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Rennes, bienvenue au paradis

Par Clément Gavard, à Paris, Saint-Denis et Rennes
8 minutes
Rennes, bienvenue au paradis

Les supporters rennais ne sont pas près d'oublier le week-end du 27 avril 2019. Après quarante-huit ans d'attente, le Stade rennais a remporté samedi soir la troisième Coupe de France de son histoire en renversant le Paris Saint-Germain (2-2, 6-5 tab). Dans le virage nord du Stade de France comme dans les rues de Rennes ce dimanche, les fidèles amoureux du SRFC ont vécu des moments uniques et forts en émotion. Récit historique.

Plus rien ne sera jamais comme avant pour les amoureux du Stade rennais. Plus rien. L’histoire retiendra que tout a basculé un samedi 27 avril 2019, aux alentours de 23h55, au bout d’une séance de tirs au but irrespirable dans le virage nord du Stade de France. Les visages sont crispés, le silence est pesant, chacun vit le moment à sa manière. Il y a ceux qui ont besoin de parler, beaucoup parler, de crier, de hurler, pour tout évacuer. Il y a ceux qui ont les yeux rivés vers le ciel, ceux qui ne veulent pas regarder ce qui se passe sur le rectangle vert, ceux qui sont désormais incapables de faire sortir un son de leur bouche et tous les autres encore. Les dix premiers tireurs n’ont pas tremblé, la mort subite a commencé et Ismaïla Sarr vient de transformer la sixième tentative des Bretons. À l’opposé de l’espace réservé aux supporters rennais, Christopher Nkunku s’avance tout doucement vers le point de penalty. « Il veut venir jouer l’Europe chez nous la saison prochaine, il va le rater ! » , peut-on entendre dans le bloc L6. Bingo, le jeune milieu de terrain envoie une praline au-dessus et le virage nord explose littéralement. Rennes vient de remporter sa troisième Coupe de France après 48 années de disette et deux finales perdues contre Guingamp dans la dernière décennie. L’apogée d’une journée définitivement plus comme les autres.

Bières, averses et branlée

Un déplacement au Stade de France ressemble souvent à un marathon, les Rennais connaissent la chanson. Trois finales perdues, n’empêchant pas la communauté rouge et noir de se mobiliser encore une fois pour l’événement. Quand les membres du Roazhon’s Call, le groupe de supporters rennais basé dans le 15e arrondissement, se donnent rendez-vous dans un petit bar vers Faidherbe-Chaligny, d’autres investissent le restaurant Papa Poule dans le 11e arrondissement. Les premiers chants sont lancés entre deux averses ou deux bières dans une ambiance plutôt bon enfant, avant que tout le monde ne se rassemble avenue François Mitterrand, à Saint-Denis, pour se lancer dans un cortège mené par le Roazhon Celtic Kop. Les souvenirs des journées passées à Séville et à Londres remontent à la surface, les couleurs rouge et noir habillent la grande avenue et plusieurs milliers de supporters défilent dans un concert de chants à la gloire du Stade rennais et de fumigènes. Le moment choisi par Jordan Siebatcheu, blessé depuis son doublé contre Lille en huitièmes de finale, pour se frayer un chemin parmi les Bretons et recevoir sa petite ovation.

L’arrivée devant l’enceinte dionysienne sous une pluie dantesque peut raviver quelques traumatismes, mais il n’est pas l’heure de pleurer sur le triste sort du SRFC, il faut trouver un établissement autorisé à servir des bières, puisque ce n’est pas le cas des petits troquets installés aux abords du stade. Ouf, il y a un bar en face de la porte K, tout le monde peut souffler et continuer de profiter d’un avant-match festif et joyeux. Une vague d’optimisme semble se répandre : « On va le faire » , « On va gagner, je le sens bien » , « T’inquiète pas, on va les taper » . La météo est changeante, un coup le soleil pointe le bout de son nez, un autre la pluie s’abat sur les rangs rennais, poussant certains à aller se réfugier dans Leroy Merlin une pinte à la main. 19h30 : il est l’heure de rentrer dans le stade.

Comme lors des trois précédentes finales, les supporters rennais sont placés dans le virage nord. Pas une bonne nouvelle pour les superstitieux, qui découvrent en plus l’équipe alignée par Thomas Tuchel : Mbappé, Neymar et compagnie sont de la partie. Outch. Les joueurs rennais sont les premiers à se présenter à l’échauffement sous le tumulte d’un peuple décidé à ne rien lâcher. Les minutes défilent lentement, le stress commence sérieusement à monter et le protocole se met en place avant le coup d’envoi. En face, les fans du PSG commencent à s’installer, mais semblent moins bruyants que les visiteurs bretons. Le coup d’envoi est donné depuis vingt minutes, Alves et Neymar ont déjà marqué et le rêve rennais est encore une fois en train de s’envoler. Tout le monde (ou presque) a la même réflexion : « Bon bah ça y est, c’est plié, on va prendre une branlée. » Tant pis, il faut profiter du moment.

