ACTU MERCATO
Recruter quand on est fauché : mode d’emploi
Alors que Paris et Monaco se battent à coups de dizaines de millions d'euros sur le marché des transferts, pour (beaucoup) d'autres clubs français, les temps sont durs. Alors comment recruter intelligemment quand on n'a pas d'argent ? Petit guide du mercato façon système D.
Quand on demande à Sébastien Pérez combien le DFCO compte investir dans son recrutement estival, la réponse du directeur sportif dijonnais est limpide : « Je peux vous le dire, ce n’est pas un secret. Notre budget transferts pour cet été, c’est le même que celui de l’année dernière : zéro euro ! » Et oui, en 2013, l’industrie de la moutarde n’est pas aussi prospère que celle du gaz ou du pétrole… Mais Dijon n’est certainement pas une exception. Comme le club de la Côte d’Or, nombreuses sont les équipes françaises, de Ligue 2 ou de Ligue 1, à devoir se serrer la ceinture. Parce que la crise en a saigné certaines, et parce que d’autres n’ont jamais eu beaucoup de blé, disons-le. Pourtant, à l’heure du mercato, elles aussi ont besoin de consolider leurs effectifs – ou du moins de les renouveler – pour rester compétitives lors du prochain exercice. Seulement voilà, quand on n’a pas ou peu de pognon, comment fait-on pour recruter efficacement ? Inutile de vous dire que les Falcao et les Rooney, un club comme Reims peut oublier. Alors comment trouver un joueur utile à bon marché ? Frédéric Dobraje, ancien agent de Robert Pirès et Bixente Lizarazu, a une réponse toute faite à la question : « Quand on n’a pas d’argent, il faut être malin, tout simplement. »
Miser sur la jeunesse
Ce n’est pas une révolution, le football de demain a aujourd’hui 20 piges. Alors quand on est fauché, piocher dans les équipes de jeunes peut être une bonne solution. Le FC Nantes s’est construit grâce à son centre de formation, tout comme Sochaux ou Auxerre. Récemment, l’OL, dont les finances ont pris un gros coup de froid, a également trouvé son salut dans des joueurs fabriqués maison, à l’image de Grenier et Gonalons (on aurait pu écrire Tafer, mais on vous aurait menti). Dijon essaye de suivre cette voie-là. « Aujourd’hui, on a l’effectif le plus jeune de toute la Ligue 2, explique Sébastien Pérez. On a fait passer deux jeunes de chez nous pro la saison dernière, et on va essayer de continuer comme ça. C’est toujours une fierté de faire signer un joueur que l’on a formé. » Et ça ne coûte rien. « Oui, c’est sûr qu’économiquement parlant, c’est intéressant. Ça permet de garder des finances saines et de ne pas se mettre en danger. » Serge Marchetti, directeur sportif de la Berrichonne de Châteauroux, voit lui plus loin : « Si on produit de bons jeunes, on aura ensuite l’occasion de les vendre à des prix conséquents, ce qu’on a fait avec Romain Grange et Lamine Koné. » Encore faut-il avoir de jeunes pousses prometteuses.
Piocher dans les divisions inférieures
Si vous ne savez pas quoi faire le samedi soir, allez voir quelques matchs de CFA. Vous vous rendrez compte assez vite qu’il y a du level. Les « petits » clubs l’ont bien compris, et n’hésitent plus à aller faire leurs courses dans les échelons inférieurs. « Aujourd’hui, on va davantage aller voir en CFA qu’en National, où le niveau a bien baissé » , analyse Serge Marchetti. « Les joueurs de CFA sont souvent des jeunes qui se sont fait jeter des centres de formation. Mais on sait très bien que certains passent entre les mailles du filet, ajoute Christophe Revault, conseiller du président au Havre. Ce sont souvent de bons joueurs. » À Dijon, Benjamin Corgnet a ainsi été repéré en écumant les pelouses d’amateurs. On connaît la suite. « On entretient le plus possible ce réseau-là, affirme Sébastien Pérez. On fait remonter les infos, et quand on pense tenir quelque chose, Seb Larcier (le recruteur du club, ndlr) se déplace. Ça prend du temps, mais ça peut valoir le coup. » Pour le moment, en tout cas. Car d’autres commencent à sérieusement se pencher sur la question. « Il faut savoir que même les gros clubs de Ligue 1 recrutent dans les niveaux en dessous maintenant, en National ou en CFA, souligne Frédéric Dobraje. Et ils n’hésitent pas à mettre sur la table des sommes impossibles à suivre pour les clubs à petits budgets. » L’OM était en effet allé choper Charles Kaboré et Mathieu Valbuena à Libourne. Aujourd’hui, « Petit Vélo » se balade avec les Bleus. Charly, lui, se balade dans les steppes du Kraï de Krasnodar…
Relancer des vieux briscards
Les jeunes c’est bien, mais on entend souvent les coachs dire que pour cimenter une équipe, quelques cadres sont nécessaires. Vous savez, ces « joueurs de club » , avec plusieurs centaines de matchs pro dans les pattes. Et bien une fois la trentaine passée, certains d’entre eux ont la mauvaise surprise de ne pas se voir prolongés par leurs équipes. Alors plutôt que d’aller s’ensabler dans le Golfe, pourquoi ne pas tenter de se relancer dans une plus petite formation ? « Ce sont souvent des joueurs qui acceptent de faire de gros efforts au niveau du salaire, témoigne Serge Marchetti. Nous, on a récupéré Yohan Hautcœur, et il nous a énormément apporté. » « Les temps sont durs, et beaucoup de joueurs sont dans l’incertitude quant à leur avenir, ils n’ont aucune garantie financière, explique Frédéric Dobraje. Si on leur assure d’être « nourris », ils diront oui plus facilement, c’est une opportunité que les clubs doivent saisir. » Attention toutefois à la pré-retraite. « Des joueurs expérimentés oui, mais pas des joueurs sur le déclin, précise Sébastien Pérez. Ils doivent être toujours compétitifs, sinon ça n’a aucun intérêt. » Pour info, des mecs comme Laurent Bonnart et John Utaka sont actuellement à la recherche de nouveaux coéquipiers. Ça peut largement dépanner.
