- 22 août 1942
- Le jour où...
Red Star-Reims, finale de zone occupée
En ce 22 août, le Red Star rencontre le Stade de Reims, preuve que cette L2 représente le parfait refuge élégiaque pour inconsolables nostalgiques. Si les deux clubs ont souvent croisé le fer et le cuir, une de leur confrontation la plus surprenante reste cette finale de Coupe de France de la zone occupée en 1942. Durant ces « années noires », ou le professionnalisme est menacé d'interdiction par un Vichy viscéralement anti-foot, ce match démontre pourtant que le peuple français, sur ce terrain-là, avait clairement choisi son camp...
« Défendue par des cordons de gardes républicains, la forteresse du Parc des Princes était assiégée dès midi par une foule bruyante et impatiente d’envahir les gradins. Et quand fut donné le coup d’envoi à 15 heures, plusieurs milliers de personnes piétinaient encore derrière le service d’ordre dans l’espoir chimérique de pouvoir enfin contre toute logique se faufiler aux côtés des 35 000 privilégiés déjà installés. » Non, il ne s’agit pas de la description d’un de ces classiques chauds bouillants qui ont fait le bonheur de la L1 et de ses droits télé.
En ce 12 avril 1942, Le Petit Parisien relate simplement l’ambiance électrique qui accompagne cette « petite » finale de la Coupe de France. « Petite » car, occupation oblige, l’épreuve se décompose désormais en trois parties épousant le découpage géographique imposé par les Allemands, c’est-à-dire zone libre, zone occupée et zone interdite (pour les Nordistes). Le tout se termine en un tournoi « interzones » et une « grande finale » . Bref , comme le résume Le Matin, avec ironie : « Il faut en effet vaincre trois fois, en dernier ressort, pour inscrire son nom sur le socle de la Coupe. » Le système des conférences avec juste la ligne de démarcation en plus…
La Coupe de France contre Vichy ?
Si cette fragmentation, y compris du championnat que viennent de remporter en zone occupée les Rémois, peut donner une impression de compétition au rabais, le football n’a pourtant jamais rencontré un tel succès auprès du peuple français. Surtout en cette période où les distractions se font rares. « Bien que le match final de la Coupe de France entre le Red Star et le Stade de Reims demain après-midi au Parc des Princes se présente fort peu excitant en raison des performances médiocres depuis que le grand Jules Vandoreen eut battu le Racing a lui tout seul – et cela remonte au 21 décembre dernier –, la location a marché de telle sorte que l’on peut tabler pour cet après-midi sur l’épuisement des places » , se réjouit ainsi Le Matin, la veille de la confrontation, dans un joli français soutenu. « Une épreuve pour laquelle le public a montré le même engouement qu’aux plus belles années d’avant-guerre » , renchérit l’hebdo Tous les Sports en guise de bilan de la saison dans son édition du 6 juin. Paris Soir fournit l’explication ultime : « Il n’est guère de logique en Coupe que celle des passions. » Punchline.
Signe de cet enthousiasme, les effectifs de la Fédération flambent et doublent en pleine période de restriction et de pénurie, sous les bombes et les couvre-feu (le champagne sera la récompense suprême des finalistes ce jour-là). Cette masse qui afflue toujours plus nombreuse offre un bel argument pour les défenseurs du football qui sentent bien que M. Jean Borotra, en charge des affaires sportives pour le maréchal Pétain, auquel il restera fidèle toute sa vie, s’apprête à faire un sort à cette « discipline professionnelle de métèques et d’ouvriers » , un tantinet trop « moderne » et urbaine pour le régime. Quoi qu’il en soit, la presse espère que cet engouement populaire « fera peut-être comprendre au Commissariat (le ministère des Sports de Vichy) tout l’intérêt que la grande foule attache à la popularité du ballon rond, et que des mesquineries comme jouer 40 minutes au lieu de 45 ne sont guère de mise. » (Le Matin du 12 avril 1942).
« Renifler les odeurs de freins »
Le succès de cette rencontre étonne encore davantage au vu de la piètre qualité du spectacle proposé. Le foot pro subit de plein fouet les aléas de la guerre. De nombreux joueurs sont prisonniers, et beaucoup d’étrangers sont retournés dans leur pays, surtout chez les Sud-Américains. Les équipes types ont été grandement recomposées. En revanche, le Red Star, tout juste arrivé en première division avant le conflit, bénéficie de cette nouvelle situation pour venir concurrencer l’ogre du Racing et ses glorieux « Pingouins » . Dans ses rangs débarque notamment, un temps, Jules Vandooren, qui n’avait pu rejoindre son LOSC passé en zone interdite. Finalement, il quittera la région parisienne pour le calme de la Champagne et c’est avec Reims qu’il dispute cette finale.
Mais surtout, l’Étoile rouge récupère Julien Darui, immense gardien de but international novateur dans son style ( « J’ai voulu être le premier des gardiens actifs » , confiait-il). Il protège avec constance les cages pendant que, devant, Fred Aston a pour mission de planter des buts. L’attaquant de l’équipe de France était alors tout juste revenu au club pour plusieurs raisons : « Le public de Saint-Ouen et la banlieue nord me manquaient. J’avais envie de renifler les odeurs de freins de l’usine Ferrodo derrière le stade de Paris(aujourd’hui surnommé Bauer) » , confiait-il. En face, le Stade de Reims ne boxe clairement pas dans la même catégorie et, comme l’annonce Le Matin, « le Red Star ne gagnera pas que s’il ne le veut pas » .
Redistribution des cartes
Malgré ce déséquilibre de départ, les Audoniens ne l’emportent que par le plus petit score, 1-0, à la suite d’un match dont Le Petit Parisien, le grand quotidien de la Ville Lumière, relate avec aigreur le contenu : « Si le triomphe populaire de notre populaire compétition nous réjouit le cœur, la médiocrité du jeu pratiqué hier au Parc indique que notre football est en nette régression. » Pour résumer, ce fut moche et brutal : « Débauche de soleil, débauche de foule, débauche de bruits, mais aussi, hélas, débauche de coups défendus, de gestes discourtois, voilà d’abord ce que fut cette finale Red Star – Reims jouée par des joueurs trop nerveux dans une atmosphère trop passionnée. (…)Certes, on savait que la Coupe n’était pas une compétition de patronage, et que l’art y tient moins de place que la vigueur et le cran, mais hier, certains se montrèrent indignes de figurer dans une finale. »
Peu importe néanmoins, le Red Star est en route vers une nouvelle Coupe de France (la dernière) qu’il ramènera in fine d’un choc Nord-Sud contre Sète (2-0) tout aussi âpre, comme le résume Le Miroir des Sports : « Le Red Star gagne comme on s’y attendait, mais non de la manière escomptée. »
Vichy va bientôt redistribuer les cartes en créant des équipes fédérales régionalisées, avec son lot d’aberrations. Le Red Star ne s’en remettra jamais vraiment après la Libération. En revanche, du coté de Reims, Batteux et consorts s’apprêtent à écrire l’une des premières grandes légendes du football français.
Par Nicolas Kssis-Martov