- France
- Ligue 1
- 38e journée
- Nice/OL (0-1)
Rémi Garde, l’employé du moi
Comme un symbole. Trois saisons après avoir pris la tête de l’équipe, l’entraîneur lyonnais s’en est allé en battant à Nice son prédécesseur, Claude Puel, pour gratter une dernière qualif’ européenne ! Ce matin, Rémi Garde peut donc sereinement se barrer comme il est arrivé : réclamé par tous et toujours aussi contrarié.
Longtemps, on s’est marré devant cette promesse signée Lacombe qui ne prenait pas comme prévu : « Rémi Garde, c’est notre Pep Guardiola à nous ! » Parce qu’entre un 4-3-3 à bout de souffle et un jeu à mille passes qui peine à dominer son sujet, on a mis du temps à voir où Nanard voulait en venir. Il a donc fallu attendre trois saisons pour comprendre que tout fils préféré de la maison lyonnaise qu’il était, Garde pouvait aussi s’accorder le droit de la quitter sans raison apparente, si ce n’est au nom de la plus grande des petites affaires, celle qui renvoie à l’intime. La comparaison pourrait s’arrêter là s’il n’y avait eu ces appels à répétition à tous les étages de l’OL pour le retenir encore un peu. Aulas et Seydoux pour évoquer une possible redistribution des cartes à un peu plus d’une saison de l’arrivée dans le nouveau stade. Lacazette pour lier son proche destin au choix de son coach : « Mon envie profonde est de rester, de jouer dans une équipe compétitive et que le club compte sur moi. Après, j’ai d’autres envies. Que le coach reste, par exemple. (…) S’il s’en va, cela peut être différent. » (L’Équipe) Les supporters enfin, prêts à remettre à plus tard l’hommage promis à Cris pour envoyer le grand frisson à l’adresse du coach pour la dernière de la saison à Gerland, face à Lorient.
Coach malgré lui
Tous ces appels ne font jamais que renvoyer à l’arrivée de Garde au poste à l’été 2011. Où il faut déjà s’y mettre à plusieurs pour le convaincre d’occuper cette fonction qu’il pense ne pas pouvoir incarner. Deux de ses mentors, Wenger et Domenech, finissent par emporter sa décision. On y voit alors comme la volonté de rompre avec le mandat que son prédécesseur a terminé en solitaire et à la limite de la parano. Garde apparaît à l’opposé comme l’élu de tout un peuple, celui qui a besoin de sentir l’affection autour de lui pour pouvoir solder les derniers comptes de l’ère Puel, en calmant les rancœurs et tentant de ranimer un 4-3-3 figé dans sa raideur.
Sa réussite lors du premier exercice a fini par faire oublier que, derrière la valse-hésitation, Garde pouvait aussi être devenu coach malgré lui. Les sales périodes traversées par son équipe ces trois saisons l’ont rappelé à leur manière, en faisant surgir au passage l’idée d’une personnalité trop lisse pour correspondre aux canons de l’entraîneur estampillé Ligue 1. L’image de gendre idéal tout droit revenu des soldes chez Célio y est peut-être pour quelque chose. On préférera retenir cet écho renvoyé de loin en loin, lorsqu’il finira par avouer ne plus supporter de se voir perdre le contrôle, que ce soit face aux arbitres accusés d’avoir laissé filer le temps additionnel pour permettre au PSG de recoller au score (4-4 à Gerland, février 2012) ou, plus récemment, en réservant un « enculé » à l’adresse de Thiago Motta en finale de Coupe de la Ligue. Comme s’il fallait craindre d’être rattrapé par les excès et une certaine de forme de démesure dans laquelle la fonction menaçait de le faire tomber.
Le je et ses principes
À sa manière, entre réserve et droiture, c’est ce qu’il est venu rappeler au moment de rendre son départ officiel : « Il faut avoir un brin de lucidité dans ce milieu qui n’en a pas beaucoup. J’aurais été très fier de mener l’équipe dans le Grand Stade. Mais cette réflexion aurait surtout servi mon ego. Je ne suis pas comme ça. » Ce qui pourrait apparaître comme son honneur, Garde l’a toujours présenté comme sa limite, dès ses premiers mois au poste : « Arsène Wenger est comme Bernard Lacombe. Leur passion est exclusive, dévorante. Moi, j’ai besoin de couper, de me ressourcer pour ne pas m’user. » (Libération, décembre 2011)
On ne pourra pas dire qu’on n’était pas prévenus. Reste la stupeur qui a fini par saisir les Lyonnais à mesure que sa décision a pu se dessiner. Elle renvoie au rôle qu’on lui a collé, celui d’un entraîneur tenu d’accompagner la marche à l’économie de son club. Bien plus que dans les principes de jeu, c’est là que la référence à Wenger a le plus souvent opéré. Certes, l’OL y a laissé une partie de son lustre passé, en continuant à descendre les crans les uns après les autres. Pour autant, Garde est parvenu à maintenir son équipe au niveau européen. Pas rien quand il faut puiser chaque fois un peu plus loin du côté de la formation et des recrutements à moindre coût. L’ancien Gunner peut bien louer les qualités d’un groupe de fortune qui tient tête à la Juve ou qui bouscule le PSG, il est apparu aussi (et malgré la 5ème place) plus que jamais à la limite lorsqu’il a fallu se qualifier pour la 18e fois d’affilée en Coupe d’Europe. Avec la perspective de perdre un joueur bankable dès cet été, que ce soit Gonalons ou un autre, Garde a aussi pris le parti de ne pas entraîner l’OL davantage dans son déclassement. Comme Domenech et Lacombe avant lui, deux gars du cru passés coachs sous l’ère Aulas, il a eu pour mission de faire passer le club lyonnais d’un monde à l’autre. On ne sait pas de quel côté de la rive pourrait mener ce départ anticipé. Ce qu’on a compris, c’est que Garde pourrait bien faire basculer l’histoire de l’OL comme il l’a entraîné. Malgré lui.
Par Serge Rezza