Se faire prêter des joueurs par les équipes supérieures
Quand on n’a pas de thunes pour acheter des joueurs aux plus grosses équipes, une alternative existe pour leur en taxer (presque) gratuitement : le prêt. Les équipes du top 5 français n’hésitent pas à envoyer les jeunes en qui elles croient s’aguerrir un peu dans des formations où la concurrence est plus faible. Mais le pari est risqué. Un joueur prêté doit être immédiatement opérationnel, sinon c’est un salaire inutile qui s’ajoute à la liste des débits. « C’est sûr que c’est une bonne solution, ça permet d’un côté au joueur d’avoir plus de temps de jeu, et de l’autre ça rend service aux deux clubs, affirme Sébastien Pérez. Mais avant toute chose, il faut s’assurer que le joueur est aussi motivé que les gars déjà en place, et qu’il a encore plus la hargne qu’avec son club d’origine. Parce qu’un joueur en prêt pas motivé, ça peut vite vous mettre dedans. » Un avis que partage Christophe Revault : « Il faut vraiment bien cibler, ne pas se faire prêter un mec juste comme ça. Nous, au Havre, on prend généralement un prêt par an. Et, malheureusement, ces dernières années, on ne peut pas dire que ce soit une grande réussite… » Méfiance, donc.
Regarder à l’étranger, mais pas trop
L’étranger, ce n’est pas que l’Espagne ou l’Angleterre. Les championnats moins cotés possèdent eux aussi leur lot de pépites à bon marché. La Ligue 1 a ainsi pu assister cette saison à l’éclosion de Saber Khalifa, qui végétait en Libye il y a encore deux ans avant d’être repéré par Évian. Nice, de son côté, n’a déboursé « que » 400 000 euros pour s’attacher les services de Dario Cvitanich, en manque de réussite du côté de l’Ajax. Des exemples qui peuvent donner quelques idées aux plus petits. « La Chine, par exemple, est en plein développement, assure Sébastien Pérez. Pour le moment c’est encore en construction, c’est un peu juste, mais dans peu de temps il y aura de jolis coups à réaliser là-bas. C’est pareil en Russie. Après, il y a les divisions secondaires, moins exposées mais très intéressantes. Et personnellement, j’aime beaucoup les championnats nordiques, qui forment de plus en plus de très bons jeunes. » Pour Serge Marchetti, l’essentiel est de se montrer réactif : « On peut réaliser quelques gros coups à l’étranger. Si on sent qu’il y a une belle opportunité, il faut la saisir. Il y a deux ans, on a reçu une vidéo de Fernando Neves, qui jouait en République tchèque, au Baník Ostrava. On s’est déplacés, on l’a fait signer, et aujourd’hui on est heureux de l’avoir avec nous. Mais c’est difficile. Là, je me suis déplacé au Tournoi de Toulon (le Festival international Espoirs, ndlr) où j’ai repéré un ou deux Colombiens plutôt talentueux. Mais même à cet âge-là, s’ils sortent du lot, ils sont déjà très demandés. » Illustration à Dijon : « On suit un joueur depuis plus d’un an, raconte Sébastien Pérez. Et cette saison il a vraiment explosé. Du coup, son prix augmente, et maintenant pour l’avoir il va falloir lâcher une certaine somme. Mais nous à Dijon, contrairement à d’autres, on ne peut pas se permettre de faire n’importe quoi… » Salauds de riches.
Par Clément Chaillou