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- 7e Tour
- Quevilly/ASC Siroco Les Abymes (1-0)
Rendez-vous en terre inconnue
Injustement ignoré, le septième tour de la Coupe de France est le théâtre d'oppositions d'envergure, là où se forgent les épopées. Récent finaliste de la compétition en 2012, l'US Quevilly accueillait aujourd'hui le Siroco Les Abymes, venu tout droit de Guadeloupe, dans un choc des extrêmes à l'issue incertaine.
Ils espéraient tous partir en Guadeloupe, pour un voyage dépaysant, un choc des cultures à défaut d’un choc sportif. Malheureusement, c’est bien à Rouen que Quevilly dispute le septième tour de la Coupe de France face à son adversaire antillais : « Le club avait accepté la demande des joueurs pour qu’ils puissent vivre une aventure humaine en se déplaçant dans les DOM-TOM. Le tirage a décidé que nous jouerons à domicile » , explique dans la presse locale l’entraîneur Manu Da Costa, forcément déçu, mais prêt à relativiser son malheur par l’avantage de ce tirage : « En termes sportifs, recevoir est toujours plus intéressant que de se déplacer. » Surtout en Coupe de France, où les surprises sont légion et la logique sportive pas toujours respectée. « C’est peut-être la première fois où j’ai aussi peu d’informations sur une équipe. On va tout faire pour avoir des renseignements pour donner quelques billes aux joueurs et ne pas les lancer dans l’inconnu. » L’inconnu, c’est ce club de division d’honneur guadeloupéenne, au surnom inquiétant et au CV incertain : le Siroco Les Abymes. « Ça va être un match très compliqué, un vrai traquenard, un vrai match de coupe, annonce le technicien normand. C’est la rencontre de l’année pour eux. Le niveau martiniquais, guadeloupéen, réunionnais est bien au-dessus de celui de Mayotte et de la Guyane. Mais nous partons avec un léger avantage : nous recevons et eux vont devoir s’acclimater au décalage horaire et à la température. »
Voyage initiatique
Le plaisir du voyage, ce sont donc les Guadeloupéens qui le découvrent pendant une semaine, abandonnant la chaleur des palmiers pour les nuages de la ville aux cents clochers. Financés par la Fédération, il leur aura fallu près de 9h de vol pour atterrir à Paris, où ils ont profité pendant deux jours des installations de l’INSEP. « Le voyage pèse dans les jambes. Après un tel trajet, nous sommes fatigués et en plus, nous venons jouer dans un climat auquel les joueurs ne sont pas habitués, témoigne le coach Mario Relmy, passé par le Stade rennais, le FC Metz et les Chamois niortais dans les années 80. Les joueurs ont quelques douleurs, ils ne sont pas très à l’aise, mais comme ça ne dure qu’une semaine ça devrait aller. Nous allons remettre tout ça en place pour être opérationnels. » Joint au téléphone mercredi juste avant le départ pour Rouen, Jérémy Sinnoaj, le défenseur central de l’équipe, annonce la couleur : « On est impatients de jouer ! On a hâte d’être dans le match pour pouvoir se jauger par rapport à cette équipe qui a fait de nombreux exploits. » Brillants finalistes de l’édition 2012 face à Lyon, les joueurs de Quevilly s’étaient déjà illustrés deux ans plus tôt en atteignant les demi-finales de la compétition face au PSG. Autant dire que les Guadeloupéens se retrouvent confrontés à de véritables spécialistes, favoris logiques compte tenu de leur historique. « C’est une très bonne équipe, qui était en National il y a deux ans, prévient Mario Relmy, ambitieux mais prudent. On le voit dans leur championnat, où ils ont disputé dix matchs pour neuf victoires et très peu de buts encaissés. »
