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Griezmann, le joueur d’une génération
Antoine Griezmann a mis un point final à son histoire avec les Bleus, ce lundi, à trois jours d’un nouveau rassemblement. Elle aura duré dix ans, le temps de voir le numéro 7 devenir le joueur d’une génération en équipe de France, où il était arrivé par la fenêtre en 2014 et qu’il quitte en étant l’un des plus grands.
Il ne faut pas toujours croire les bruits de couloir, les murmures, les rumeurs, surtout quand elles brisent le cœur. Un simple mail tombé à 20h33 un vendredi soir, à quelques minutes du coup d’envoi de PSG-Rennes entre deux déluges au Parc des Princes, comme un petit tremblement de terre : Antoine Griezmann pourrait annoncer sa retraite internationale lundi, trois jours plus tard. Ce n’est pas sûr ni confirmé, mais c’est dans l’air. Maintenant, vraiment ? Pourquoi ? Comment ? Ce n’est peut-être rien, ce n’est peut-être pas vrai. « Rien de nouveau sous le soleil :) », nous glisse-t-on dans son entourage. Le smiley a son importance, l’absence de démenti aussi. L’officialisation est arrivée ce lundi matin, à 10h49, sur les réseaux sociaux du numéro 7 des Bleus : « C’est avec le cœur plein de souvenirs que je clos ce chapitre de ma vie. Merci pour cette aventure tricolore et à bientôt. »
C’est avec le cœur plein de souvenirs que je clos ce chapitre de ma vie. Merci pour cette magnifique aventure tricolore et à bientôt. 🇫🇷 pic.twitter.com/qpw8dvdtFt
— Antoine Griezmann (@AntoGriezmann) September 30, 2024
Un joueur de cette trempe et de cette importance méritait sans doute mieux qu’une sortie sur une entrée en jeu anecdotique contre la Belgique, le 9 septembre, trois jours après avoir fait un tour d’honneur en solo, tellement symbolique aujourd’hui, après une défaite contre l’Italie au Parc des Princes. Mieux qu’une vidéo d’une minute et 45 secondes, dans laquelle les images de son aventure bleue défilent en même temps que ses mots. Grizou parle alors de « dix années incroyables marquées par des succès, des défis et des moments inoubliables », du moment venu « de tourner une page et de laisser place à une nouvelle génération », du « privilège » et de l’« honneur » d’avoir pu porter ce maillot tricolore. Son histoire avec les Bleus est désormais à conjuguer au passé, et ça fait mal de l’écrire.
Le taxi, les larmes et la star
Il était arrivé en équipe de France une décennie plus tôt en passant par la fenêtre, quand d’autres préfèrent défoncer la porte pour se faire une place au château de Clairefontaine. Ce Griezmann biberonné au foot espagnol depuis 2005 et toujours à la Real Sociedad en ce mois de mars 2014 n’avait pas trop le choix, après une suspension de toutes les équipes nationales françaises du 12 novembre 2012 au 31 décembre 2013 à la suite de la fameuse virée en taxi des Espoirs entre deux matchs contre la Norvège. Comment penser à ce moment-là qu’il deviendra une décennie plus tard l’un des plus grands de l’histoire de cette sélection ? Le temps, les années, les performances et peut-être ce qu’il représente auront permis à Griezmann de faire de cette erreur une bêtise de jeunesse, quand cette frasque, entre autres sorties de route, a collé à la peau de Yann M’Vila ou M’Baye Niang un peu plus longtemps (Wissam Ben Yedder et Chris Mavinga étaient les deux autres joueurs impliqués).
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Une première sélection le 5 mars 2014 contre les Pays-Bas de Robin van Persie au Stade de France ; un premier but contre le Paraguay de Roque Santa Cruz le 1er juin 2014, à Nice ; et la découverte d’une compétition internationale le même mois, au Brésil, avec la Coupe du monde. Griezmann avait 23 ans, sa carrière devant lui, et il était pourtant resté inconsolable sur la pelouse du Maracanã, dans la touffeur de Rio de Janeiro, à la sortie du quart de finale perdu contre l’Allemagne.
