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Retraite pour André Schürrle, le dernier vol du condor
André Schürrle ne foulera plus les pelouses. À 29 ans, le sémillant ailier allemand, passeur décisif en finale de la Coupe du monde 2014 remportée par la Nationalmannschaft et lassé par son propre déclin, a dit stop ce vendredi. Une décision à l'image de l'homme qu'il est : un esthète, qui ne vit que pour le beau.
André Schürrle aura donc tenu parole. En octobre 2018, l’homme pour qui le Borussia Dortmund a craqué son montant record de transfert (30 millions d’euros) deux ans plus tôt vivote en prêt du côté de Fulham. Le même faire-valoir de Premier League contre lequel il avait claqué un triplé, de son temps à Chelsea. À l’époque, l’un des héros de la finale du Mondial 2014 est depuis plusieurs années sur la pente descendante. Pourchassé par le contrecoup de sa victoire en Coupe du monde, mais surtout tourmenté par un poulet avarié qui l’aura rendu salement malade et dont il aura mis « tellement longtemps à se remettre » comme il le confiait au Guardian. Usé par les blessures récurrentes et plombé par le sentiment de ne plus arriver à distiller sa magie d’antan, le bonhomme. Il y a deux ans, donc, André Schürrle prononce ces paroles dans un podcast de Bild : « Je mentirais si je disais que je n’ai jamais pensé à prendre ma retraite. Dans les moments difficiles, je m’interroge : « Est-ce que j’ai vraiment besoin et envie de tout ça ? » Je jouerai encore pendant un an, peut-être deux… On verra. » Ce vendredi, le longiligne ailier a ainsi franchi le Rubicon et mis fin à des années de souffrance après une dernière pige sur les rotules au Spartak Moscou. Là encore, Schürrle n’a de mots que pour ces « moments difficiles » qui le hantent depuis bien longtemps. « Les passages à vide sont devenus de plus en plus vides et les bonnes périodes sont devenues de plus en plus rares », soufflait-il, lors de son interview de néo-retraité au magazine Spiegel.
Comme il le révèle lui-même, c’est en fait dès son retour de la Coupe du monde que la fracture se produit : « J’ai sombré. Je ne voulais plus jouer au foot. J’étais complètement au fond du trou. » À Chelsea, quand Mourinho le met sur le banc, Schürrle le voit comme une « punition suprême ». Ce sensible vit aussi très mal les critiques de la presse, qui l’affectent au plus haut point : « Soit tu es un héros, soit tu es zéro. Il n’y a personne entre ça. » Reste qu’à 29 ans, la décision a tout de même de quoi surprendre. Pourquoi ne pas tenter de se relancer sans pression dans le cocon de Mayence, le club qui l’a formé et révélé en 2009 ? Pourquoi ne pas aller chercher un paquet d’oseille et de soleil, dans un championnat exotique ? La réponse est simple : Schürrle ne vit que pour la grandeur et la pureté d’un football qu’il ne parvient plus à toucher du doigt et se moque bien des conventions ou de ce qu’on lui dit de faire, pestant contre cette « norme sociale qui impose aux footballeurs de ne pas s’arrêter avant le milieu de leur trentaine ». Ce qu’il veut, c’est regoûter aux hautes sphères du jeu. Aux gestes de grande classe, au football à cent à l’heure. De cet idéal de beauté, qui requiert une exigence et un dévouement énormes, naît son plaisir et son amour débordant pour ce sport. Plus de magie dans les pieds ? Plus de plaisir. Plus de plaisir ? Plus de passion. Plus de passion ? Plus de football.
Jure-le, Schürrle !
Celui qui a explosé au Bayer Leverkusen a donc pris la bonne décision : celle d’arrêter avant qu’il ne soit trop tard, avant que les images d’une ancienne gloire errant sur une pelouse à la recherche de sa maestria passée ne s’installent trop dans les esprits. Ce qu’on retiendra de Schürrle est, au contraire, d’un tout autre calibre. Son cri du cœur et son désir brûlant d’ensorceler cette finale de Coupe du monde 2014, qui se serait sûrement acheminée vers de tristes tirs au but si l’iconoclaste de Chelsea n’était pas passé par là. Cette pulsion de vie et cette offrande divine pour Mario Götze, qui ont donc permis à l’Allemagne de remonter au septième ciel. Cette volée d’un autre monde contre le Brésil en demi-finales, chef-d’œuvre d’esthétisme et de maîtrise, alors que la plupart des footballeurs auraient balancé une ogive dans les tribunes. Ces 110 buts en 420 matchs d’une carrière finalement bien riche, lardée de 57 sélections (22 pions). Ces numéros d’acrobate à gauche du terrain, souvent suivis d’une limpide frappe enroulée dans le filet opposé. Ce profil de « skinny face killer » posé négligemment sur son flanc gauche et qui, l’air de rien, pouvait envoûter tous ses opposants en un clin d’œil. Voilà pour les souvenirs, outre une première saison réjouissante à Chelsea à seulement 22 ans et un retour en force tonitruant à Wolfsburg après un divorce avec les Blues en 2015.
Schürrle restera aussi dans les mémoires pour ce qu’il représentait socialement, et spirituellement. Au moment de lui rendre hommage, le sélectionneur de la Nationalmannschaft Joachim Löw et le directeur général Oliver Bierhoff n’ont pas eu de mots assez forts pour décrire le caractère et l’état d’esprit admirables de leur ancien poulain dans des propos relayés par Kicker. Löw : « J’ai connu le jeune Schürrle et c’était déjà un joueur avec une force de caractère, qui s’est toujours mis au service de l’équipe. » Bierhoff : « Ce qui m’a marqué, c’est sa manière d’être toujours délicate, réflexive et très joviale. » De fait, rares sont les remplaçants en Coupe du monde qui ont autant apporté dans les moments décisifs que le grégaire Schürrle. Et pour cause, le droitier n’était pas du genre à tirer la tronche ou faire un esclandre parce qu’il devait se contenter de miettes. Rien n’atténuait sa bonne humeur, qui ne faisait que boursoufler lorsqu’on lui permettait de goûter du terrain. Grâce à cet état d’esprit, André Schürrle, jeune second couteau de la grande Allemagne de 2014, a pu entrer de plain-pied dans l’histoire. Il y conservera sa place, quoi qu’il se soit produit après ce sommet.
Par Douglas de Graaf