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Redouanne Harjane : « J’allais à Saint-Symphorien pour les saucisses blanches »

Propos recueillis par Florian Lefèvre
8 minutes
Redouanne Harjane : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>J&rsquo;allais à Saint-Symphorien pour les saucisses blanches<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

À l'affiche de M, le premier long métrage de Sara Forestier, Redouanne Harjane crève l'écran dans la peau de Mo. Un rôle dramatique parfait pour l'humoriste qui aime créer le malaise sur scène, avec son spectacle absurde et provocateur. Adolescent, le Messin était celui qu'on n'appelait pas pour jouer au foot. Mais il adorait aller au stade se goinfrer à la buvette. Entretien Coup de tête et FC Metz, autour d'un verre de Jack Daniel's.

Tu viens de Metz. Les PP Flingueurs, ça te parle ?Bien sûr. Cyrille Pouget et Robert Pirès. J’ai d’autres références, pas forcément à la même époque, comme Kastendeuch ou Ribéry. Mais au-delà des joueurs emblématiques ou de ceux qui ont pu transformer l’essai en passant ensuite dans un autre club, pour moi, le foot, et à Metz, c’est un vecteur social très important.


Parce que la Lorraine est une région ouvrière…Regarde les Stéphanois, la rivalité qu’ils peuvent avoir avec l’équipe voisine, Lyon. C’est la même région, mais les problématiques ne sont pas les mêmes. Donc, ils expriment leur lutte ou leur désarroi à travers le football. En face du Paris Saint-Germain, il y a le Red Star : deux visions de la société, une équipe plus emblématique et une autre avec plus d’argent.

On t’a emmené au stade quand tu étais jeune ?Très très tôt. Déjà, mon oncle est médecin, il est impliqué dans le sport. En parallèle, il nous emmenait au stade. Mon premier match ? Je ne me souviens plus de l’adversaire ou de la saison, mais je me souviens que j’y allais beaucoup plus pour les saucisses blanches, les pintes de bière et les Coca. Une fois, je me suis endormi sur les genoux de mon oncle. Je devais avoir 10-12 ans. C’était l’hiver. Une période où le foot à Metz avait de l’aura. Mon grand frère, en revanche, est beaucoup plus investi dans le foot. C’était un Graoully (la Section Graoully, le groupe ultra dont le nom fait référence à un monstre de la mythologie locale aux allures de dragon, a été relayée par la Horda Frénétik en 1997, ndlr).

Les saucisses blanches, t’attendais quand même la mi-temps ou la fin du match pour te servir ?T’es fou ! Je mangeais pendant le match. Comme je te dis, j’allais au stade pour graillave. Mon oncle est médecin : c’était impossible de manger mal à la maison. Tu dois manger des carottes, plein de légumes, donc moi, j’avais capté que le bon moyen de manger de la merde, c’était d’aller au match.

Comment décrirais-tu le stade Saint-Symphorien à quelqu’un qui n’y est jamais allé ?Bah, il est très brut. Le stade, il est foutu comme ça, t’as la patinoire-là, le skatepark, ici (il prend un paquet de cigarettes pour faire le stade, un briquet pour la patinoire et une bouteille d’eau pour un immeuble, ndlr). La politique de la ville, c’était de prolonger les habitations dans le coin, il y avait une vie sociale, et ceux qui rentraient à la maison pouvaient voir le match de chez eux ! C’est drôle, parce que tout le monde galérait pour se garer, et t’as des mecs qui regardaient le match au balcon. Ensuite, ils ont agrandi le stade, mais c’était juste pour empêcher les gens qui vivaient là de regarder le match de chez eux.

En 1998, le titre s’est joué de peu en faveur du RC Lens. Tu te rappelles l’engouement dans la ville ?Bien sûr. C’était fou. Même, il y a encore un an ou deux, il y avait de l’engouement. Metz, c’est une ville qui est trois fois millénaire, c’est la deuxième plus vieille ville de France, après Marseille, ce qui donne à la ville un devoir envers elle-même. Tu connais la devise de Metz ? Celui qui fait la paix dedans, fait la paix dehors. Et pour moi, l’identité du FC Metz, c’est ça. Il faut être apaisé en interne pour avoir une équipe forte et gravir les échelons. C’est toujours dans le cœur des gens. Metz, c’est une région ouvrière, et dans la ville, tu as de tout. Le foot permet d’unir toutes ces différences sociales.

Qu’est-ce que ton grand frère t’a transmis ?Mon frère, à 37 ans, il fait encore des déplacements.

Grâce à mon frère, j’ai appris que le foot était un engagement politique. Une façon de prendre la ville.

