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Rémy Ebanega : « Un joueur qui se blesse au Gabon, il peut changer de métier »

Propos recueillis par Nicolas Jucha
11 minutes
Rémy Ebanega : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Un joueur qui se blesse au Gabon, il peut changer de métier<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Président de l’Association nationale des footballeurs professionnels du Gabon (ANFPG), Rémy Ebanega est un homme mécontent. Parce que la fédération gabonaise en fait trop peu pour ses joueurs en période de Covid-19, et parce que la crise sociale du football de son pays dure depuis trop longtemps.

Qui dit période de Covid-19, dit crise sociale dans le monde du football professionnel africain. Plus particulièrement au Gabon, où le championnat est suspendu depuis plus d’un an et demi, et où de nombreux joueurs ont dû se résoudre à mettre fin à leur carrière, faute de ressources financières. Président de l’Union des footballeurs gabonais, Rémy Ebanega fait le point, alors que la fédération, la Fégafoot, n’a pas intégré les joueurs professionnels dans la liste des bénéficiaires d’une seconde tranche d’aide financière de la FIFA, à hauteur de 500 000 dollars, et semble préférer « investir » dans la création d’une boutique officielle de produits dérivés…


Le 20 avril 2021, la fédération gabonaise, Fegafoot, a annoncé l’organisation de la distribution des fonds liés à la deuxième tranche de l’aide Covid-19 de la FIFA, pour un total de 500 000 dollars. Dans les bénéficiaires, d’anciens présidents de la fédération, d’anciens arbitres, d’anciens entraîneurs… Mais aucune mention aux joueurs, pourquoi ?Cela fait des années que sur le plan administratif, les joueurs sont bafoués. Dans ce communiqué, il est clair que les footballeurs ne sont pas concernés, et le plus grave, c’est qu’il y est mentionné directement un arbitrage sur la distribution de l’aide, mais sans aucune concertation avec les représentants des joueurs. La distribution de la première tranche de l’aide s’était bien déroulée, mais ce communiqué nous a poussés à aller avec plusieurs joueurs au siège de la fédération pour obtenir des explications. Comment on peut distribuer une aide financière de la FIFA sans impliquer les footballeurs ?

On a été choqués et sidérés d’entendre le président de la fédération nous dire que si la première tranche de l’aide FIFA avait été versée aux acteurs, ils allaient utiliser une partie de la seconde tranche pour construire une boutique de produits dérivés…

Le 29 avril, c’est la Ligue de football gabonaise, prévue dans les bénéficiaires de la seconde tranche, qui a fait un communiqué pour indiquer n’avoir reçu aucun versement de la part de la fédération. Cela veut dire que cette dernière n’a pas tenu ses engagements du 21 avril ?Exactement, la question simple à se poser, c’est pourquoi on n’a pas reproduit le même processus que pour la première tranche d’aide. Les acteurs du football gabonais sont clairement identifiés, le processus également était clair. En plus, avec la Fegafoot, il y a une double démarche : l’aide Covid-19, mais aussi la résolution d’un problème de fond sur les impayés des salaires des footballeurs des championnats gabonais depuis 2016. La résolution de ce deuxième sujet passe par l’utilisation de l’aide Covid-19. Dans les règlements de la fédération, il est écrit qu’elle doit utiliser une partie des aides de la FIFA pour participer au recouvrement de cette dette. Il y avait un protocole d’accord, signé devant des représentants de la CAF et de la FIFA, et même de la Fifpro, du ministère des Sports gabonais, de la LINAF (la Ligue nationale, NDLR) et de l’association des clubs. Grâce à cela, les joueurs concernés par l’aide ont perçu un forfait de 50 000 francs CFA (environ 76 euros, NDLR). Il s’agit des joueurs ayant joué dans le championnat gabonais en 2019-2020. Mais les joueurs concernés par la dette depuis 2016 ont perçu 150 000 francs CFA.

Certains ont donc pu toucher 200 000 francs CFA. On souhaitait la même démarche pour la seconde phase, mais quand on a demandé des informations à la fédération, on a été confrontés à un silence total. On s’est déplacés physiquement sur place, on a été choqués et sidérés d’entendre le président de la fédération nous dire que si la première tranche de l’aide FIFA avait été versée aux acteurs, ils allaient utiliser une partie de la seconde tranche pour construire une boutique de produits dérivés… On lui a rappelé dans un courrier officiel qu’au vu de l’urgence dû à la situation sanitaire, 15 mois sans activité pour les footballeurs professionnels, il y avait d’autres priorités. Depuis, il n’a pas répondu aux appels et aux mails, et ensuite est tombé ce fameux communiqué du 20 avril…

