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Renaud Fabre : « Ni la Fédération, ni le Gouvernement ne s’intéressent au football féminin »
Renaud Fabre, le directeur général d’Yzeure, club de D2 féminine, a décidé de lancer une pétition avec ses joueuses pour exiger la reprise du championnat, d’abord autorisée par la FFF, puis recalée par le gouvernement une semaine plus tard. Les 24 clubs du deuxième échelon du football féminin français se sentent trahis par les institutions et assurent être victimes de sexisme.
Qui est à l’origine de cette pétition ? Les joueuses ont décidé d’agir, et je les ai aidées à rédiger la pétition. La majorité des clubs en a pris connaissance, et la pétition commence à tourner.
Avez-vous un objectif de nombre de signatures ?Actuellement, nous en sommes à 510 signatures, et cela continue d’augmenter. Notre but est de toucher un maximum de personnes. Ça peut exploser rapidement étant donné la gravité de la situation.
Que reprochez-vous à la fédération et au gouvernement ?On a des filles qui s’entraînent entre cinq et huit fois par semaine suivant les clubs en plus de travailler. Elles font des efforts énormes. Les moyens du foot féminin ne sont pas les mêmes que ceux du foot masculin, c’est évident. On nous demande d’avoir des moyens pour être considéré comme un sport professionnel, mais donnez-les nous ! Le suivi de la part des instances, qu’elles soient locales ou nationales, est insuffisant. Dire que la D2 féminine est exclusivement amatrice est faux, car des clubs rattachés au monde professionnel (Nantes, Lille, Metz, NDLR) ont des contrats. On fait tous des efforts et on demande au gouvernement et à la FFF de nous aider.
Après le revirement de la FFF, qui avait d’abord annoncé une reprise du championnat pour le 18 avril, et les annonces du gouvernement, vous sentez-vous bernés par les instances ?Évidemment. On se sent trahis. Les arguments énoncés par le ministère, qui met en avant la gravité de la situation épidémique, ne tiennent absolument pas la route. Aujourd’hui, ils nous sortent de nouveaux éléments tout aussi fallacieux. Le constat est simple : ni la fédération ni le gouvernement ne s’intéressent au football féminin. On pensait vraiment que le fait d’avoir une femme au ministère des Sports allait être un avantage, mais c’est tout le contraire ! Joueuses, staffs, présidents, on est tous atterrés par si peu de considération.
Selon vous, y a-t-il un problème de sexisme dans le football français ? Les faits sont là : trois divisions de garçons ont repris, soit 58 équipes, contre seulement 12 pour les féminines. Vous appelez ça comment ? Pour quelles raisons les hommes pourraient-ils reprendre et pas les femmes ? Je ne comprends pas cette attitude. Il y a une injustice criante, car en Italie, en Allemagne ou en Espagne, la D2 joue. En France, les D2 de handball et de basket ont aussi repris, alors pourquoi pas nous ?
Quelles sont les conséquences de l’arrêt de la D2 ?La D2 est l’antichambre de la D1, c’est-à-dire que les meilleures joueuses de D2 sont amenées à jouer au plus haut niveau, voire devenir internationales. À l’heure actuelle, elles ne jouent plus. En deux saisons, elles n’ont pas joué une année complète. Elles perdront leur niveau, et leur chance d’intégrer l’élite du foot français va se réduire. Les clubs vont alors se tourner vers des joueuses internationales. Cela va affaiblir le football français et l’équipe de France à moyen terme. Cela va entraîner du retard sur les autres nations. Les joueuses plus âgées se posent beaucoup de questions sur leur avenir. La deuxième conséquence sera d’un point de vue économique. À l’heure actuelle, on se bat pour avoir des sponsors. En temps normal, c’est difficile, mais avec la crise, c’est encore plus compliqué. Merci, au revoir ! On est déjà en difficulté, et en plus, la FFF ne nous a toujours pas versé les 55 000 euros promis. Les instances n’ont pas réfléchi à cette question-là. La Fédé n’est pas assez virulente vis-à-vis du gouvernement. La Fédération française de hand est allée taper du poing sur la table, et la D2 a repris. On est le sport collectif féminin qui a le plus de licenciées (200 000, NDLR), il faut se bouger.
Le ministère des Sports affirme que la D2 ne remplit pas les critères pour reprendre, car le foot n’est pas la principale source de revenus des joueuses, mais assure qu’il n’y a pas de discrimination. Comment réagissez-vous face à cette justification ? Je suis fou furieux. Comment peut-on dire ça ? Les critères sont remplis, au même titre que le handball et le basket. En D2, 94 joueuses ont un contrat fédéral, auxquelles il faut ajouter les CDD sportifs et celles en apprentissage. Le ministère a accordé un passe-droit au handball, il doit nous l’accorder aussi. Si on veut la professionnalisation du sport féminin, il faut l’aider et pas l’enfoncer. La D1 est l’un des meilleurs championnats du monde, il faut donc que son antichambre continue à jouer. Les filles ne supportent plus ce sexisme.
L’exemple flagrant reste la Coupe de France, autorisée chez les hommes, mais barrée chez les femmes…Quand on lit la justification du ministère, c’est à se tordre de rire. On voit bien que ces gens ne connaissent rien au football. On dit que la Coupe de France a repris parce que les équipes viennent de championnats hybrides. Je ne savais pas qu’en R3, il y avait des professionnels. C’est une bêtise sans nom. Et cela vient d’une personne censée gouverner le sport français. Bravo ! Le deuxième argument qui expose que les clubs préfèrent défrayer les joueuses plutôt que leur offrir un contrat, c’est tout autant ridicule. Si tous les clubs de D2 avaient les moyens, évidemment qu’on proposerait des contrats à toutes nos joueuses. On n’a simplement pas les moyens. Encore une fois, si cette personne s’était déplacée dans les clubs, elle aurait pu voir qu’on n’a pas les mêmes budgets, les mêmes aides des collectivités locales. Le couplet où elle raconte que cela ne coûte pas plus cher de défrayer une joueuse que de lui offrir un contrat… On ne vit pas dans le même monde ! Cela coûte beaucoup plus cher d’offrir un contrat. C’est affligeant, il n’y a pas une part de vérité dans ses paroles.
Propos recueillis par Analie Simon