Comment tu présenterais le championnat estonien, alias eistriliiga ? Pourquoi voit-on tant de scores monstrueux en ce moment ?
Ah, les raclées, c’est en Coupe, quand les meilleures équipes jouent contre des D2 ou des D3. En général, dans ce genre de matchs, Kalju fait jouer les réservistes ou les jeunes… Je n’ai pas l’occasion d’y participer. En ce qui concerne le niveau global du championnat, je dirais qu’il est faible. Seules quatre ou cinq équipes peuvent rivaliser en haut du classement.
Y a du monde au stade ?
Environ 500/600 spectateurs, même si c’est compliqué de faire une moyenne. À Kalju, on a un kop de trente supporters. C’est sûr que la ferveur manque. La seule fois où j’ai connu une grosse ambiance, c’était l’été dernier, en Ligue Europa, quand on s’est déplacés en Pologne, pour affronter le Lech Poznań. Quand j’étais plus jeune, les supporters en nombre avaient plus tendance à me troubler, mais ce jour-là, ça m’a chauffé à blanc. On s’est fait éliminer (1-0, 0-3), mais aucun regret : ils étaient supérieurs. Ce match retour en Pologne, c’est l’un des plus beaux souvenirs de ma carrière.
Justement, ce jeudi soir, Kalju (4e du championnat 2014, mais vainqueur de la Coupe d’Estonie) reçoit le FC Vaduz (Liechtenstein), là encore au deuxième tour retour de la C3. Vous avez perdu 3-1 à l’aller, en encaissant un but dans les dernières minutes, comment vois-tu la rencontre ?
Cette fois-ci, je ne pourrai pas jouer, je me suis blessé lundi. Rien de grave, un petit pépin, mais c’est frustrant. Ça pourrait être le dernier match de Coupe d’Europe… Vaduz évolue tout de même au sein du championnat suisse. De notre côté, il va falloir se découvrir et marquer au moins deux fois.
Tu évolues dans le championnat estonien depuis près de deux ans. Quel est ton parcours ?
Je suis milieu défensif/relayeur, capable d’évoluer à gauche ou à droite. J’ai été formé à Lille. Pour moi, ça a été facile d’intégrer le club lillois, étant donné que je jouais au FC Le Bourget (Seine Saint-Denis), un club partenaire du LOSC, en région parisienne. Du coup, grâce à mes bonnes performances, j’ai intégré le centre de pré-formation à quatorze ans. J’étais dans la même promo que Lucas Digne. En tout, j’ai passé cinq ans au LOSC. Des U14, j’ai été surclassé aux U16 nationaux et U18 nationaux, avec Lucas et
Jérémy Obin, qui évolue désormais au Royal White Star Bruxelles. Le club comptait vraiment sur nous.
Lille m’a pourri…
Comment ça se passait humainement au centre de formation ? T’as des anecdotes à raconter de tes moments avec Lucas Digne ?
On était proches. Mais Lucas, c’était un ami du foot, on ne se voyait pas trop sinon. On n’a pas fait de conneries ensemble, il était sérieux. Aujourd’hui, il est en équipe de France, je suis content pour lui. Même si j’aurais aimé avoir une trajectoire similaire, quand je le regarde jouer la Ligue des champions, je n’ai pas les boules. Je pense plutôt à progresser pour me rapprocher de ce niveau.
Lui a gravi les échelons jusqu’en équipe première nordiste, mais ça ne s’est pas passé aussi bien pour toi : pourquoi le train a déraillé ?
J’ai commencé à jouer en CFA, mais le coach avait pour projet de me faire reculer d’un cran, au poste d’arrière droit… Sauf que moi, je ne voulais pas perdre mes aptitudes au milieu, j’ai refusé. Et là, l’entraîneur de la CFA a fait une croix sur moi. C’était un an et demi avant mon départ du club. Je n’avais plus de retour des pros, puisque c’est lui seul qui faisait le lien au sein du club. Pourtant, le directeur du centre de formation et l’entraîneur des U19 étaient très contents, ils m’avaient annoté un avis favorable, au moment où je devais signer un contrat stagiaire.
Tu as été mis sur la touche ?
Non, en fait, je suis revenu en U19. Je préfèrais ça à une année au poste d’arrière droit. Au lieu de signer un contrat stagiaire comme prévu, j’ai signé un contrat amateur d’un an – où j’étais moins payé. Cet entraîneur-là avait confiance en moi, mais quand ton supérieur n’est pas d’accord… Je voulais partir. J’avais un contact à Montpellier, comme d’autres jeunes Lillois. Mais Lille m’a pourri. Soudainement, le MHSC n’était plus intéressé. Mais je n’étais pas surpris. J’en ai entendu beaucoup, des histoires sur le LOSC qui essayait de retenir des joueurs avec ce genre de pratiques. Je ne dirais pas qu’ils étaient prêts à tout pour retenir leurs jeunes, mais moi, ils ont cassé du sucre sur mon dos.
Avec le recul, tu penses que de ton côté, tu as aussi ta part de responsabilité ?
Je n’étais pas monstrueux. On fait tous des erreurs, mais je n’étais pas pire qu’un autre dans le comportement. Mon contrat s’est terminé à l’intersaison 2011, à tout juste 19 ans. Ensuite, j’ai passé un an et demi sans club.
À peine arrivé, je pensais déjà à partir
Comment as-tu vécu cette période ? Tu songeais à un plan B si tu ne perçais pas ?
