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Mathieu Le Scornet, une vie de foot
C'est dans le costume d'entraîneur principal de Strasbourg que Mathieu Le Scornet, ancien adjoint de Julien Stéphan, s'apprête à retrouver le Stade rennais, un club où il s'est construit pendant 25 ans. Un sacré symbole pour le Liffréen.
Une vingtaine de kilomètres séparent le stade Nelson-Paillou du Roazhon Park, et Mathieu Le Scornet n’a pas besoin de GPS pour faire le chemin. Il est liffréen autant qu’il est rennais, peut-être même plus. Ce dimanche 8 janvier 2023, il n’a pas eu de choix à faire entre la route de Lorient et l’enceinte de sa commune d’un peu plus de 8000 habitants, située au nord-ouest de la capitale bretonne. Une chance puisqu’il assiste à un feu d’artifice dans la grisaille hivernale : l’US Liffré, son club de toujours, livre une démonstration face à Lamballe (5-1) dans un match en retard comptant pour le championnat de Régional 1, grâce à un triplé de la recrue Ronel Kangou. Revenir ici, c’est retrouver la famille, les copains, des habitudes et des souvenirs. « Mathieu est un vrai Sanglier (le surnom du club, NDLR), il s’est marié à la mairie de Liffré, il y fait ses courses, son marché. Il a besoin de venir se ressourcer avec les Liffréens qui l’entourent, décrit Julien Lebastard, son ami et témoin de mariage. Le nom de Le Scornet aujourd’hui à Liffré, personne ne l’ignore, on sait ce qu’il fait et on sait d’où il vient. Bon, même avant il était très connu : quand on se baladait dans le bourg, on avait l’impression d’être en campagne électorale. Maintenant, ça reste un entraîneur de foot, ce n’est pas une rockstar, donc il est serein avec tout ça. »
Le lendemain de cette parenthèse familiale, Julien Stéphan était mis à pied par les dirigeants de Strasbourg, conséquence de l’élimination par Angers en Coupe de France et d’une première partie de saison délicate en championnat. Cette fois, Le Scornet ne l’a pas suivi, les relations entre les deux hommes s’étant rafraîchies depuis un moment. « Ils n’étaient plus du tout sur la même longueur d’onde », nous glisse-t-on sans trop de détails, le sujet étant sensible, voire tabou. L’intérim aurait pu durer deux matchs, mais le regain comptable (4 points sur 6 dont une victoire à Lyon) et le soutien du vestiaire ont décidé les dirigeants alsaciens à conforter Le Scornet – qui n’a pas le BEPF – comme entraîneur principal plutôt que d’aller chercher Sabri Lamouchi. Quand il l’apprend, il se trouve à… Liffré, le week-end des 100 ans du club. « Il m’a dit lui-même que c’était un vrai clin d’œil que ça tombe l’année du centenaire de l’US, assure le président Christian Mainguené. Ça n’a rien à voir, mais c’est un symbole sympa. » En voilà un autre : mercredi soir, Le Scornet retrouvera le Stade rennais, son autre chez lui, où il a beaucoup appris et s’est construit sur les terrains de Cleunay, du Moulin du Comte ou de la Piverdière. Il sera question de gagner un match pour permettre au Racing de respirer après un nouveau revers à la Meinau, mais Guillaume, le petit frère de Mathieu, ne cache pas l’évidence : « Ça va lui faire quelque chose, c’est sûr et certain. »
Un rêve peut en cacher un autre
Comme de nombreux gamins d’Ille-et-Vilaine, Mathieu Le Scornet rêvait de fouler un jour la pelouse du Roazhon Park comme joueur professionnel plutôt que de s’asseoir sur le banc dans le costume d’entraîneur. Né à Metz, il débarque très vite en Bretagne, d’où il tient des origines finistériennes, et commence à taper le ballon à Liffré, bien sûr. Avant de filer au Stade rennais en 1994, à l’âge de 11 ans, le cheminement classique d’un jeune pas trop mauvais dans le département. Mais le rêve ne prend jamais vraiment forme, malgré une tentative d’exil au Stade brestois à sa majorité. Une grave blessure au genou met fin aux derniers espoirs, même si le plafond était déjà sans doute trop haut pour ce milieu défensif rugueux. « C’était un très bon joueur de foot, mais au fond de lui, il savait que c’était compliqué de passer pro, raconte le frangin Guillaume. Quand il part à Brest à 18 ans pour jouer en DH, l’équipe première est en National et il me disait que c’était un niveau sans doute trop élevé pour lui. » Cela n’a pas été une raison pour raccrocher les crampons : tant qu’il le peut, Le Scornet continue à jouer.