Solides vainqueurs d’Étoile de Morne-à-l’Eau au tour précédent, les Antillais ont passé pour la première fois cinq matchs de coupe avec succès. Ce septième tour de la Coupe de France, une grande première pour eux, ils comptent bien en profiter : « Pratiquement tout l’effectif a fait le voyage ! Nous avons amené une délégation de 24 joueurs pour faire participer tout le monde à la fête. Chez nous, pas de sectarisme ! » explique le coach, qui espérait ainsi gonfler le moral de ses troupes, plus que jamais soudées et prêtes à l’exploit. « C’est un véritable événement pour nous, cela dépasse le cadre du football, renchérit Christian Ceril, le directeur technique du club. Certains joueurs ne sont jamais venus en métropole… Nous sommes conscients que la tâche sera difficile, mais nous avons mis tous les atouts de notre côté pour ne pas être ridicules à 1000 kilomètres de chez nous. » Retranchés dans leur hôtel Ibis, les visiteurs ont été bien accueillis dans le Nord-Ouest de la France, où quelques animations leur ont été proposées pour découvrir le patrimoine culturel local. « La journée se passe bien, on a fait une séance ce matin à 9h30, les joueurs se sont reposés et là, on fait une petite promenade pour découvrir les alentours de la ville de Rouen » explique le coach, détendu en ce vendredi après-midi d’avant-match, et tout heureux de faire du shopping avec ses protégés. Nous sommes venus faire quelques achats au centre commercial pour distraire les joueurs. »
Fin de l’aventure
S’ils se réjouissent de ce rendez-vous en terre inconnue, les Guadeloupéens ne viennent pas la fleur au fusil. Enfin pas vraiment. « Comme je l’ai dit aux joueurs, ça reste un match de coupe. Ce n’est pas gagné d’avance, mais ce n’est pas perdu non plus » , philosophe Christian Ceril, conscient de la difficulté qui attendait ses protégés. Créé en 1942 dans la banlieue de Pointe-à-Pitre, le Siroco Les Abymes est un club « qui aspire à grandir et à se structurer davantage » , au sein d’un championnat local au niveau peu relevé. « C’est très difficile de monter une équipe de football en Guadeloupe au niveau financier. On a du mal à faire venir le public dans le stade et à attirer les sponsors, ce qui fait que le niveau général a tendance à stagner » , regrette Mario Relmy, heureux de faire goûter un match de haut niveau à ses ouailles. Si l’on compare les deux équipes, Quevilly est au moins cinq fois au-dessus de nous… Bien sûr, nos adversaires ne vivent pas seulement du football, mais leur comportement est presque professionnel. Ils ont des terrains synthétiques nouvelle génération, des horaires d’entraînement aménagés… En Guadeloupe, certains joueurs finissent de travailler à 18h pour venir jouer un match de championnat à 20h. » C’est le cas par exemple de Jérémy Sinnoaj, caissier dans un supermarché dans le civil. « Les joueurs eux-mêmes doivent changer d’état d’esprit. Ils ne sont pas assez assidus, ont beaucoup de laxisme quant au respect de la ponctualité » , se plaint l’entraîneur. Mais avec un zeste de compassion dans la voix toutefois : « Quand on leur donne rendez-vous à 18h, ils arrivent à 18h40, donc c’est difficile de mettre le travail en place. »
Embarqués dans une aventure humaine exceptionnelle, les visiteurs étaient en tout cas plus motivés que jamais pour se montrer à la hauteur de l’événement. « Cela va se jouer sur la rigueur et la discipline de Quevilly » , prophétisait vendredi le coach, pas étranger aux charmes tactiques du football en métropole : « De notre côté, nous allons essayer de les contenir et d’exploiter au mieux nos quelques situations offensives. » Ce samedi après-midi, le grand jour est arrivé. Sous les encouragements fournis de la communauté antillaise, les visiteurs ont pénétré sur la pelouse du stade Lozai à Petit Quevilly, pour une opposition champêtre retransmise en direct sur France Ô. Courageux et appliqués, les Guadeloupéens ont bien résisté jusqu’à l’heure de jeu, avant de se faire punir par un but d’Adama Sarr qui a libéré les locaux. En dépit de quelques belles opportunités pour égaliser, ils ont finalement craqué sur une erreur individuelle de Jérémy Sinnoaj, qui a offert un doublé au buteur normand en toute fin de match. L’exploit tant attendu attendra. « Même si le résultat est décevant, cette semaine aura été une belle parenthèse. On a eu pas mal de déchet, mais les joueurs ont fait beaucoup d’efforts. Perdre 2-0, ce n’est pas un succès, mais je pense quand même que c’est un exploit face à une équipe de CFA, relativise Mario Relmy à la fin du match. Cela restera une expérience intéressante pour les joueurs qui n’ont jamais joué à ce niveau. Ce sont des souvenirs qu’ils vont garder très longtemps. » Les joueurs de Quevilly, eux, passent au tour suivant, en terrain connu.
Par Christophe Gleizes