Je m’entraînais seul. Les essais n’arrivaient pas. Le moral, ça allait par intermittence. C’est vrai qu’il y a eu des jours difficiles, un peu déprimants. Pour autant, je ne me suis jamais dit : « J’arrête le foot » ; c’était inconcevable. Comment je vivais ? J’avais économisé auparavant, mais c’est certain que la situation ne pouvait pas continuer indéfiniment. Plus les mois passent, plus t’es désespéré mentalement. Heureusement, mes proches étaient derrière moi à 100 %. Ils me rassuraient : « Reste patient » , assuraient-ils. Sans leur soutien, je ne sais pas si j’aurais craqué, mais en tout cas, ça m’a aidé à mieux encaisser les coups.
Donc, tu n’avais aucun contact ?
Finalement, j’ai réussi à trouver un premier essai à la Berrichonne de Châteauroux grâce à un ancien recruteur de Lille. Ça a duré une semaine et demie durant la pré-saison 2012-13. Nous étions plusieurs en test ; au fil des jours, je faisais partie des joueurs qui intéressaient l’entraîneur. Jusqu’au match décisif le dernier jour. Le problème, c’est qu’à ce moment-là, j’avais le moral à zéro, alors même si tu tiens le coup physiquement, à la fin… je n’avais plus rien dans les chaussettes. J’ai craqué !
Du coup, ça t’a coûté ta place à Châteauroux…
L’entraîneur m’a dit qu’ils avaient déjà beaucoup de milieux, mais je suis persuadé que si je m’étais mieux préparé physiquement, j’aurais été pris. Ça m’a mis une claque. Très difficile mentalement. La Ligue 2, c’était le bon plan : idéal pour les jeunes joueurs comme moi. J’étais sûr que ça allait passer, j’ai été formé à Lille quand même…
Finalement, tu atterris six mois plus tard aux Pays baltes. Comment en es-tu arrivé à jouer à Kalju, en Estonie ?
Si j’ai signé ici, c’est grâce à Allan (Kimbaloula), un ami et ancien coéquipier du LOSC. Il jouait depuis peu à Kalju, les dirigeants étaient contents de lui. Allan m’a proposé au club et j’ai obtenu cinq jours d’essai. À ce moment-là, je suis allé chercher l’aide d’un préparateur physique. J’ai bossé super dur. En septembre (2013), je prends l’avion pour Tallinn une première fois, presque en fin de saison pour eux. Je dispute des entraînements et des matchs amicaux. Le club me propose de revenir deux mois et demi plus tard. Je débarque alors pour la préparation de la saison suivante. Rapidement, j’ai un gros coup de mou, du fait que je manquais de rythme. Le président a compris, il croyait en moi. Finalement, au bout de deux matchs de préparation, je commence à monter en flèche.
On me surnommait déjà Makelele avant de venir en Estonie…
Tu signes dans un club avec déjà deux Français, Allan Kimbaloula donc, et Nicolas Galpin, qui est aussi un ancien partenaire du LOSC. Ils ont facilité ton intégration ?
Je les connaissais très bien ! Nicolas, je l’ai rencontré à treize ans, à l’INF Clairefontaine. Forcément, c’est plus facile. D’ailleurs, dans le championnat, il y a peu de Français, mais quelques Africains francophones. À mon arrivée, j’appréhendais pour la langue locale, en plus, je ne parlais pas très bien anglais. J’avais peur de l’inconnu, je ne savais pas à quoi m’attendre. Au final, dans la vie de tous les jours, je m’en sors très bien, en anglais, j’ai fait des progrès. Dans le vestiaire aussi, tout le monde parle anglais.
Au sein du club, on te surnomme « Makelele » , ça vient d’où ?
Je suis black, on a le même gabarit, je suis plutôt dans ce style de jeu… En fait, on me surnommait déjà Makelele avant de venir en Estonie.
Et la vie en Estonie, quelles sont tes activités hors foot ?
J’habite au sein même de Tallinn, la capitale (430 000 habitants). Une ville paisible, agréable. Je sors de temps en temps prendre un verre, mais à part le vendredi soir, c’est désert. Ce n’est pas Paris, on a vite fait le tour. Par exemple, tu te balades dans la rue tranquille, on ne vient pas souvent te solliciter parce que t’es footballeur. Concernant la nourriture locale, ils font un peu de tout, mais le peu de fois où j’ai goûté, je n’étais pas très emballé. À la maison, je n’ai qu’une chaîne française et c’est France 2.
Comment les Estoniens vivent le foot ? Ils ne sont pas passionnés par le championnat, mais qu’en est-il des ligues européennes et de l’équipe nationale?
Dans la hiérarchie des sports préférés des Estoniens, le foot arrive en deuxième position, avec l’athlétisme et derrière le basket. Les gens suivent la Premier League, un peu la Liga espagnole. Mais ce n’est pas la ferveur britannique, même pas française. En revanche, quand il s’agit de l’équipe nationale, le stade est bondé. D’une part, car le niveau fait plus rêver que le championnat, mais aussi parce que les gens sont patriotes.
À la fin de la saison, en novembre, tu souhaites partir ou tu te projettes à Kalju ?
Je ne compte pas rester. À vrai dire, à peine arrivé, je pensais déjà à partir. Footballistiquement parlant, je n’ai rien à faire ici. J’espère retrouver à terme un championnat majeur. J’ai eu quelques touches aux États-Unis, j’en ai une en Norvège. Le championnat norvégien, ce serait un échelon au-dessus, même dans un club non qualifié pour la Coupe d’Europe. J’espère que la courbe de ma carrière ne va cesser de progresser vers le haut. Je reste confiant.
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