Ses larmes lui auront servi deux ans plus tard, à la maison, pour s’imposer comme le meilleur joueur et le meilleur buteur de l’Euro 2016, sans pouvoir encore savourer le bonheur d’un titre suprême. Cet été reste, malgré le but d’Eder et la finale perdue, l’avènement de « Grizou » et de cette génération qui s’est éteinte ces deux dernières années, entre les retraites de Raphaël Varane, Hugo Lloris et Olivier Giroud, et les affaires de Paul Pogba. Il serait faux d’écrire que Griezmann a toujours fait l’unanimité, qu’il n’a jamais fait débat : en 2016, justement, il avait cristallisé les interrogations et les doutes au début du tournoi, débutant sur le banc lors du deuxième match contre l’Albanie, avant de mettre tout le monde d’accord avec six buts, deux passes décisives et un passage au rang de star des Bleus. En sachant qu’il s’était passé quelque chose, ce 7 juillet, dans la nuit électrique du Vélodrome où un Griezmann habité, en mission, avait fait chavirer la grande Allemagne championne du monde en plantant un doublé à Manuel Neuer.
Les costumes d’Antoine Griezmann
On lui aura encore pardonné le cirque autour de La Decisión, son petit film pour annoncer qu’il restait finalement à l’Atlético de Madrid, en pleine préparation pour le Mondial en Russie qui l’aura vu devenir champion du monde. Un joueur de foot ne peut aller si haut sans une bonne dose d’ego, mais il y avait quelque chose d’admirable cet été-là à regarder la star d’hier (et même encore d’aujourd’hui) laisser la lumière à celle de demain, Kylian Mbappé, 18 piges, en restant essentiel au collectif. Ce Griezmann ne se résumait pas juste à marquer des penaltys, comme a pu le laisser penser Vegedream, il était en fait bon à tout faire. Sa demi-finale contre la Belgique, dans un rôle qu’il connaît par cœur sous Diego Simeone à l’Atlético de Madrid, aura été un modèle de don de soi et d’adaptation. Comme sa Coupe du monde 2022 au Qatar, passée beaucoup plus bas sur le terrain, en qualité de chef d’orchestre reculé, un tournoi bluffant jusqu’à sa finale ratée. Griezmann est l’homme de base de l’ère Didier Deschamps, le ciment de toutes les victoires, le plus fidèle soldat du sélectionneur, qui savait que l’équipe de France ne pouvait pas réussir dans une compétition sans un grand « Grizou ».
Il n’avait cessé de le répéter, comme s’il devait se convaincre, l’été dernier en Allemagne : Antoine devait toucher plus de ballons pour que l’équipe soit forte, Antoine devait retrouver la forme, Antoine restait au service de l’équipe, etc. Le patron des Bleus n’a en vérité jamais réussi à savoir comment utiliser son « chouchou », un coup à droite, un autre en soutien de Mbappé, encore un autre plus bas sur le terrain, pour commencer la demi-finale contre l’Espagne sur le banc, ce qui aurait été imaginable encore quelques mois plus tôt, quand il bouclait une 84e rencontre d’affilée sous le maillot frappé du coq, record absolu et sans doute imbattable (Patrick Vieira était à 44). C’est comme si quelque chose s’était cassé entre DD et son poulain, même si ce dernier l’a remercié pour sa « confiance » et son « accompagnement ». Le choix de donner le brassard de capitaine à Mbappé au printemps 2023 après le départ de Lloris ressemble à un tournant dans cette relation indéfectible, et le numéro 10 avait étrangement défendu son acolyte dans la salle de presse du Volksparkstadion avant le quart contre le Portugal, en le renvoyant déjà au passé à travers plusieurs formulations (« c’est important d’avoir la reconnaissance de ceux qui ont fait les grandes heures de ce pays »).
Un drôle de point final qui peut laisser admiratif face au timing choisi par Griezmann : à 33 ans, il a décidé lui-même de sa fin, à un peu moins de deux ans de ce qui aurait pu être sa quatrième Coupe du monde (dont une partie se jouera aux États-Unis, le pays qu’il devrait rejoindre l’été prochain pour retrouver ses potes Giroud et Lloris au Los Angeles FC). C’est noble et rare, quand on sait toute la difficulté d’accepter qu’on ne peut plus donner autant qu’on a déjà donné. Deschamps a perdu la dernière vertèbre de la colonne qu’il avait installée et sur laquelle il pouvait se reposer, un joueur qui incarnait une idée du jeu et du foot parfois éloignée de ce qu’a pu dégager à certains moments la France de DD. Il y a les chiffres, ses 137 sélections, ses 44 buts, ses 30 passes décisives, ses 91 victoires, et toutes les émotions qu’on ne peut pas quantifier. On était heureux de se déplacer pour voir un match des Bleus quand il était là, et on se souvient l’avoir souvent vu voler sur le terrain dans ses meilleures périodes tricolores. Il y a eu les générations Michel Platini et Zinédine Zidane, il y a maintenant celle d’Antoine Griezmann.
Par Clément Gavard