Grâce à lui, j’ai appris que le foot était un engagement politique. Une façon de prendre la ville. De la même façon que parfois, les politiques nous endorment avec le football, comme les Romains avec les jeux. Le foot, c’est une manière de déchiffrer ce qui se passe socialement. Je me sens plus concerné aujourd’hui. J’ai l’impression qu’on voit tous la même chose, mais qu’on fait semblant de ne pas regarder. Les joueurs, ils appartiennent à des banques aujourd’hui. 10% d’un doigt appartient à telle banque, 15% de l’avant-bras appartient à telle banque…

Pourquoi es-tu plus concerné maintenant ?Parce que je grandis. Je me rends compte que le foot, ce n’est pas que du pain et des jeux. C’est aussi un discours politique. Au-delà de la fierté qu’on peut avoir à défendre le blason de sa ville, cela reste une manière de dire : « On est là sur la carte de France. »

On parlait de la Lorraine, cette région ouvrière, froide. Est-ce que c’est à la base de l’humour noir que tu développes ?Ouais, c’est fort probable. On est le fruit de son environnement. C’est la ville de Koltès, de Verlaine. C’est une ville riche en littérature, en poésie, il s’y est passé des choses. On se nourrit de tout ça.

Et est-ce que tu t’es aussi nourri du foot ?Peut-être. Tu sais, quand étant petit, tu vois tout le monde faire des choses, mais tu ne te sens pas de faire comme eux, tu t’exclus, quelque part. Je ne jouais pas au foot dans la cour de récré. Je trouvais ça primaire. Je me disais : « C’est ça le but de notre vie ? Tu te lèves à six heures et demi, tu prends ton bus, t’arrives à l’école, il fait encore nuit, bim, tu tapes le foot, sonnerie, tu retournes t’asseoir… Et rebelote ! »

Tu faisais quoi, alors, à la récré ?Des fois, je me barrais. Je passais à la boulangerie, j’allais sur les bords de la Moselle, me poser avec des pêcheurs. Qu’est-ce que je faisais ? Je sais pas, j’entamais ma vie. Le foot, c’était amusant quand tu te servais de ton sweat pour faire les cages, mais quand il y a eu les city stades, quand ça s’est professionnalisé de façon amateur, là, c’est devenu trop.

Tu rêves d’incarner au cinéma le conquistador Hernán Cortés, parce que « plonger dans la tête d’un génie du mal [te] fascine » . Et si tu devais incarner un footballeur, ce serait qui ? S’il y a un remake, le film Coup de tête. Il est quand même parfait ce film. Si là, il n’y a pas l’aspect sociétal…

Lucien Denis disait que Patrick Dewaere n’arrivait même pas à faire une passe sur le tournage. Toi, ce serait pareil ? (Rires.) J’imagine. Coup de tête, ce sont les années 1980. C’est une période complexe : c’est en plein boom, mais en même temps non. Ce film, ça parle de la réussite, de l’estime, du succès financier. Qui décide pour toi ? Qui prend les bonnes décisions ? Ce film, il est avant-gardiste dans sa description du foot moderne.

On dit souvent que le foot est mal traité au cinéma, pourtant, Coup de tête montre le contraire… Qui aujourd’hui connaît ce film ?

Aujourd’hui, on préfère traiter la boxe. Le foot n’est pas respecté au cinéma.

Un gamin de 17 ans, tu lui parles de Coup de tête… Rien n’est fait aujourd’hui pour qu’on expose ce film comme une référence. On préfère traiter la boxe. Le foot n’est pas respecté au cinéma. Tu te souviens d’un film en trois parties, Goal ?

Oui, pour le coup, c’était nul, trop manichéen…C’est ça, trop manichéen. Ou pas assez. Là où c’est contradictoire, c’est que le foot est difficile à exprimer correctement au cinéma. C’est justement parce que c’est très facile. C’est l’un des seuls sports au monde où tu peux jouer à l’arrache, tu prends ton pull, un ballon, même s’il est un peu dégonflé… Ça, c’est déjà très cinématographique. Quand tu veux en faire un film, t’as tendance à toujours aller plus loin. Comme dans Goal, en fait.

Alors, quelles caractéristiques devrait-il avoir, ce joueur que tu incarnerais ?Déjà, le parcours. Je dis pas qu’il faut que ce soit Oliver Twist, mais il faut un truc fort. Un joueur conscient que les millions sur lesquels repose sa notoriété n’est pas une fin en soi. Dans le documentaire sur Benzema, Thierry Henry parle de Benzema, Nasri… C’est pas la même génération. C’est pas la même approche de l’argent, pas les mêmes sommes qui sont en jeu. Ils ne sont pas pris en charge de la même façon. La formation, ça aussi, il faut le prendre en considération. Et ça peut aussi être une joueuse ! J’aimerais beaucoup interpréter une joueuse au cinéma.

Redouanne est Harjane, le spectacle de Redouanne Harjane, actuellement au Studio des Champs-Élysées, à Paris

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