À travers vos expériences en Afrique, avez-vous vu le football évoluer sous l’influence de la FIFA sur le continent ?
Au niveau de ce qu’a apporté la FIFA à l’Afrique, il y a bien sûr la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud. En 2002, alors qu’il se présentait à la présidence de la FIFA, Issa Hayatou était persuadé d’avoir tous les votes africains, mais Blatter a fait le tour de tous les dirigeants africains un à un avant l’élection, et finalement, c’est Blatter qui a eu le plus de voix. Il y a eu un retour d’ascenseur : comme les Africains ont voté pour lui, on a fait une Coupe du monde en Afrique du Sud. Cela a donné un peu de travail le temps de construire plusieurs stades, mais est-ce que l’Afrique du Sud, avec toute sa pauvreté, était réellement en mesure de financer une Coupe du monde ? Personnellement, je trouve cela lamentable. La Belgique et les Pays-Bas, qui sont des pays riches, n’envisagent même pas de le faire à deux. Après, le projet Goal (financement d’infrastructures par la FIFA, ndlr) a accouché il est vrai, dans certains pays, d’un centre sportif. Sont-ils bien gérés ? Au Ghana, le projet Goal n’est toujours pas achevé, il n’y a toujours pas de centre de formation qui fonctionne. Donc mis à part ce projet qui fonctionne inégalement, je ne vois pas ce que la FIFA a apporté à l’Afrique
Un sélectionneur voulant garder l’anonymat a expliqué que l’argent du projet Goal avait été détourné dans le pays où il exerce : un membre de la Fédération a remporté l’appel d’offres, commencé les travaux, mais ne les a pas achevés. La FIFA a finalement installé un terrain synthétique par ses propres moyens, mais n’a pas sanctionné les gens ayant détourné l’argent. Cela signifie-t-il que le projet Goal sert à acheter des votes et que la FIFA préfère ne pas sanctionner les irrégularités pour ne pas froisser des électeurs ?
À mon avis oui, c’est très vraisemblable. Le projet Goal a fonctionné en Éthiopie, car les Éthiopiens sont en train de constituer un pays avec très peu de corruption. Au Rwanda, cela pourrait fonctionner, car l’actuel président est très autoritaire concernant la gestion des fonds provenant de l’étranger. Je peux vous parler du Bénin où j’ai été sélectionneur (2001 à 2003, ndlr), j’ai été à la base de la première qualification du Bénin pour la CAN. Il n’y a même pas de championnat là-bas. Dans ce pays, il faudrait déjà terminer le centre de formation du projet Goal, car actuellement, il existe, mais n’est pas utilisable. Il y a tellement de disputes entre clans à la Fédération que rien ne fonctionne. Et ce n’est pas le seul pays dans cette situation.
La FIFA investirait donc dans tous les pays africains, qu’importe la corruption ?
Au Bénin, la corruption est installée dans l’économie jusqu’au plus bas niveau. Même des policiers installent des barrages pour bloquer les voitures, tenter de prendre les gens à défaut et coller des amendes, car les salaires des policiers sont misérables. Les dirigeants ont beau changer, on reste dans la même logique. Il y a des pays en Afrique qui sont sur la bonne voie en matière de lutte contre la corruption. Il ne faut pas mettre tous les pays dans le même sac.
Plusieurs présidents de fédérations africaines sont pourtant dithyrambiques vis-à-vis de Blatter, certains parlent de lui comme d’un humaniste…
À partir du moment où on accepte de l’argent d’une personne et qu’on a la perspective d’en recevoir encore, on ne va pas critiquer cette personne. Quand son secrétaire général, Zen-Ruffinen, a dénoncé Blatter, c’est allé en justice et Zen-Ruffinen a été débouté par les juges suisses. Avait-il assez de preuves ? Il y a eu des magouilles extraordinaires là-dedans. Blatter a dit quoi ? « Zen-Ruffinen, c’est comme mon fils, alors un papa doit être sévère avec son fils : il a sept jours pour quitter la FIFA. » Je ne suis pas précis sur les termes, mais cela s’est plus ou moins passé ainsi. En Afrique, quand vous êtes dans le système de donner votre voix pour la reconduction d’un homme comme Blatter, c’est clair que ces gens-là vont vous dire que Blatter est un humaniste. En organisant la Coupe du monde en Afrique du Sud, quel est l’humanisme là-dedans, à part offrir un chantier de deux ans ? Quand on voit aujourd’hui le Qatar, c’est une affaire des plus scandaleuses. Quand vous savez qu’il y a déjà un millier de morts, qu’il y en aura probablement 3000 de plus … C’est de l’humanisme ?
Vous parlez du rapport de Zen-Ruffinen, qui accusait Blatter de malversations, mais aussi d’avoir versé de l’argent à l’arbitre Lucien Bouchardeau pour obtenir des infos compromettantes sur Farah Ado, l’ancien dirigeant somalien qui a accusé Blatter de corruption… Ce jeu d’influence est-il propre à Blatter ?
Cela me fait penser à John Edgar Hoover aux États-Unis, qui a dirigé le FBI pendant quarante ans. Dès qu’un homme arrivait au pouvoir, il demandait un dossier pour tout connaître de sa vie privée. De telle manière qu’il a été patron du FBI sous huit présidents différents, car il était intouchable. Certains étaient dans le jeu, d’autres dans la drogue. Je ne sais pas si Blatter va aussi loin que cela, mais il est clair qu’il sait des choses. D’abord, il est jugé en Suisse, je ne comprends pas pourquoi, car là-bas il passe à travers tout. Si vous allez à l’encontre de Blatter, vous serez éliminé du jeu, vous n’y prendrez plus part. Comme dans un thriller. Pour Zen-Ruffinen, le football c’est terminé. Il a essayé de faire quelque chose d’honorable, mais il a raté son coup. Et quand on rate son coup avec un type comme Blatter, on ne revient plus. Si vous ratez votre coup contre Blatter, lui ne vous ratera pas en retour.
Malgré ces tentatives pour l’abattre et les soupçons de corruption, il semblerait que Blatter ne soit pas prêt à céder sa place…
Je ne comprends vraiment pas ces gens qui s’accrochent au pouvoir. On accapare le pouvoir pendant trente ans dans certains pays africains, et Blatter en est également l’exemple parfait. Il a pris le pouvoir, ne sait pas le lâcher, car il pense que cela ne pourra pas marcher sans lui. Il est milliardaire, et se sent indispensable. Voilà pourquoi il se représente pour un nouveau mandat avec déjà la moitié du monde, si ce n’est les deux tiers, derrière lui.
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