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Özil, hommage à un artiste fragile
À 34 ans, Mesut Özil a décidé de mettre un terme à sa carrière. Un parcours riche en trophées, en caviars et en déceptions. Hommage à un artiste.
Le romantisme n’a pas sa place dans le football, dit-on. Pourtant, le ballon a procuré plus d’une émotion à ses amoureux, et formé des hommes vecteurs de ces mêmes sentiments. Parmi eux, Mesut Özil. Élégant, technique et sensible, l’Allemand a émoustillé le monde par sa gestuelle particulière et son toucher de cuir mesuré au centimètre. Ce mercredi 22 mars 2023, cet amour a cependant pris fin au moment de l’annonce de sa retraite. Une fin d’aventure relativement anonyme, pour celui qui a décidé de rentrer chez lui, en Turquie, loin du tumulte causé par un top niveau européen devenu fardeau.
La classe de Nemo
Comme beaucoup d’esthètes, la carrière d’Özil se sera dessinée autour d’une seule et même caractéristique : la nonchalance. Puisant dans du Zidane, du Berbatov, du Kaká ou du Riquelme, l’enfant de Gelsenkirchen s’est dessiné son propre style. Un jeu élégant, symbolisé par une qualité de contrôle et de passe très largement au-dessus de la moyenne (262 passes décisives en carrière). Au point de gagner le surnom affectueux de « Nemo » de la part de ses coéquipiers merengues, en raison de ses yeux globuleux, donnant l’impression de tout voir avant tout le monde. En témoigne ce tutoriel, expliquant sa fameuse « passe bombée », maîtrisée à la perfection. Cette intelligence technique en fera d’ailleurs la plaque tournante de l’Allemagne qui gagne, à 22 ans à peine (92 capes), pour mieux le hisser au rang de génie avec le Real Madrid, puis Arsenal.
Illustration en quelques chiffres : en trois ans à la Maison-Blanche, il s’offrira ainsi 20 passes décisives par saison (28 en 2010-2011 et 2011-2012, puis 25 en 2012-2013). Performance jamais égalée au XXIe siècle. Chez les Gunners, il intégrera même le top 5 des joueurs ayant délivré le plus d’offrandes sur une année civile (21). Mieux, il sera l’artisan majeur du retour au succès londonien, après huit ans de disette, offrant trois FA Cup quasi successives (2014, 2015, 2017) et une campagne 2015-2016 d’anthologie en Premier League (Arsenal termine deuxième, perdant le titre de peu face à la surprise Leicester). Enfin, comment ne pas évoquer son rayonnement international. Comeilleur passeur du Mondial 2010 et de l’Euro 2012 (3), Özil – qui enquillera onze trophées – tutoie les sommets en remportant le sacre mondial à l’été 2014. Voyant sa vision du football être (enfin) reconnue par des observateurs exigeants. La faute notamment à une inconstance chronique, le faisant inexplicablement disparaître de nombreuses rencontres. Ce manque d’implication ou cette suffisance due à un excès de talent, l’intéressé ne l’a d’ailleurs jamais renié. Dans son autobiographie, il le résumait ainsi par un discours de José Mourinho, tenu dans le vestiaire du Real Madrid : « Mesut, tu veux connaître ton problème ? Ton problème, c’est que tu penses que faire deux belles passes est suffisant. Ton problème, c’est que tu penses que jouer à 50% est suffisant. Voilà ton problème ! » Critiqué et critiquable, « Nemo » n’aura en tout cas rien changé, jusqu’à aller au bout de ses idées.
Anticonformiste
Borné sur le terrain, Mesut Özil le discret l’aura été tout autant en dehors. Malgré lui. Ainsi, quand l’Allemagne célèbre ses héros victorieux au Brésil, elle n’hésite pas à les jeter au feu au sortir de la débâcle russe de 2018. Principale cible : le numéro 10 gaucher. D’abord jugé pour cette sempiternelle absence de motivation, il a ensuite été pointé du doigt pour son soutien ouvert au président turc Recep Tayyip Erdoğan. Les allégations ont rapidement pris une tournure politique, et les mauvaises prestations en Coupe du monde ont laissé place à un procès de moralité. Aux relents supposément racistes.
Payant certainement pour tout le monde, le meneur de jeu avait alors choisi de dire stop en sélection. Cette image extrasportivement écornée le suivra malheureusement loin de la Ruhr. Également pris en grippe à Arsenal – entre mauvais matchs et autres polémiques politiques -, Özil quitte Londres début 2021, après une dernière brouille (toujours inexpliquée) avec Mikel Arteta. Direction la maison familiale d’Istanbul, avec Fenerbahçe et Basaksehir, pour un dernier recueil de poèmes distribué en Süper Lig. Si certains parleront de gâchis, cet ultime virage est en tout cas le symbole de ce qu’aura été Mesüt Özil. Un joueur qui n’en aura toujours fait qu’à sa tête bien faite, et remplie d’inspirations que seul lui se donnait le droit d’imaginer. Dans les mémoires resteront ainsi une sublime talonnade pour Karim Benzema face à Grenade, un slalom fou contre Ludogorets, un piqué signature devant Liverpool, un but mondialiste contre l’Algérie ou une leçon donnée à Leicester…Finalement, Mesut Özil n’est-il pas le dernier des romantiques ?
Par Adel Bentaha