Il revient au Stade rennais au sein de la troisième équipe, puis vient le temps du plaisir et des copains dans les années 2010, où il prend une licence à l’US Saint-Sulpice-La-Forêt (aujourd’hui US Illet Forêt) pour retrouver des potes. « On avait émis l’hypothèse qu’il vienne jouer des années plus tôt, mais il était en DH. Et un 28 janvier, le jour de mon anniversaire, il est venu à la maison en annonçant qu’il venait jouer à Saint-Sulpice. Mon père qui était le président à l’époque n’était même pas au courant, se marre Julien Lebastard. Mathieu était dur sur l’homme, il aimait aussi bien organiser sur le terrain, replacer les joueurs, etc. On va dire qu’on savait quand il était là, il était déjà un peu entraîneur. » Christian Mainguené, qui l’a aussi vu revenir à Liffré, a les mêmes souvenirs : « Il commandait un peu tout dans le bon sens du terme, ça pouvait faire de l’ombre au coach en place, sourit-il. Il était déjà attiré par ça. » Son ami Julien, qui a passé ses années collège et lycée avec lui, décrit quelqu’un qui très tôt était « habité par le foot ». Pour Guillaume, son grand frère a toujours eu « une lecture du jeu précoce et un besoin de comprendre les choses sur un terrain ». La suite de son histoire avec le foot semblait écrite.
Dans le cœur d’Eduardo Camavinga
Sur les conseils de Didier Le Bras*, personnage incontournable pour les jeunes du SRFC à l’époque, il emprunte la voie d’éducateur. Il commence chez les benjamins peu après ses 18 ans et se lance dans l’encadrement des jeunes en tant que bénévole, avant que ses compétences ne le fassent grimper dans la hiérarchie : il devient responsable de l’école de foot, puis de la préformation. « Il a vraiment commencé en bas de l’échelle, admet Patrick Rampillon, directeur emblématique du centre de formation des Rouge et Noir de 1987 à 2013. Il était toujours très à l’écoute, c’était un buvard. Il épongeait tout ce qui était susceptible de le faire grandir. » Le désormais retraité assure même qu’il a contribué à faire bouger les lignes en insistant pour recruter les meilleurs jeunes du coin avant d’aller voir 500 kilomètres plus loin. « Il avait tissé un gros réseau avec les clubs aux alentours, c’était aussi sa mission, résume William Stanger, ancien pro lui aussi reconverti dans la formation à Rennes et qui lui avait confié le rôle d’éducateur principal de ses stages d’été pour les jeunes au début des années 2010. On passait des heures à parler de foot. J’ai travaillé deux ans avec lui à la préformation, on avait beau faire des journées pleines, on était encore au téléphone le soir pour discuter, trouver des solutions, partager nos idées… » Guillaume Le Scornet : « Tu lui sortais le nom d’un mec à côté de Saint-Malo, il connaissait sa date de naissance, son pied fort et il avait déjà eu un contact avec la famille. »
🏆 #UCL 🎙 Camavinga : "Un enchaînement que j'ai appris à Rennes" pic.twitter.com/VvO3SzU97M
— beIN SPORTS (@beinsports_FR) September 15, 2021
Un souci du détail entretenu par ses études en STAPS, qui lui ont permis d’élargir sa palette et ses compétences, même s’il faut toujours en revenir au terrain avec Mathieu Le Scornet. C’est là où il a vu passer de nombreux jeunes devenus professionnels, dont Lesley Ugochukwu, Désiré Doué ou Ousmane Dembélé. C’est là aussi qu’il a découvert Eduardo Camavinga à Fougères pour le ramener au Stade rennais. « Je me souviens quand il le fait venir s’entraîner quelques mercredis et qu’il dispute le tournoi de Montaigu avec deux ans d’avance, rembobine Rampillon. Au-delà du terrain, il était très présent sur le plan humain. Il s’occupait de la famille et il savait qu’un gamin avait besoin d’être bien dans ses baskets pour s’épanouir au foot. » L’international français n’a d’ailleurs jamais renié l’importance de Le Scornet dans son parcours. « C’est comme s’il faisait partie de ma famille, disait-il même à Ouest-France. Je suis même allé à son mariage. J’avais 14 ans, j’étais en U15, je me souviens bien de la cérémonie à l’église. » Le milieu du Real Madrid lui avait aussi fait une dédicace au micro de beIN Sports après avoir délivré une passe décisive en Ligue des champions contre l’Inter en septembre 2021: « Ce sont des enchaînements que j’ai appris à Rennes, avec Mathieu Le Scornet. Il me disait souvent de faire la passe et de prendre la profondeur pour amener le danger. C’est ce que j’ai fait avec Fede (Valverde), il m’a bien servi et j’ai pu servir Rodrigo. » Un adoubement en direct.
