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Reconnaissance faciale : des sous et des doutes
Les tribunes françaises redoutaient que la reconnaissance faciale amplifie la répression du mouvement ultra au détriment des droits des citoyens et des citoyennes. Mais le capitalisme s’avère beaucoup plus astucieux finalement pour y parvenir, avec le consentement des premiers concernés. John Textor, nouveau propriétaire de l’OL, penserait à diffuser des applications commerciales censées « faciliter » la vie des supporters et surtout leurs achats. Une évolution du football où le fan se révèle d’abord un client. Une logique qui laisse entière la question, qui touche l’ensemble de la société d’ailleurs, de la propriété des données personnelles et des libertés individuelles.
Le nouveau propriétaire de l’Olympique lyonnais, John Textor, songerait donc à importer en France et au Groupama Stadium l’usage de la reconnaissance faciale pour des applications commerciales visant à « simplifier » les achats des supporters au sein du stade. Comme l’Américain l’a expliqué très prosaïquement dans L’Équipe : « Je crois que les supporters sont la valeur essentielle d’un club, c’est là qu’on peut trouver des nouvelles ressources. Il y a des applications de reconnaissance faciale qui en six semaines font plus d’argent qu’un club en un an ». En premier lieu, cette vision du sport éclaire les raisons et les motivations de son engagement financier dans le football (également par exemple à Botafogo). Il s’agit bien d’établir une synergie avec son cœur de métier, les technologies virtuelles et immersives, et de réaliser au bout du compte des profits. À l’instar des fonds de pension, pour cette vague d’investisseurs le ballon rond doit rapporter, et plus seulement indirectement.
NBAisation du foot
Il ne s’agit pas d’être naïf ou d’idéaliser le passé : le public a toujours été une source de revenus, de la simple billetterie à la vente du sandwich merguez (ou galette-saucisse) de la mi-temps. Toutefois, l’ancien skateboarder devenu entrepreneur dans les hautes technologies propose de franchir un seuil qualitatif et quantitatif. Derrière l’offre d’un service (pouvoir entrer juste en scannant sa tête), l’ambition réelle demeure de constituer une immense fichier biométrique de l’ensemble des supporters et supportrices, ici de l’OL, qui pourra ensuite se monétiser auprès des sponsors ou de potentiels partenaires, sans parler éventuellement des risques de piratage ou même de détournement par les forces de l’ordre ou les autorités judiciaires.
La CNIL peut mettre en avant la nécessité légale du consentement éclairé de la personne, consciente des implications de la mise à disposition de son visage numérisé, ou bien qu’il puisse exister une alternative pour le paiement de sa place ou de son maillot, on doute énormément que ce cadre juridique reste suffisamment protecteur. En outre, comment mesurer aujourd’hui à quels degrés un individu doit être considéré correctement informé de tous les enjeux par sa vie personnelle. Cette tendance n’a rien de spécifique au football. Pour le moindre achat d’une place afin d’accéder à l’exposition d’un musée parisien, il s’impose souvent d’ouvrir un compte pour lequel sont exigées de nombreuses informations (domicile, téléphone, etc.), en plus du simple règlement en ligne via CB ou PayPal. Avec la reconnaissance faciale, John Textor désire juste franchir une étape. Il initie ou accélère une dynamique qui contribue à modifier encore davantage « l’expérience » du supporter, et qui sait son rapport à la culture foot, dans un sens, puisque ce sont les modèles assumés de la NBA ou la NFL.
Piège de cryptage
Par ailleurs, la reconnaissance faciale constitue un outil dont l’emploi a vocation à se généraliser partout. Le 11 mai dernier, un groupe de travail de la Commission des Lois du Sénat préconisait de l’expérimenter pour une durée de trois ans. Pour le journaliste spécialiste du sujet, Olivier Tesquet, l’objectif consiste ni plus ni moins que « d’accoutumer la population à la présence des technologies de surveillance ». La gestion sécuritaire des tribunes, toujours en avance, avait déjà posé les jalons. Les supporters messins avaient déjà manifesté leur refus de cet instrument en février 2020, refusant le rôle de « cobayes » . Finalement, la quête du bénéfice va sûrement rejoindre la volonté d’accroître le contrôle du public. En acceptant de déposer sa « face » dans la banque de données de l’OL, quiconque sera identifiable à tout moment. Quelle sera votre liberté si vous huez l’entraîneur ou si vous déployez une banderole contre la direction ? Un algorithme annulera automatiquement votre abonnement et transmettra votre profil à la DNLH ? Plus besoin de police quand le propriétaire privé fait le taf à sa place, avec le consentement du consommateur…
Par Nicolas Kssis-Martov