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- Réforme de la Ligue des champions
Réforme de la C1 : la loi du plus fort ?
Le 25 août, l’UEFA annonçait un changement de format pour la Ligue des champions de 2018 à 2021, qui prévoit d’accorder quatre places directement qualificatives pour la C1 aux quatre championnats avec le meilleur coefficient UEFA. Nécessaire pour les uns, élitiste pour les autres, la réforme trace les contours d’une fracture qui divise au sein même du football français.
« Les quatre premiers clubs des quatre associations les mieux classées vont maintenant se qualifier automatiquement pour la phase de groupes de l’UEFA Champions League. » Ce jeudi 25 août, l’UEFA annonce la couleur : la C1 va faire de plus en plus de place aux quatre plus grands championnats majeurs, au détriment des ligues mineures. L’instance européenne de football nuance néanmoins immédiatement : « C’est une évolution, pas une révolution. » Vraiment ?
Pour prendre la pleine mesure de la dernière réforme de l’UEFA, il faut d’abord jeter un regard sur les précédents formats de la C1. Avant 2009/2010, huit clubs issus des quatre meilleurs championnats européens étaient directement qualifiés pour la C1. Après la réforme Platini, leur nombre est passé à onze. Le dernier changement de format induit, lui, la présence de seize équipes issues des quatre grands championnats actuels (Espagne, Angleterre, Allemagne, Italie), qui représenteront d’emblée la moitié du plateau. La représentativité automatique en C1 des clubs issus du top 4 n’a donc cessé d’augmenter ces dernières années passant de huit à onze, puis seize, sur un total fixe de trente-deux équipes. Une présence renforcée qui n’est bien entendu rendue possible qu’en affaiblissant celle des clubs issus des championnats plus modestes économiquement et sportivement.
La dernière réforme de la C1 porte ainsi un coup à l’incertitude sportive maintenue par le recours aux barrages. Cette saison, vingt-deux clubs se sont qualifiés directement pour la C1, tandis que dix ont dû passer par les barrages. Un format plus risqué pour les clubs issus des fédérations du top 4 continental : cette année, la Roma se faisait ainsi éliminer par Porto, tandis que Villarreal s’inclinait devant Monaco. Pour la période 2018-21, ce seront vingt-six clubs qui devraient se qualifier directement pour la C1, tandis que seulement six proviendront des barrages. Ces derniers devraient ainsi désormais voir exclusivement s’affronter des clubs issus des championnats dits « intermédiaires » (France, Portugal, Russie, Pays-Bas, Suisse…), ainsi que ceux issus des « petites » fédérations (Danemark, Pologne, Chypre, etc.). La « voie des champions » , une des mesures les plus emblématiques du mandat de Michel Platini instaurée en 2009, devrait néanmoins être maintenue : celle-ci permet aux champions de « petites nations » , classées au-delà de la 15e place à l’indice UEFA, d’accéder à la phase de groupes via les barrages en ne s’affrontant qu’entre eux.
Rester au contact de la Premier League
Derrière cette volonté manifeste de faciliter l’accès à la C1 aux clubs issus des championnats majeurs, l’argument économique domine sans surprise. Pour les grands clubs, le format actuel ne rapporte pas assez de droits télévisés. L’Association européenne des clubs (ECA, l’organisation qui représente les intérêts des clubs du football européen), dont le comité exécutif est nettement dominé par les formations les plus puissantes du football continental, a à plusieurs reprises brandi la menace de constituer une ligue privée, qui regrouperait les plus grands clubs européens : « Il ne faut pas exclure que, dans le futur, on puisse créer un championnat européen avec les grands clubs d’Italie, d’Allemagne, d’Angleterre, d’Espagne et de France, sous l’égide de l’UEFA ou d’une organisation privée » , déclarait ainsi le président de l’ECA, Karl-Heinz Rummenigge, début 2016.
En un sens, cette ligue privée existerait déjà officieusement selon Raffaele Poli, le responsable de l’Observatoire du football du centre international d’étude du sport : « On peut dire que la Premier League et ses droits TV énormes constituent déjà une forme de NBA à l’européenne. Les autres grands championnats historiques misent donc désormais sur la C1 pour ne pas trop rester à la traîne derrière les Anglais » . Une idée corroborée par Rummenigge lui-même, qui déclarait fin novembre 2015 que « les nouveaux droits TV de la Premier League constituaient une menace pour les autres championnats européens » . Pour cause, les droits TV du championnat anglais pour la période 2016-2019 ont été attribués pour un montant s’élevant à 6,92 milliards d’euros, soit 2,3 milliards d’euros par saison. Lors de la saison 2015-2016, les clubs participant à la C1 n’ont touché, eux, qu’un peu plus d’1,3 milliard d’euros tous revenus confondus. La dernière réforme de la C1 leur garantirait, selon les estimations de l’UEFA, un montant beaucoup plus important, d’environ 2 milliards d’euros. En tout, les revenus générés par les compétitions de l’UEFA (C1, C3 et Supercoupe d’Europe) sur la période 2018-2021 sont estimés à 3,2 milliards d’euros pour environ 2,4 milliards actuellement. Un joli pactole dont pourront donc systématiquement bénéficier les quatre premiers des quatre plus grands championnats européens. Mais qui ne devrait que beaucoup plus modérément profiter aux clubs qui disputeront la Ligue Europa : quand la dotation globale des clubs disputant la C1 devrait augmenter de 49%, celle de ceux jouant la C3 ne devrait croître que de 23%. Autrement dit, la puissance économique des clubs disputant les deux compétitions devrait se creuser lors des saisons à venir : « On dévalorise la Ligue Europa. Aujourd’hui, la redistribution aux clubs participants est basée sur un ratio fixe de 3,3 pour 1 entre la C1 et la C3. À partir de 2018, on passe à un ratio de 4 à 1, en défaveur de la Ligue Europa » , explique Raffaele Poli.