En conférence de presse, le président de la fédération justifie son choix de créer une boutique officielle en citant l’exemple du bonus FIFA reçu en 2014, et utilisé pour construire les locaux actuels de la fédération. En clair, il dit qu’investir dans une boutique, c’est un moyen de construire grâce à l’aide, plutôt que de la dilapider…Quand il nous a sorti cette raison lors de notre venue à la fédération, on lui a expliqué la différence entre un bonus et une aide. En 2014, la FIFA avait décidé de distribuer une partie de son excédent de revenus, on n’était pas dans une situation de crise comme aujourd’hui. C’est normal en 2014 d’investir avec ces fonds. Mais en 2021, on est en pleine crise sanitaire et sociale. Tous les footballeurs gabonais sont au chômage ! Quand on considère les impayés récurrents depuis 2014, on peut dire qu’aucun joueur en activité au Gabon n’a été payé régulièrement. Tous les joueurs ont au moins un à trois mois de salaire en retard. Nous lui avons dit qu’à nos yeux, le moment ne prêtait pas à un investissement dans une boutique, l’aide Covid-19 de la FIFA, c’est une aide pour pallier les conséquences de la crise sanitaire.

Le manque de considération récurrent du statut de footballeur au Gabon a entraîné de facto les joueurs dans une situation de précarité extrême.

Si on se base sur vos documents, aucun joueur professionnel gabonais n’est à jour sur ses salaires, à l’exception des joueurs de Mangasport, mais ils ont consenti une diminution de leurs salaires de l’ordre de 65%…Le manque de considération récurrent du statut de footballeur au Gabon a entraîné de facto les joueurs dans une situation de précarité extrême. Chaque année, l’accumulation des impayés a accentué cette situation. Le cas Mangasport est spécial, car notre association a directement négocié avec le club. Initialement, le club voulait couper unilatéralement les salaires des joueurs, mais ces derniers, chose rare ici, avaient des contrats écrits et ils ont saisi notre union. On a pu s’appuyer sur ces contrats et l’inspection du travail pour trouver une solution. Le problème au Gabon, c’est que les joueurs peuvent obtenir des licences sans que les clubs soient obligés de leur fournir un contrat de travail. C’est contraire aux statuts de la fédération pourtant, il y a une incohérence qui permet aujourd’hui aux clubs de ne pas payer les joueurs. Il n’y a pas de chambre de résolution des litiges de la FIFA au Gabon, ce qui est également contraire aux statuts.

Le point important, qui est courant en Afrique, c’est l’absence de contrat écrit pour les joueurs professionnels. Donc en clair, en cas de crise, ils sont quasiment impossibles à défendre ?C’est exactement cela, c’est pour cela que le dossier des salaires traîne depuis 2016. Initialement, on a essayé de traiter avec les clubs, ils nous ont dit de voir avec la Fegafoot, mais celle-ci est incompétente. Elle devrait s’assurer que les joueurs aient des contrats écrits, mais elle ne le fait pas. Le cas de Mangasport, on n’aurait jamais pu le régler s’il n’y avait pas de contrats écrits. Grâce à ces contrats, on avait pu leur démontrer qu’ils étaient fautifs et on a pu résoudre le contentieux non pas devant la Fegafoot, mais devant le tribunal administratif. Face à la crise, les footballeurs sont totalement abandonnés, nous-mêmes, l’union des footballeurs gabonais, avons dû mettre en place une boutique alimentaire pour aider les joueurs à se nourrir. Sur ce type de projet, la Fegafoot ne nous a apporté aucune aide.

La plupart ont dû prendre de petits métiers, car le plus important actuellement, c’est de rentrer le soir avec quelque chose à manger. Ces footballeurs ont des enfants, c’est le chaos ici.

Ce que vous êtes en train de dire, c’est que face à la crise, certains footballeurs professionnels gabonais sont ni plus ni moins à la rue ?Tous ! Tous sont à la rue, ils ne sont plus autonomes. Beaucoup qui vivaient de leur métier de footballeur sont retournés dans leur village d’origine, chez leurs parents, pour avoir un toit. Ceux qui ont quitté la maison familiale il y a plusieurs années doivent désormais retourner dormir dans la même chambre que leurs petits frères. Pour ne pas dormir dehors. Mais ceux qui n’ont pas de famille, ils finissent dehors. Il y a quelques mois, un bâilleur a bloqué la famille d’un footballeur, car cela faisait trop longtemps que le loyer était impayé. Tant que les loyers n’étaient pas payés, il refusait de libérer la femme et les enfants du joueur, c’est nous qui sommes allés payer le loyer. Des cas comme cela, on en a plein. La plupart ont dû prendre de petits métiers, car le plus important actuellement, c’est de rentrer le soir avec quelque chose à manger. Ces footballeurs ont des enfants, c’est le chaos ici.

