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Toni Kroos, 34 ans et tous ses plans
En démonstration tout au long du quart de finale aller face à Manchester City, l’horloger de Greifswald, en fin de contrat en juin prochain, ne cesse d’étirer le temps au Real Madrid.
Il a dû attendre 2 minutes et 55 secondes avant de toucher le premier de ses 62 ballons du jour, filé par son jeune bras droit, Eduardo Camavinga. Il rôdait alors autour du rond central et, chassé par un Phil Foden excité par la précoce ouverture du score de son clan, il n’a pas eu à réfléchir très longtemps avant de dégainer son tout premier changement d’aile de la soirée en direction de Dani Carvajal. Quelques secondes plus tard, Toni Kroos a aligné horizontalement ses deux mains pour indiquer à ses coéquipiers de ne pas paniquer et les avertir que tout allait vite rentrer dans l’ordre. Dans un stade où l’on se masse chaque semaine, ou presque, pour assister aux inventions des joueurs avant celles des coachs, tout le monde en a pris l’habitude depuis que l’Allemand a enfilé le mythique maillot blanc du Real. Dix ans que ça dure. Dix ans que, quand tout est chaos, l’horloger de Greifswald ne cesse de jouer avec les pédales et de se balader avec un instrument de destruction massive au bout de ses crampons : sa tranquillité.
Mardi dernier au Bernabéu, Toni Kroos est ainsi encore venu avec son outil faire du Toni Kroos face à un Manchester City qui n’aura jamais réussi à limiter son influence. Après la fête, bouclée sur un nul à six ampoules éclatées (3-3), le patron des visiteurs, Pep Guardiola, a même soufflé ceci à propos du sixième joueur le plus utilisé cette saison par son homologue, Carlo Ancelotti : « Est-ce qu’il était impossible pour nous de gérer les transitions de Rodrygo et Vinícius ? Rien n’est impossible, mais ça a été très difficile. Puis, il y a eu Kroos. Oh, Toni Kroos… Il contrôle le Real d’une telle manière… Il a vraiment fait un match grandiose. » Eh oui, encore un.
Un joueur « phare », dans le premier sens du terme
Mais qu’est-ce qui fait de Kroos un joueur aussi singulier ? Beaucoup, beaucoup de choses, et il suffisait de scotcher ses yeux sur les pompes du numéro 8 du Real Madrid lors du quart de finale aller de Ligue des champions – ce qui n’est pas si simple quand il y a autant de feu d’artifice tirés autour – pour en avoir une nouvelle preuve. Regarder l’Allemand se faufiler un coup à droite, un coup à gauche, afin de faire l’échelle entre les différents étages de son équipe, assister à sa nouvelle distribution de transversales (toutes réussies là où il tourne à un taux de réussite de 80% depuis le début de la saison en C1, ce qui est colossal étant donné le nombre de renversements tentés par match), le voir boucher le moindre trou ouvert (encore sept ballons récupérés pour celui qui est le deuxième Madrilène qui a gratté le plus de ballons depuis le début de saison toutes compétitions confondues derrière Valverde), tout ça sans jamais vraiment donner l’impression de courir, a fait office d’énième confirmation.
Toni Kroos n’a fait que son boulot, sans un bruit et sans une goutte sur le front : orienter le jeu de son équipe, dicter le rythme, compenser chaque déplacement. « Je ne suis bon que lorsque je joue pour l’équipe. Si je me mets à faire quelque chose tout seul, je ne suis pas très bon. Moi, je joue pour aider. Plus les autres jouent bien, plus je suis bon et Carlo sait qu’il n’a pas à me dire ce que je dois faire dans chaque situation », confiait-il l’été dernier dans un long entretien donné à El Pais. L’ancien joueur du Bayern, un rocher calme au milieu des vagues d’énergie que sont la plupart de ses coéquipiers (Vinícius, Rodrygo, Bellingham, Valverde, Camavinga), n’a cependant sûrement jamais autant brillé, ce qui tombe pile poil, son pays s’apprêtant à accueillir l’Euro en juin et lui ayant accepté de revenir pour filer un coup de main à sa sélection. Un second chapitre international qu’il a ouvert par une superbe sortie face aux Bleus fin mars.
Profiter, pendant qu’il est encore temps
Face à City, c’est dans une fonction plutôt classique que Kroos a passé sa soirée, à gauche d’un double pivot formé avec Camavinga. Une position cruciale pour Carlo Ancelotti, qui avait, comme souvent, fait du côté gauche son côté fort, et ce, cette fois, en collant Rodrygo le long de la ligne pendant que Vinícius Júnior a occupé un rôle plus intérieur. En posant Kroos dans leur dos, le technicien italien a ainsi souhaité protéger son onze à la perte et a cherché à ce que l’Allemand, également brillant sous pression, puisse ouvrir autant de fois que possible le jeu vers une aile droite bien plus déchargée (44% des actions madrilènes sont passées par le côté gauche). L’égalisation de Camavinga est d’ailleurs un excellent symbole de tout ce qu’apporte Toni Kroos, avec trois changements d’aile toujours bien dosés au cœur d’une bonne minute de possession de balle qui ont fini par faire apparaître une porte dans l’organisation défensive de City. Trois transmissions devenues si habituelles qu’on les remarque à peine, comme si tout ce que faisait le général était devenu normal. Ça ne l’est pourtant pas du tout, et il serait dommage de le banaliser, tout comme il serait dommage de mettre de côté ses interventions décisives devant Grealish ou le travail fou qui a été réalisé pour limiter au maximum l’accès à Foden – jusqu’à son but de la 66e minute, en tout cas.
Mercredi soir, au milieu des coups qui seront donnés, il sera donc précieux de prendre un temps pour profiter, tant qu’il est possible de le faire, d’un joueur rare, cérébral, chef de l’harmonie d’un Real qui, sans lui, serait davantage un paquet de pièces éparpillées. On ne sait pas où il sera la saison prochaine et, même si Isco l’a imploré début février de pousser encore deux ou trois ans, on sait qu’on est plus proche de la fin du kroosisme que du début, aussi en vogue soit-il ces derniers mois. Alors, savourons et tentons au maximum de ne pas banaliser le simple. N’oublions pas que ça ne l’est, en réalité, pas tant que ça.
Par Maxime Brigand