Le poids croissant de l’ECA
Des changements majeurs que beaucoup attribuent à l’influence grandissante de l’Association européenne des clubs sur l’UEFA. En 2015, le comité exécutif de l’UEFA accueillait ainsi en son sein deux représentants de l’ECA en la présence du directeur général du Bayern Munich, Karl-Heinz Rummenigge, et du président de la Juventus Turin, Andrea Agnelli. La même année, L’ECA a également obtenu de l’UEFA une augmentation de la compensation donnée aux clubs dont les joueurs disputeront l’Euro 2020. Un chiffre minimal de 200 millions d’euros aurait été fixé. Plus récemment, le 25 août dernier, une des mesures instaurée par la dernière réforme de la C1 prévoit enfin la création d’une filiale « dont la moitié des gérants sera désigné par l’UEFA et l’autre moitié par l’ECA, qui sera appelée à jouer un rôle stratégique dans la détermination de l’avenir et la gestion des compétitions de clubs » , explique l’UEFA sur son site internet.
En France, la réforme ne trouve que peu de partisans. Seul Jean-Michel Aulas, membre du comité exécutif de l’ECA, l’a défendu : « On ne peut pas dire qu’on est pénalisés. C’est une réforme qui peut-être améliorée, mais n’a pas un caractère de révolution et n’est pas une catastrophe » , expliquait-il à L’Équipe le 2 septembre. Avant néanmoins d’affirmer n’avoir été mis au courant du nouveau format de la C1 que le jour même de son annonce officielle par l’UEFA, le 25 août. Un format auquel s’oppose fermement la quasi-intégralité des clubs de Ligue 1. Une contestation incarnée par Bernard Caiazzo, le président du syndicat Première Ligue, qui n’hésite pas à parler de « plus grand scandale de l’histoire du football européen. C’est une réforme qui s’est décidée en cachette… Ça illustre la mainmise de l’ECA, et plus spécifiquement de l’axe germano-italien, sur l’UEFA… Le directeur général de la LFP et les présidents de club ont appris l’existence de cette réforme le jour même de son annonce. Comment peut-on décider de changements qui engagent l’ensemble du foot européen sans consulter les clubs ? Sur la forme, on ne peut pas imaginer pire. »
La vaine course à l’Italie ?
Sur le fond, les changements ne semblent pourtant pas fondamentalement catastrophiques pour les clubs français : le troisième de Ligue 1 devrait jouer directement les barrages sans passer comme aujourd’hui par le troisième tour préliminaire. Des barrages plus abordables qu’aujourd’hui, puisqu’ils n’incluraient pas de clubs issus du top 4 européen. « Mais les quatre grands championnats actuels et surtout l’Italie figent leur position dominante » , rétorque Caiazzo. « Les Italiens bénéficient de quatre clubs directement qualifiés contre deux aujourd’hui. Dans ces conditions, il devient impossible pour la France de les rattraper au coefficient UEFA. La participation systémique de quatre de leurs clubs à la C1 permettra également aux clubs italiens d’engranger des revenus supérieurs à ceux des clubs français, ce qui creusera un écart inévitable en matière de qualité sportive. »
Des réactions épidermiques, qui pourraient bien n’avoir qu’un effet extrêmement limité. Pour preuve, cette réforme a été annoncée à peine plus de deux semaines avant l’organisation de l’élection du nouveau président de l’UEFA, prévue pour le 14 septembre. « Quelle autorité est censé avoir le nouveau président de l’UEFA quand toutes les réformes majeures ont été décidées avant son élection ? » s’insurge Bernard Caiazzo. Comme un signe que les dés sont sans doute déjà jetés. Et qu’ils le sont probablement depuis longtemps déjà. En 1995, Eduardo Galeano, intellectuel et romancier uruguayen passionné de football, écrivait : « En ce monde de fin de siècle, le football professionnel condamne ce qui est inutile, et est inutile ce qui n’est pas rentable. » Deux décennies plus tard, difficile de lui donner tort.
Par Adrien Candau