La question peut paraître déplacée, mais avez-vous eu à déplorer des suicides ou d’autres drames humains ?Non, on essaie de dire à nos joueurs de se battre. On ne veut justement pas arriver à un suicide. Pendant la première vague, en avril 2020, on a dû héberger deux joueurs étrangers pendant deux mois. Ils sont venus jouer au Gabon, ils ont fini à la rue. On est allés voir le directeur de cabinet du ministre des Sports, et on a abordé exactement la question que vous venez de poser : « N’attendez pas qu’un joueur se suicide ! » Les impayés, cela peut se réparer, un décès, non, personne ne revient à la vie. On fait tout pour éviter d’arriver à cela, si on perd un joueur, ce sera le point de non-retour. Si la Fegafoot se réveille parce qu’un joueur s’est suicidé, cela ne ramènera pas le joueur. Notre combat quotidien, c’est justement d’éviter d’arriver à cet extrême, mais il faudrait que les dirigeants du football gabonais, à la Fegafoot, répondent de leurs actes. Nous, on n’est qu’une association qui accompagne les joueurs. La reprise des compétitions, l’aide financière envers les joueurs, c’est la fédération…

Faute de contrat écrit, cela veut dire que les joueurs sont exclus de tout mécanisme d’assurance chômage ?Il n’y a aucune disposition pour les joueurs au Gabon. On a initié les démarches auprès du ministère des Sports pour que les statuts du joueur soient écrits. Aucun footballeur gabonais ne touche l’assurance chômage ni ne dispose d’assurance maladie. Un joueur qui se blesse, il sera suivi deux semaines. Si la blessure est grave, il sera abandonné. On en a beaucoup qui vivent ça. Un joueur qui se blesse au Gabon, c’est mort. Il peut changer de métier.

Les joueurs gabonais aujourd’hui sont des mendiants.

La précarité qui touche les footballeurs peut avoir quelles conséquences à long terme sur le football gabonais dans son ensemble ?La raison est simple : un joueur qui a faim, qui n’est pas en sécurité, qui n’est pas respecté, qui n’est pas valorisé, à aucun moment il ne peut être performant. Le haut niveau nécessite des conditions qui ne sont pas réunies au Gabon. Les joueurs gabonais aujourd’hui sont des mendiants. On leur dit : « Prenez 50 000 francs CFA et venez jouer. » Mais cela fait environ 80 euros (75, NDLR), c’est mieux que rien, mais cela ne suffit pas.

La fédération mise sur les joueurs à l’étranger pour faire vivre son football ?C’est regrettable, depuis six ans, il n’y a pas un joueur du championnat local qui a été appelé en équipe nationale. Sauf au poste de troisième gardien. Moi, personnellement, j’ai pu disputer la CAN 2012 grâce à ma présence en championnat national, j’ai signé à Auxerre aussi grâce à ça. Aujourd’hui, les joueurs ne peuvent plus avoir ce type d’opportunités. Cela fait cinq ans que le championnat national n’est plus organisé de manière régulière, soit avec une formule bricolée soit sans arriver à son terme. Si vous regardez la communication de la fédération, tout est axé sur l’équipe nationale A. Elle ne se préoccupe que de son équipe nationale, les compétitions domestiques sont arrêtées depuis 15 mois, mais il n’y a aucun groupe de travail pour une reprise. Tous ses efforts portent sur l’organisation des matchs de la sélection. Le football de base n’existe pas au Gabon, il n’y a pas de politique de formation, pas de football de petites catégories. Même l’équipe nationale A’ ne participe plus au CHAN (le championnat d’Afrique des nations pour les joueurs évoluant en Afrique, NDLR). Mais vu que l’équipe nationale s’est qualifiée pour la CAN sans avoir de championnat national, cela ne fait ni chaud ni froid aux dirigeants. Mais sans footballeurs, la FIFA ne donnerait pas d’argent au Gabon. Ils n’ont pas compris qu’il fallait mettre le footballeur au centre de leurs décisions. Les gens à la tête de la fédération, je le dis haut et fort, ils sont incompétents. Leur job n’est pas d’organiser les matchs de l’équipe nationale, mais d’organiser l’ensemble du football au Gabon. Ils ont oublié le cœur du fonctionnement du football.

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