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Raphaël Varane, obsolescence programmée
Lancé tambour battant à ses 17 ans dans la machine du foot pro, Raphaël Varane a mis fin à ce cycle après 14 ans de service. Les blessures et la fatigue, autant physiques que mentales, ont fini par faire perdre tout éclat à un joueur brillant, qui a pu porter très haut les couleurs qu’il a eu à défendre.
C’était un nouveau pays à découvrir, un nouvel écusson à honorer. Comme à chaque fois que Raphaël Varane a fait ses valises pour les poser dans un nouvel environnement et y assouvir sa passion. Pourtant, cette quatrième étape de ce voyage si spécial qu’est une carrière de footballeur sera la dernière. Le Como 1907 n’aura pu profiter de la compagnie du champion du monde 2018 que 23 petites minutes avant de le voir regagner le banc de touche et suivre la fin de ce premier tour de Coppa Italia contre la Sampdoria avec une poche de glace sur la cuisse. On savait que cette excursion à Gênes serait son ultime sortie de la saison, le promu n’ayant pas inscrit Raphaël Varane sur sa liste de Serie A pour mieux le laisser panser ses bleus. Depuis ce mercredi matin, on sait désormais qu’il n’y aura pas d’autre apparition de Raphaël Varane dans un match pro, le Nordiste annonçant « avec une immense fierté et un sentiment de plénitude » la fin de son aventure. À seulement 31 ans.
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Dans son message, lui préfère se souvenir du dernier match qu’il a fini sur ses deux jambes : une finale de Coupe d’Angleterre remportée avec Manchester United face à Manchester City, le 25 mai dernier. La dernière pièce d’une des plus belles collections du continent avec, tout en haut de la pile, une Coupe du monde avec l’équipe de France, quatre Ligue des champions et trois titres de champion d’Espagne avec le Real Madrid. Autant de preuves que le défenseur central faisait partie des grands footballeurs de ce monde. Autant de trophées pour récompenser les centaines de sacrifices consentis en 14 ans de vie de footballeur professionnel.
Tombé au champ d’honneur
Ce point final apposé à la fin de son testament sportif – et même s’il laisse supposer qu’il restera dans un futur proche dans l’encadrement du club de Côme – vient refermer un livre qui aura vu son protagoniste traverser tout ce que le foot offre de meilleur et de pire. L’honneur de représenter sa nation pendant 93 batailles, le prestige d’avoir fait partie d’un des plus grands équipages européens, le mérite de représenter la formation lensoise et les terres martiniquaises de son paternel au plus haut niveau ont pu colorer les plus beaux chapitres. Mais Raphaël Varane a symbolisé et incarné ces athlètes de haut niveau qui, pour répondre aux exigences de la haute performance, mettent en jeu leur corps entier, des pieds à la tête.
Des coups, l’ancien Merengue en a pris, le plus longtemps en silence. Mais si on a érigé la résilience au rang des vertus cardinales, on a surtout poussé les footballeurs de ce siècle à accepter la surcharge. Sans rien dire. La faute à un système qui a enfermé les individus dans une croyance, qu’il résume lui-même : « Le jeu au plus haut niveau est une expérience passionnante. Il met à l’épreuve toutes les parties de votre corps et de votre esprit. Les émotions que nous ressentons ne peuvent être vécues nulle part ailleurs. En tant qu’athlètes, nous ne sommes jamais satisfaits, nous ne sommes jamais rassasiés de succès. C’est notre nature et c’est ce qui nous nourrit. » N’étant désormais plus footballeur pro, il faut en déduire que Raph’ en a désormais soupé. « Les désirs et les besoins sont deux choses différentes. Je suis tombé et je me suis relevé un millier de fois, et cette fois, c’est le moment de m’arrêter. »
Nous sommes en 2024, année où des camarades brandissent la menace de faire grève pour ne pas avoir à jouer 70 matchs par an, clament leur envie de souffler avant d’exploser, sans trouver une oreille suffisamment attentive et/ou puissante pour pouvoir inverser la tendance. Cette course au cachet, aux podiums et aux contrats est le facteur principal de cette obsolescence programmée. Tous les soldats de Didier Deschamps ont salué le courage de Samuel Umtiti, « obligé » de faire une croix sur son genou (et la suite de sa carrière) pour permettre à la patrie de revenir victorieuse de Russie. Pour son voisin de charnière, rangé de l’équipe de France depuis qu’il était sorti éreinté et à quatre pattes de la finale du Mondial 2022, cela se mesure sur la durée. Lui a accumulé les petits pépins physiques en tout genre, Transfermarkt dénombrant 800 jours d’indisponibilité depuis ses débuts, soit plus de deux ans, sans compter tous les matchs auxquels il a participé sans être à 100% de ses moyens. On l’a vu aussi jouer des matchs internationaux « en mode pilote automatique » à cause de commotions cérébrales, sujet à propos duquel il a récemment tiré la sonnette d’alarme. Surtout, pendant toutes ces années de service, il a laissé grandir un mal bien moins visible.
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Prises de tête et prise de conscience
Sans attendre que Michel Barnier fasse de la santé mentale son cheval de bataille lors de son séjour à la tête du gouvernement, Raphaël Varane a été un des premiers à assumer d’en payer les frais. « Le très haut niveau, c’est une machine à laver, on ne s’arrête jamais. On a des calendriers surchargés, on joue non-stop. En ce moment, j’ai l’impression que le joueur est en train de bouffer l’homme, expliquait-il à Canal +. Parfois, quand je suis avec ma famille, que j’ai quittée à 13 ans, je n’arrive pas à déconnecter. Je suis là sans être là. J’ai besoin de souffler, je suis en train d’étouffer. » L’essoreuse aura fini par avoir raison de « la vitesse, la vista, la technique, le mental », tous ces points forts listés par Deschamps au moment de rendre hommage à son ancien vice-capitaine.
Le foot pousse certains à s’oublier. Au détriment de sa santé donc, parfois de ses convictions aussi. Il y a tout juste un an, celui qui était encore un Red Devil s’était exprimé dans nos colonnes sur la difficulté pour les joueurs de prendre position sur des sujets de société, du moins ceux qui peuvent entrer en collision avec la bulle du foot. Là, il était question du sort des travailleurs migrants au Qatar, sur lequel les Bleus étaient restés mutiques durant leur passage dans la péninsule. « Pour un joueur, prendre la parole tout seul sur ces sujets-là, ce n’est pas facile. Déjà, parce qu’on sort de notre zone de confort. Tout ce qui est dit peut être surinterprété, mal interprété, déformé », relayait-il. De l’indifférence ? Certainement pas : l’association Génération 2018 dont il fait partie des leaders s’est ensuite engagée auprès de Kabubu, une structure travaillant à l’intégration des réfugiés. Mais une preuve supplémentaire que ce milieu ne laisse que peu de place à une parole libre, même quand la tête – celle de Raphaël Varane en l’occurrence – est plutôt bien faite. Libéré de toutes ces contraintes et dorénavant épargné par la rudesse du métier, il aura tout le loisir de trouver d’autres challenges. En espérant qu’il conserve dans sa nouvelle vie cet engagement qui pouvait le caractériser sur un terrain : il serait bon pour les générations actuelles et futures que ses sacrifices ne soient pas vains.
Par Mathieu Rollinger