Hors du temps

La 35e minute est une bonne occasion pour relancer la machine et montrer aux joueurs que le public rennais n’est pas complètement résigné, surtout qu’il assiste de loin au but contre son camp de Kimpembe. Et si ? La pause arrive à point nommé, certains supporters ont besoin de respirer, d’autres ont tout simplement besoin d’une petite sieste réparatrice, il faut dire que la journée a été longue. Puis, c’est la première véritable explosion quand Mexer vient placer son coup de tête devant des milliers de supporters en folie. Le rêve ne s’est pas envolé, il est toujours présent dans toutes les têtes. Les minutes passent lentement, trop lentement. Chaque accélération de Neymar est une source d’angoisse, chacun essaie de rassurer son voisin, de le convaincre que cette équipe peut faire quelque chose de grand.

La prolongation est un enfer, la séance de tirs au but un long calvaire pour les nerfs. Et au bout, cette délivrance, cette libération, attendue par tout un club depuis près d’un demi-siècle. Les scènes de joie sont difficilement descriptibles, des amis et des familles se prennent dans les bras, des inconnus aussi. Les premières secondes sont hors du temps. Les larmes coulent sur de nombreux visages. Elles marquent la fin d’une trop longue frustration et des multiples déceptions vécues par plusieurs générations de supporters. Le virage nord est dans un monde parallèle : des enfants aux jeunes adultes, en passant par les plus âgés, ceux-là même qui avaient connu la victoire de 1971. Les joueurs soulèvent le fameux trophée, et la voix de Freddie Mercury peut résonner dans le stade. Le rêve d’une vie.

La fête en couleur

Le public communie avec ses héros, avant de quitter le Stade de France des souvenirs plein la tête. La foule se dirige lentement, très lentement vers la station de métro la plus proche. Sur le chemin, il y a des têtes connues qu’on a envie de saluer, voire même d’embrasser, comme Yannick, le patron du bar Aux Sports, le QG des expatriés rennais dans la capitale situé dans le 15e arrondissement. Ces moments ne peuvent pas vraiment se raconter, il faut se contenter de les vivre. La rame de métro est bondée, les chants ne cessent de fuser et la soirée se poursuit place de Clichy, où les bars encore ouverts sont colonisés par une horde rouge et noir.

Pas le temps de se coucher, le train OUIGO de 7h06 est pris d’assaut par plusieurs dizaines de supporters rennais, mais aussi par… des joueurs du SRFC. Romain Del Castillo, Gerzino Nyamsi ou encore Adrien Hunou sont de la partie et se mêlent à des fans déchaînés, le sourire aux lèvres et le sentiment du devoir accompli. Les deux heures de trajet peuvent aussi servir à somnoler, histoire de garder des forces pour le retour des héros à la maison. 9h10 : les premiers solides arrivent à Rennes et se ruent chez le marchand de journaux pour se procurer les éditions historiques de L’Équipe et Ouest-France. Les retrouvailles sont prévues à 16 heures sur l’esplanade Charles de Gaulle, où plusieurs milliers de Rennais s’étaient déjà rassemblés la veille pour assister à la finale devant un écran géant. Une heure avant le coup d’envoi des festivités, la place est noire de monde malgré le ciel menaçant. « C’est quoi ce bordel ? J’en ai rien à foutre du Stade rennais, moi » , balance un homme grognon face à la scène avant de s’en aller. Le speaker lance des chants pour faire patienter la foule et demande à ce que les parapluies soient rangés à l’arrivée des joueurs. Voilà, Rennes va enfin pouvoir faire la fête en couleur, près de cinquante ans après les images en noir et blanc de 1971.

Plusieurs dizaines de milliers de personnes sont présentes pour acclamer les héros d’une vie. Les trois fondateurs du RCK viennent faire le show sur scène. Eux aussi, ils attendaient ça depuis trop longtemps, et leur groupe, leur bébé, créé en 1991 va enfin pouvoir savourer un titre du Stade rennais après des années de galère. La pluie redouble d’intensité pendant le discours de Nathalie Appéré, la maire de Rennes, avant de s’arrêter au moment précis où Julien Stéphan débarque sur la scène. Le technicien de 38 ans est définitivement un magicien. Le début de la cérémonie est un peu chaotique, tout n’est visiblement pas au point au niveau de l’organisation. Pas bien grave, chaque joueur semble quand même profiter et Benjamin André, le capitaine rennais, présente enfin la Coupe de France tant espérée à une place noire de monde. Le staff et les joueurs s’offrent un bain de foule entre les barrières installées au cœur de l’esplanade, et certains supporters ont même la chance de toucher le trophée. « J’ai embrassé la coupe ! » , balance un jeune adulte. La fête se poursuivra place de la Mairie, un lieu hautement symbolique, une trentaine de minutes plus tard, pour présenter la Coupe de France au balcon de l’hôtel de ville. François Pinault sera de la partie, les familles des joueurs aussi et tout ce petit monde pourra assister à un clapping mémorable. Les moments sont forts, ils sont uniques. Plus rien ne sera jamais comme avant.

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