Coup tactique, major et grand monde
Le foot des jeunes et des adultes n’est cependant pas le même. Si le Breton joue parfois au coach avec l’US Saint-Sulpice, sa seule expérience comme entraîneur principal d’une équipe seniors date de la saison 2017-2018 sur le banc de l’US Liffré, en duo avec Arnaud Cudelou, à la demande du président. « Il était présent sur une séance par semaine en parallèle de ses activités au Stade rennais, pose son binôme. Il encadrait toute la partie tactique, le terrain, on avait bien défini les rôles. » Une franche réussite, puisque l’équipe monte enfin en Régional 2 cette année-là, se permettant même un petit frisson en Coupe de France en regardant Vannes (National 3) dans les yeux. « Il avait fait un coup énorme contre le VOC en mettant en place un nouveau plan de jeu pour la première fois avec une défense à cinq, s’enflamme Christian Mainguené. Ce n’est vraiment pas passé loin, on ouvre le score (par Guillaume Le Scornet, NDLR) et on craque dans le dernier quart d’heure pour une défaite 2-1. » Sur le terrain ce jour-là, son frère Guillaume parle de « sa meilleure année de foot », même si Le Scornet doit s’éloigner peu à peu en fin de saison pour se concentrer sur les tournois du printemps avec ses équipes de jeunes du Stade rennais, avant de rendre son tablier, faute de temps, pour l’exercice suivant.
Des terrains de R3 au grand monde, il n’y a qu’un pas, et tout va s’accélérer pour MLS dans le dernier semestre de l’année 2018. En septembre, il est accepté pour passer le BEFF, l’un des derniers grades de diplômes délivrés par la FFF, dont il terminera major en mars 2020 après huit semaines de formation à Clairefontaine. « On se connaissait un peu, on se voyait sur des tournois, et je me souviens même qu’on avait passé tout le trajet en train à parler de foot au wagon-bar en revenant de Mougins avec les jeunes, et on parle d’un long voyage, précise Thomas Leyssales, responsable de la préformation au PSG et diplômé dans la même promo. On s’était téléphoné après les tests, on espérait être pris tous les deux. » En cours de route, le Liffréen reçoit un coup de fil matinal de Julien Stéphan, avec lequel il a longtemps partagé son bureau à la Piverdière, un jour de décembre 2018, et accepte de devenir son adjoint. « C’est le passage du développement à la performance, théorise Thomas Leyssales. Ça lui a encore permis de découvrir une autre facette de ce métier : comment performer pour gagner le match du week-end ? Le rapport avec les joueurs est aussi différent, on a affaire à des adultes. » Un écart peut-être pas si grand pour Stanger, aujourd’hui adjoint de la réserve du SRFC : « C’est toujours la même chose, il y a un besoin d’affect et de performer. Il avait besoin de gagner en légitimité en passant avec les pros, où il connaissait déjà beaucoup de jeunes, mais je crois me souvenir qu’il s’est très vite intégré. »
Des finales, une cassure et un militaire en mission
Le début d‘une autre carrière pour ce dingue du Barça de Pep Guardiola, « toujours dans la curiosité, mais devenu plus pragmatique avec le temps » (Stanger), et cet amoureux des Rouge et Noir, lui qui était derrière le but pour assister au coup franc splendide de Ronaldinho avec le PSG le 12 janvier 2002, ou encore au Stade de France lors des finales perdues contre Guingamp en 2009 et Saint-Étienne en 2013. « La défaite contre Guingamp, c’était un moment douloureux, mais il avait son œil de professionnel, se rappelle Julien Lebastard, présent avec lui en tribunes ce soir-là. Il était dans l’analyse, il cherchait à comprendre ce qui s’était passé pour que l’on perde. » Puis, il s’est retrouvé de l’autre côté de la barrière dix ans plus tard, en 2019, vivant de l’intérieur le triomphe contre Paris. « Il ne se rendait pas trop compte de ce qui se passait, c’était un peu inimaginable », ajoute Julien. Des bons moments, et d’autres moins, même si Le Scornet est du genre à considérer que « chaque problème a une solution ». Une positive attitude confirmée par son frère Guillaume : « Quand ça se passait moins bien avec Rennes, je le vivais mal, je me disais qu’il allait se faire virer. Mais il arrive toujours à tout dédramatiser. Il me disait : “T’inquiètes Gui, ce n’est que du foot.” »
