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Redknapp, du sang et des larmes
Pour la réception d'Aston Villa, Harry Redknapp s'asseoira cet après-midi sur l'un des strapontins de Dean Court. L'occasion pour l'ancien coach des Cherries de renouer avec son amour d'enfance et de boucler un passé de bâtisseur de rêve à Bournemouth.
« Oui, j’ai vu que le septième but était hors-jeu » . Les mots claquent comme des gifles. Ce 18 décembre 1982, le silence que dégage le vestiaire du Sincil Bank Stadium de Lincoln sonne comme une mauvaise farce. L’AFC Bournemouth vient de s’incliner 9-0 sur la pelouse du Lincoln City Football Club et enregistre par la même occasion la plus large défaite de son histoire. L’entraîneur de l’époque, lui, vit alors sa première sortie officielle en tant que coach principal de l’équipe. L’homme fait les cent pas, rumine, passe ses mains dans ses cheveux longs bouclés mais ne lâche pas. Ceci n’est qu’une première, je me relèverai, semble-t-il se dire. Il se rappelle alors les longs conseils de ses anciens entraîneurs datant de l’époque où lui était sur le terrain, à Bournemouth ou à West Ham. Il se remémore surtout les conseils prodigués de la bouche d’une légende qu’il a connue à l’académie des Spurs de Tottenham, à Londres. Une figure, Danny Blanchflower, apôtre du style, et dont le jeu était le leitmotiv. Cet homme dans le vestiaire du Sincil Bank Stadium s’appelle Harry Redknapp.
Puzzle, Robson et escalade
Cette soirée de Lincoln sera en réalité fondatrice de la carrière que connaîtra ensuite Redknapp. Bournemouth est alors au bord de la relégation en troisième division et sera sauvé à l’issue de la saison. La suite ? Un nouveau maintien, des années de construction et l’apogée d’un groupe, un soir de mai 87, où Dean Court explose enfin : l’AFC est champion et rejoint la deuxième division avec une saison record ponctuée à 97 points. Dans son autobiographie publiée en 2011, Harry Redknapp reviendra sur la difficulté de créer une équipe : « À différents moments de ma carrière, j’ai connu cette difficulté que tous les coachs du monde ont connu à un moment donné : créer une équipe. Cela prend du temps de « créer une équipe », c’est comme arriver au bout d’un gros puzzle. Mais à la fin, tout le monde, avec de la patience et du travail, y arrive parce que chaque membre du groupe que tu diriges est un enfant, qui aime jouer à ce jeu qu’est le football. »
Ce groupe, le premier de la carrière de Harry Redknapp (exceptée une aventure d’entraineur-joueur à Seattle), deviendra même « une équipe de Coupe » , ce qui restera ensuite dans l’ADN du club. Des exploits, comme ce 8 janvier 1984, où l’anonyme Harry se fait un nom au visage de toute l’Angleterre. Un soir de troisième tour de FA Cup où Bournemouth fait tomber le Manchester United de Bryan Robson et Frank Stapleton, tenant du titre (2-0). Des travées de Dean Court s’élevèrent alors des « We’re on our way to Wembley » . Il y a quelques semaines, Harry Redknapp est revenu sur ce qui reste aujourd’hui comme l’un des plus beaux exploits des Cherries dans les colonnes du Bournemouth Echo : « C’était la semaine la plus incroyable de ma carrière. À cette époque, on n’avait pas de terrain d’entraînement et quand on jouait sur la pelouse de match, le gardien venait nous virer. Le match contre Manchester United avait eu lieu un samedi. Le lundi, quand je suis revenu avec mes gars au stade, il était ouvert. On voulait voir ce que ça faisait de revenir après un tel exploit. Le gardien nous a chopé et nous a enfermé dans le stade. J’ai dû escalader une barrière de 25-30 mètres. Moi, vous imaginez ? »
Le conseil de discipline de 1990
Si le souvenir d’Harry Redknapp est encore présent dans les travées de Dean Court, la raison est simple. L’homme y a tout connu : ses premières joies, ses premiers exploits, ses premiers essais, la première montée en deuxième division du club, mais aussi les heures sombres qui plongeront le club dans la tourmente durant de longues années. Un temps marqué par la mauvaise gestion économique du club, des montages financiers douteux qui coûteront la tête de Redknapp mais aussi, et surtout, deux drames humains.
5 mai 1990, aux abords de Dean Court. Bournemouth joue sa survie en deuxième division alors que, de son côté, son adversaire du jour, Leeds, vient chercher son ticket pour monter à l’étage supérieur. Dès les premières heures de la matinée, la ville est prise d’assaut par une tension terrible. Les supporters de United sont venus en nombre et foutent le bordel en ville, s’attaquant directement aux commerces du centre de la station balnéaire anglaise. Les journaux locaux parlent alors d’une « police anti-émeute pataugeant pour rétablir le calme » et décrivent des scènes que le football anglais ne souhaite plus voir depuis le drame d’Hillsborough. Leeds l’emporte 1-0, l’AFC Bournemouth retrouve la D3 et le club doit payer une facture de près d’un million de livres pour réparer les dégâts. La Fédération Anglaise décide même d’interdire le club d’évoluer à domicile les jours fériés jusqu’au 21 avril 2003.
« Ce jour-là, j’ai perdu un guide »
Bournemouth assiste alors, incrédule, à la chute de son club et perdra un mois plus tard, le directeur général des Cherries, Brian Tiler, dans un terrible accident de voiture en Italie, où se dispute la Coupe du monde 1990. Ce 30 juin, le minibus transporte Harry Redknapp, Fred Whitehouse, le propriétaire d’Aston Villa, Michael Sindon, celui de York City, et donc Brian Tiler. Sur la route de Rome, le véhicule percute une voiture avec à bord trois jeunes soldats de l’armée italienne. Tiler mourra sur le coup et Redknapp, passager, sera sauvé après deux jours passés dans le coma. De retour à Bournemouth avec un hélicoptère payé par son club, coach Redknapp prendra alors du recul sur sa situation. « Ce jour-là, j’ai perdu plus qu’un ami. J’ai perdu un guide. Après ça, tu te rends compte que tu peux perdre une bataille en une fraction de seconde. Celle de la vie » , racontera-t-il quelques années plus tard.
Redknapp gardera alors une caractéristique qui fera sa légende, la perte de l’odorat. Il quittera Bournemouth pour West Ham, son autre amour, deux ans plus tard et sera remplacé par Tony Pullis. L’AFC ne se relèvera que près de vingt ans plus tard. Samedi, comme une revanche sur le passé, le club connaîtra son baptême en Premier League contre Aston Villa. Redknapp sera dans les tribunes. Comme un symbole.
Par Maxime Brigand