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« Avant Granit Xhaka, personne ne connaissait Nettetal »
Capitaine de la Suisse qui commence son Euro 2024 ce samedi face à la Hongrie (15h), Granit Xhaka a vécu une saison XXL. Mais outre le doublé historique avec le Bayer Leverkusen et l’épopée en Ligue Europa, il a entraîné en parallèle une équipe de D5 allemande : le SC Union Nettetal 1996. Reportage dans un club qui a gagné au Loto.
Dans la soirée du 12 mars dernier, à Nettetal, un point d’Allemagne perdu au milieu des champs, à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Düsseldorf, un homme est sorti d’un vestiaire de foot et a demandé timidement s’il avait le droit de monter à l’étage du dessus. Il ne souhaitait pas grand-chose. Simplement une place dans un coin du club-house, un morceau de pizza, de quoi profiter tranquillement d’un quart de finale de Coupe d’Allemagne entre Sarrebrück et le Borussia Mönchengladbach, au milieu des gens, comme un type lambda. « Forcément, ça nous a fait plaisir qu’il soit là, avec nous, remet Andreas Schwan, 39 ans, entraîneur depuis fin 2016 de l’équipe première de l’Union Nettetal, club de cinquième division allemande. Même si le Borussia, son ancien club, a été éliminé, il s’est éclaté et s’est même autorisé plus d’une part de pizza. » Ce qui semble ici être un événement n’en est en réalité plus vraiment un depuis déjà plusieurs mois : cet homme, Granit Xhaka, champion d’Allemagne avec le Bayer Leverkusen il y a quelques semaines, est en fait devenu un habitué des lieux. Son beau-frère, Leonard Lekaj, pilonne le couloir droit de Nettetal depuis l’été 2020 et l’international suisse vient régulièrement le voir jouer, d’autant plus depuis qu’il s’est réinstallé en Allemagne et a quitté Londres, où il vivait depuis 2016. C’est tout ? Non : depuis quelques mois, Xhaka est surtout devenu à 31 ans, en parallèle de sa vie de joueur, l’un des bras droits de Schwan afin de passer ses diplômes d’entraîneur.
Xhaka mania
En cet après-midi de juin, le centre d’entraînement de l’Union Nettetal rayonne et a même de quoi faire rêver n’importe quel club amateur. Des gamins sautent dans des tribunes en taule comme s’ils étaient sur un trampoline, d’autres cavalent sur les quatre terrains praticables qui encerclent le fameux club-house où Xhaka est venu s’enfiler, il y a quelques mois, un shot de normalité. Pendant ce temps-là, des parents avachis attendent le début de la séance des U15 du club. C’est ici, au milieu de murs jaune et bleu, que le Suisse aux 125 sélections aura donc passé une partie de sa saison. Mais comment cela a-t-il commencé ? Réponse d’Andreas Schwan : « Après avoir passé son UEFA B à Londres, avec les jeunes d’Arsenal, Granit a voulu passer son UEFA A, mais il avait besoin d’un club pour l’accueillir. Il aurait pu être avec les jeunes du Bayer, sauf qu’il voulait travailler avec des adultes. Comme Leonard joue chez nous depuis plusieurs années, il m’a demandé si je serai d’accord pour rencontrer Granit et voir ce qu’il serait possible de faire. » Professeur d’allemand et de sport dans un lycée pro en parallèle de sa vie de coach, ce bonhomme blond au clin d’œil facile s’est ainsi retrouvé avec un adjoint de luxe, qui aura été très assidu tout au long de l’année. « Nos matchs sont filmés par une caméra et diffusés en live. Granit pouvait donc les voir et parfois, lorsqu’ils jouaient à l’extérieur, il regardait et m’envoyait des photos avec un autre téléphone des photos de lui en train de suivre nos rencontres. »
Conséquence logique : quand la nouvelle de la venue de Xhaka dans le coin s’est répandue, il n’a pas été rare de voir plus d’une centaine de personnes aux séances pour une photo ou un autographe d’un type en train d’écrire l’histoire du foot allemand. De quoi provoquer quelques vagues dans un club passé de l’anonymat le plus total à quelques caméras de télé. « Pour le club, sa venue a été forcément positive, car personne ne connaissait Nettetal avant que Granit Xhaka ne vienne ici, déroule Schwan. Il a été très strict avec la presse : à 19h30, soit l’heure du début de la séance, personne d’autre que lui et le groupe ne pouvait être sur le terrain. Il disait aux journalistes et aux fans : “Soit vous attendez devant la grille pendant deux heures, soit vous rentrez chez vous…” Mais jusqu’à quinze minutes du début de la séance, il signait les autographes, faisait les photos. Il n’a jamais dit à quelqu’un qu’il n’avait pas le temps. Il a toujours été vraiment simple, gentil. »
Bientôt la saison 2 ?