Ce qui n’a pas empêché le couperet de tomber après la démission de Stéphan en mars 2020, c’était un risque assumé en passant de CDI à CDD deux ans plus tôt. Au lendemain de l’arrivée de Bruno Genesio, Le Scornet est mis à l’écart, une décision prise par Florian Maurice, en concertation avec le nouvel entraîneur. « Un crève-cœur », selon Julien, et surtout la fin d’une histoire longue de 25 ans, soit quelque part l‘histoire d’une vie. « Il savait que ça pouvait se terminer du jour au lendemain, mais il n’avait jamais été au chômage, et la cassure a été difficile à avaler, résume Guillaume. Il s’est retrouvé tous les jours à la maison. La première chose qu’il a faite, c’est de louer un vélo pour se défouler en attendant un nouveau projet, il fallait qu’il trouve quelque chose à faire. » Puis, Strasbourg est arrivé pour cet « épicurien », amateur de padel et de palet breton. Derrière son côté ours et froid, ceux qui le connaissent affirment qu’il y a un homme volontiers chambreur et chaleureux. Lui a toujours assuré qu’il n’était pas programmé pour tout ça, mais Stanger se dit que ses quatre saisons passées chez les professionnels « lui ont peut-être ouvert l’appétit ». « Jamais on n’avait parlé de la possibilité de se retrouver coach principal en Ligue 1, assure Thomas Leyssales. Quand on est à la préformation, c‘est tellement loin. »
Patrick Rampillon, lui, se réjouit de voir la colonie des éducateurs passés par la formation à Rennes (Régis Le Bris, Franck Haise, Julien Stéphan et maintenant Mathieu Le Scornet) s’agrandir dans l’élite du football français : « Comme Régis, il pouvait parfois être dans la retenue, en distance, mais ce n’est plus le cas. Il y a une âme de formateur qui peut convenir au niveau du discours avec des gens de 24, 26 ou 28 ans. » Le Scornet n’a pas encore d’agent, et il est arrivé en Alsace seul à l’été 2021. Sa femme et leurs deux enfants vivent encore aujourd’hui dans leur maison à Liffré, où « le cadre familial est trop important » (Guillaume). « Ce n’est que cinq heures de train, il s’organise pour les voir très régulièrement et ils ont trouvé un bon équilibre, confie son ami Julien. Il me dit que c’est comme un militaire et que là, il est en mission. Il part, il fait son job et il revient dès qu’il peut. » Il peut encore lui arriver de passer une tête aux entraînements de jeunes à l’US Liffré, où jouent ses deux fils, ou accepter de donner un coup de main à Julien Lebastard, coach de l’équipe C en district, en organisant une séance spécifique coups de pieds arrêtés avant un match de coupe. Mercredi soir, sa mission le fera passer par Rennes, un moment particulier, selon Stanger : « Elle est belle, l’histoire, parce qu’il aime profondément ce club, ce n’est pas du mensonge. » Dans les tribunes, il y aura sa famille, les amis et même Patrick Rampillon, qui a avancé son retour de vacances au ski pour être de la partie. « J’ai quelques places, et beaucoup de Liffréens m’ont appelé pour savoir s’il ne m’en restait pas, se marre Christian Mainguené. Tout le monde veut y aller, il y aura tout Liffré ! » Cette fois, le stade Nelson-Paillou risque de sonner creux.
Par Clément GAVARD
Tous propos recueillis par CG, sauf mentions
* Didier Le Bras est décédé en 2018. Il était un ancien éducateur historique du Stade rennais et l'auteur du livre Foot passion, foot prison ? aux éditions Jets d'encre.