- Groupe A
- France/Mexique (0-2)
Rester digne
Mexique bat France 2-0. Les Bleus sont éliminés. Ou quasiment... Haro sur Raymond. Haro sur les joueurs. La chasse est ouverte : tuons-les tous. Lynchons-les puisqu'ils le méritent. Qu'un sang impur, etc...
A la Libération, en 1944, les braves patriotes s’en étaient pris aux femmes qui avaient couché avec les Boches. Vengeance. Paul Eluard, poète de la Résistance, avait assisté à ces spectacles odieux. Les pauvres filles étaient tondues, insultées, couvertes de crachats. Parfois promenées nues sous les quolibets. Les enfants étaient conviés aux festivités : il n’est jamais trop tôt pour apprendre… Paul Eluard, révolté, avait alors composé un poème, « Comprenne qui voudra » , en l’hommage aux victimes bien trop accablées.
Comprenne qui voudra !
Moi, mon remords, ce fut
la victime raisonnable
au regard d’enfant perdue,
celle qui ressemble aux morts
qui sont morts pour être aimés.
Quelques années plus tard, le bon Georges Brassens, lui aussi témoin de ces scènes indignes, rendit un hommage aux pauvres filles. Brassens, qui n’avait pas été résistant, avait écrit une chanson, “La tondue”.
La belle qui couchait avec le roi de Prusse
Avec le roi de Prusse
A qui l’on a tondu le crâne rasibus
Le crâne rasibus
Voilà. Pas d’analyse tactique du match. Pas de récriminations rétrospectives sur les 23 retenus et les quelques autres non appelés. Pas de retour sur le 4-3-3, le 4-3-2-1. Pas de moqueries sur Raymond, Jean-Pierre, Franck, Rama, Thierry, Roselyne, William et tous les autres. Raymond partira. Il est même déjà parti. Flo Malouda a quitté le terrain et accepté de dire quelques mots pour s’excuser. Il avait les larmes aux yeux. Il parlait d’honneur, du dernier match contre l’Afrique du Sud qu’il fallait gagner. Patrice Evra a ôté son brassard de capitaine, puis l’a serré fort dans sa main. Lui aussi ne pouvait retenir ses larmes… Les conclusions ? Vous les tirerez vous-mêmes et vous serez sûrs d’avoir raison à 100 %. « Chronique d’un échec annoncé » , bien sûr. Vous savez tout ça par cœur.
A travers son poème, Paul Eluard essayait d’énoncer que l’esprit de la Résistance qui s’était forgé dans les moments difficiles de l’Occupation devait se poursuivre jusque dans l’allégresse de la Libération. Rester digne : pardonner quand c’était possible, ou punir, mais pas sans avoir jugé en toute impartialité. Ne pas lyncher, tuer, se venger. Parce qu’une vie nouvelle devait redémarrer mais sans porter en elle la haine et les violences de la vengeance. Plus la peine d’accabler Raymond. Il a échoué. Et il en est en grande partie responsable. Pour ceux qui voudraient qu’il expie toute sa vie, convaincus qu’ils auraient fait mieux que lui, qu’ils se souviennent aussi des paroles d’Aimé Jacquet au soir de la victoire du 12 juillet 98 : « Ah ! J’étais un pauvre type, un incapable, un bon à rien… Entraîner l’équipe de France, c’était soi-disant facile ! Tous ceux qui me faisaient la leçon, qui voulaient m’apprendre mon boulot et qui savaient faire mieux que moi… Eh bien, voilà : la place est libre ! Je la leur cède, et on verra bien ce qu’ils feront à ma place… » . Vainqueur comme Aimé, vaincu comme Raymond, la difficulté d’exercer le métier de sélectionneur reste la même. Et on s’en apercevra avec Laurent Blanc, bombardé il y a huit mois futur “coach à succès” des Bleus. Avant que sa période noire avec Bordeaux ne lui fasse soudainement prendre conscience de l’énormité de la tâche qui l’attend. Il a même eu un avant-goût du traitement médiatique éreintant qu’il subira en cas de résultats ne seraient-ce que moyens… Bonne chance, Président.
Lyncher les joueurs ? Mais la plupart d’entre eux constitueront la base de l’équipe de France post-Mondial 2010… Pas la peine non plus de les jeter au feu. De les cramer. Là encore, ceux qui n’ont plus rien à donner partiront. Les autres repartiront de l’avant, avec parmi eux, tous ceux qui ont failli en revendiquant trop… Un dernier mot enfin pour les vrais supporters qui y “croyaient” : les hommes, les femmes, les enfants de ce pays, d’où qu’ils viennent, quels qu’ils soient. Ils sont sincèrement peinés. Pas la peine de les moquer, eux non plus. La grandeur des peuples est dans la retenue et dans la dignité. Comprenne qui voudra.
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