Dans le vestiaire de l’équipe première, Xhaka a aussi dû passer par la case selfies, avant que tout finisse par se normaliser. S’il avait dans un premier temps dit à Andreas Schwan qu’il viendrait autant que possible, le natif de Bâle sera finalement venu toutes les deux semaines quasiment tout au long de la saison pour aider à l’animation des séances. Schwan : « Il ne fallait pas mettre de côté notre situation, car on devait, avant tout, se maintenir en D5 et on a des joueurs à développer. Mais avec Granit, l’échange d’expériences a vraiment été super. L’enjeu, pour lui, a été de retranscrire ce qu’il apprenait dans les cours théoriques avec des joueurs qui ne sont pas pros. Il l’a fait par étapes, a analysé, adapté les exercices à ce qu’il pouvait voir lors des matchs, filmait les séances pour les envoyer à ses instructeurs… Ça a été très intéressant et en matière de système, il nous a même fait franchir un cap car à la mi-saison, il m’a dit : “Selon moi, tu as les joueurs pour jouer le même système que nous, à Leverkusen. Es-tu prêt pour que je donne certains éléments aux joueurs ?” Et aujourd’hui, l’équipe sait jouer deux systèmes différents. » S’il parle d’une situation de « win-win » – le maintien ayant été acquis plutôt aisément pour Nettetal qui a terminé onzième de sa poule –, le quadragénaire à lunettes rondes a aussi vu des portes s’ouvrir et a eu la possibilité, à l’automne, d’aller voir jouer le Bayer Leverkusen lors d’un match face à l’Union Berlin dans la loge de son adjoint. Une première pour ce supporter de Gladbach, pour qui le Bayer a longtemps simplement été « Neverkusen », tandis que plusieurs membres de son staff ont également été invités à la finale de la Ligue Europa, face à l’Atalanta, fin mai.
Mais qu’a-t-il appris, lui ? « Il m’a inculqué que chaque joueur a un rôle précis à jouer dans le match, que chaque joueur a des responsabilités à prendre. Selon lui, chaque joueur doit guider celui juste devant lui. Le central gauche doit, par exemple, “coacher” le latéral gauche, pareil pour le central droit avec le latéral droit. Cela ne sert à rien qu’un joueur fasse attention à toute l’équipe. L’essentiel est qu’il ait en tête la gestion de sa zone. » Bonne nouvelle : quelques jours après la finale de C3 perdue face à l’Atalanta, Granit Xhaka a obtenu, à Londres, son diplôme UEFA A. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il va arrêter sa mission avec Nettetal. Au contraire, le Suisse a déjà assuré à Andreas Schwan qu’il repartait pour une saison supplémentaire. En attendant, ce dernier espère pouvoir aller voir son adjoint jouer l’Euro, face à l’Allemagne, à Francfort, le 23 juin prochain. Avant peut-être un jour de devenir à son tour l’adjoint du milieu du Bayer un cran plus haut ? Schwan saisirait sans aucun doute l’occasion au vol. « C’était important pour lui que je le voie jouer, que je rencontre sa famille, résume un Andreas qui s’y voit déjà. Il m’a dit : “Dans quelques années, je serai coach et personne ne sait ce qu’il va se passer. Si j’ai besoin d’un coach adjoint, je sais ce que tu auras fait pour moi.” » Rendez-vous dans dix ans ?
Par Maxime Brigand et Andrea Chazy, à Nettetal
Photos : DR et AC.