro ! “Riz amer”… Forcément, vu qu’on sait que c’est la Juve qui ira en finale. Que du lourd des deux côtés. En résumé, le gros de l’Equipe de France de l’époque et en face pas mal de champions du monde italiens de 1982. Sur les bancs, le Trap pour la Juve et Jacquet, pas encore Mémé, pour la Gironde. On est en avril 85, la Juve domine le foot italien avec Michel “Roi du Monde” Platini : le bonhomme est Ballon d’Or 83, 84, 85. Voilà pour les présentations. Bordeaux est champion en titre, en route pour la rebelote. A la barre le terrible moustachu, Claude Bez. Le style Aimé Jacquet ne fait pas dans la dentelle. Plutôt germanique costaud (Battiston, Tusseau, Müller), et qui rend coup pour coup (Specht, Girard, Rohr) ! Donc des Girondins a priori armés pour se rendre au Stadio Communale de Turin… En bleu marine et scapulaire blanc !
Comme le raconte Battiston dans L’Equipe d’aujourd’hui, Jacquet a prévu un plan “anti-Platoche” en lui mettant Girard et Rohr sur le dos. Malin, Michel joue en retrait, dans son camp, utilisant son arme létale : les longs ballons chirurgicaux en profondeur dans la course des attaquants Rossi et Boniek et les longues transversales sur les côtés. Pour les plus jeunes, on rappelle juste que Platini était un Génie (histoire de ne pas toujours refiler une deuxième part de tarte à Zidane, hein !). Enorme pression de la Juve et Bordeaux qui subit. Et puis à la 28ème, LA spéciale ! Du rond central, Platini lance parfaitement dans l’axe vers… Boniek ! Surgi aux 16 mètres, le Pollako s’impose en force sur Specht et trompe Dropsy du point de penalty ! Putain ! Y’avait rien à faire ! Des buts comme ça, Platini et Boniek en ont inscrit exactement 2796 ! Juré ! Visionnez les images et vous verrez !!!! Donc 1-0. En deuxième, en bons bourreaux ritaux (lol !), la Juve fait le trou en 3 minutes. Briaschi double la mise sur une faute grossière pas sifflée par l’arbitre à la 68ème et à la 71ème, Platini, revenu un peu plus aux avants postes, reprend de volée aux 16 mètres et en léger déséquilibre un centre venu de la gauche de Boniek qui avait baladé tout le flanc droit bordelais : 3-0 ! Plié, fini, terminé : éliminés ! Bordeaux n’a aucune chance : on ne remonte quand même pas 3 buts aux Ritaux, non ?! L’Equipe enterre les Girondins en beauté avec son titre légendaire du lendemain : « La Juve, c’est autre chose » . Attaque méchante anti-Bordelais, tout fiers de dominer l’Hexagone mais faiblards hors des frontières. On accuse aussi Jacquet (déjà !) de ne pas avoir su museler Platini… N’importe quoi ! A l’époque, Platoche était inarrêtable : il vidait tous les coffre-forts de la Péninsule, le dimanche entre 15 et 17 heures…
Boulevard de l’exploit
Bon, piqués au vif, les Bordelais ressassent leur fessée de l’aller. Bizarrement, avant le match retour au Parc Lescure (Chaban-Delmas, c’est plus tard !), on sent monter dans toute la France un espoir complètement dingo, comme la super hype St-Etienne une dizaine d’années plus tôt : tout le monde y croit ! 100 000 demandes de billets… On bourrera jusqu’à 40 211 spectateurs, record d’affluence historique à Bordeaux et qui tient encore. Dès l’engagement, Bordeaux a la dalle, Bordeaux est cannibale ! A la 25ème minute, chef d’œuvre collectif : aux 30 mètres, Giresse transmet de près à Tigana qui lance Lacombe dans la profondeur aux 6 mètres, Bernard se retourne et centre du gauche au point de penalty sur Dieter Müller qui marque comme Gerd Müller ! Contrôle en pivot et reprise à ras de terre dans les filets de Bodini ! A 1-0 en première, Bordeaux est dans les temps… Sauf que la Juve fait refroidir la pasta sur le bord de la fenêtre : un peu d’antijeu, des passes en retrait au gardien (à l’époque le goal a tout le temps pour relancer), des dédoublements au milieu, des longs dégagements dans les tribunes (à l’époque pas de ramasseurs de balle speedés et de ballons de rechange). Bref, la Juve subit mais subit…
Battiston a tout compris et tente souvent sa chance de loin : deux de ses tirs rasent les montants adverses. Et puis, à la 79ème, trouée solaire : sur une passe latérale de Thouvenel dans l’axe, Patrick Bat décoche un météore elliptique qui fracasse le poteau gauche de Bodini avant de crever derrière la ligne ! Pour la comparaison, c’est du même tonneau émotionnel que la frappe des 35 mètres de Bathenay à Anfield en 77 avec St-Etienne ou plus près de nous, le coup de bazooke de Gourcuff à Constanza contre la Roumanie. Forcément marquant. Sur le deuxième but de Bordeaux, Platini est fu-rax ! OK, Battiston est son pote chez les Bleus depuis leur saison commune à St-Eienne. A Séville, en 82, c’est Michel qui tenait la main de Patrick, étendu presque mort sur la civière du fait de Schumacher… OK ! Mais à 2-0, Platoche est furax ! Michel n’a jamais gagné la C1, alors pas question de se faire éliminer, bordel ! Le stade chavire, la télé fond. Plus que 10 minutes pour arracher les jupons de la Vieille Dame… Dans les arrêts de jeu, Tigana reprend de volée aux 6 mètres !… Bodini repousse du nez, pleine face : la balle heurte la barre en couilles puis dégouline en corner. Fini, terminé, plié : éliminés ! Ce coup-ci pour de vrai en vrai. Immense déception.
Rancœur, regrets, fatalisme : les footeux français ont encore subi la loi des footeux italiens. En fait, le complexe d’infériorité du football hexagonal vis-à-vis du foot italien prendra fin l’année suivante au Mundial mexicain de 1986. En 8èmes, l’Equipe de France battra la Squadra sur un 2-0 sec (Stopyra et Platini). Première victoire en compète internationale depuis les années 1810… Mais ça, c’est une autre histoire. Quant à la Juve, elle se qualifie pour la finale au Heysel de Bruxelles contre le grand Liverpool de Dalglish et Ian Rush. Hélas, ni les Reds, ni les Bianconeri ne savent qu’ils cinglaient alors vers un rendez-vous tragique…
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