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RCPH, la puissance des dockers du Havre
Le Racing Club Port du Havre s’est inscrit à la deuxième édition du Vrai Foot Day. Le club havrais a marqué l’histoire du foot corpo français. Et la cohésion qui a toujours caractérisé les dockers n’y est pas étrangère.
Si les relations diplomatiques entre Le Havre et la Corse ont pris un coup de chaud en 2018, celles-ci n’ont jamais été aussi brûlantes qu’au printemps 1993. Quinze ans avant le sulfureux barrage d’accession en Ligue 1 entre l’AC Ajaccio et le HAC, il y a eu une explosive demi-finale de championnat de France foot entreprise, à l’époque « foot corpo » : Racing Club Port du Havre – Mairie de Bastia. Pour prendre la température, il suffit de se pencher sur les comptes-rendus de la presse faisant état d’un envahissement de terrain en plein match, au stade de la Cavée verte du Havre. Le match, gagné 7-1 par les locaux, sera même rejoué sur terrain neutre et à nouveau remporté par les dockers havrais, futurs vainqueurs en finale contre l’équipe des laboratoires Fabre de Castres.
Le revolver, le couteau et la marmelade
« Dès le départ du jeu, les quelque 1800 spectateurs ont ressenti la vive tension qui régnait sur le terrain, narre Corse-Matin le lendemain de la demi-finale. Les passes pour le moins viriles ont succédé aux placements douteux pour aboutir, juste avant la mi-temps, à la 43e minute exactement, à une action un peu plus musclée qui faucha un joueur du Havre. Furieux, le Havrais s’est relevé et s’est propulsé, comme une petite bombe, tête en avant, sur le Bastiais. Coup de boule, ça s’appelle et ça fait très mal. L’arbitre, dans l’instant, expulsa le joueur local, ce qui créa une réaction-boomerang spontanée et irrépressible des supporters de chaque camp. On s’est levé d’un bond, et débordant les grillages, on est descendu sur la pelouse pour régler ses comptes. Dans la castagne qui s’ensuivit, un dirigeant bastiais a été blessé : pommette en marmelade, nez concassé. »
Sébastien Dumetz n’a pas oublié la baston générale, car c’est lui le Havrais qui a asséné le coup de boule dans le pif de son adversaire. « Ce match, c’était une boucherie », pose l’ex-arrière gauche du RCPH – noté ce jour-là à droite sur la feuille de match – devenu aujourd’hui le président du club. « Je pars au but, il me tacle par-derrière à hauteur de genoux. Je me relève, il me remet un coup de pied, et là, j’ai le mauvais réflexe… » Dumetz raconte la suite – qui n’était pas mentionnée dans les comptes-rendus de la presse corse – qui explique l’arrivée des supporters normands sur le terrain. « Un dirigeant bastiais a voulu me mettre un coup de couteau, un autre a sorti un revolver – c’était un policier qui n’était pas en service. » Le dimanche, un gendarme sonne chez Dumetz pour lui signifier que sept plaintes pour coups et blessures ont été déposées contre lui : « Le gendarme était présent au match. Il savait ce qui s’était passé. Et puis, avant que je puisse en envoyer sept au tapis… »
Supportrice emblématique du HAC, Olivia Detivelle était présente dans les travées du stade de la Cavée verte lors de ce fameux match. « Comme le RCPH jouait régulièrement les phases finales du championnat de France, on savait qu’on allait voir un beau match », indique la présidente du Kop Ciel et Marine, une association de supporters du club doyen. Celle qui couvre aussi l’actualité sportive locale en tant que journaliste considère le RCPH comme « une institution ». « Dans la ville du Havre, les dockers ont toujours été une corporation très importante, très puissante aussi, un peu comme les mineurs dans le Nord. Le port, c’est ce qui a fait vivre la ville depuis longtemps, et c’est encore le cas. »
Le record d’affluence du foot corpo
Historiquement, être docker consistait à charger et décharger les navires sans relâche. Un métier harassant qui brisait le dos. Ainsi, le logo du RCPH représente un ouvrier qui porte un sac sur son dos. On y distingue aussi le croc, l’outil qui servait à manutentionner les sacs à l’époque. « Le basculement s’est fait au début des années 1980, quand le container a pris le pas sur ce que l’on appelle le conventionnel. Avant, il fallait avoir une belle santé pour être dans le métier », euphémise Michel Catelain, président historique du RCPH de 1993 à 2016.
Parmi les neuf sections représentées aujourd’hui au RCPH, c’est le rugby qui est la plus ancienne. Un comble dans la ville où a été créé le premier club de foot français (le HAC, en 1872). Fondé en 1967, le Rugby Club Port du Havre est devenu en 1971 le Racing avec la création de l’équipe de foot corpo. Dans les années 1970, le RCPH tournait à 1000 spectateurs pour des matchs lambda, et parfois le double. Un engouement populaire qui grimpait encore lors des derbys. Avec 5400 spectateurs payants, le stade de la Cavée verte détient le record d’affluence du foot corpo français. C’était lors d’un quart de finale de championnat de France, entre les dockers et les gaziers du Havre, en 1975. C’est comparable au nombre de spectateurs qui viennent voir le HAC en Ligue 2 ces dernières années.
La lutte sociale, ciment de la réussite sportive
« Sur le port, la semaine, on sentait venir l’engouement. Et tout ça, évidemment, ça conditionnait l’état d’esprit qu’il y avait en dehors et sur le terrain. On était galvanisé », témoigne Michel Catelain, qui a pris sa première licence au RCPH en 1973, à l’âge de 20 ans. « On était des ouvriers intermittents, donc il y avait une solidarité et une combativité chez nous que l’on ne retrouvait pas ailleurs, poursuit l’ancien docker. Il y a des garçons qui ont perdu leur journée de travail à cause du foot. Le samedi d’après, les autres joueurs se cotisaient pour essayer de compenser la perte de salaire. »
En 1992, la réforme portuaire abolit le statut particulier des dockers, qui deviennent des employés mensualisés d’entreprises privées. Sur les quais du port du Havre, les dockers font grève pendant plusieurs mois. « Tout le monde était en grève, car les ouvriers dockers sont syndiqués à 100% – c’est d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui », explique Michel Catelain. Et ce n’est pas un hasard si cette période de lutte coïncide avec la saison du premier titre du RCPH. « Très honnêtement, sur le terrain, on avait une équipe moyenne, par rapport à celles des années suivantes, mais on a réussi à se transcender. Pour venir assister à la finale à Clairefontaine, vous avez onze cars de dockers qui ont fait le déplacement ! » retrace Sébastien Dumetz.
Comme bien d’autres joueurs dans l’histoire du club des dockers, ce dernier a été formé au HAC, avec qui il a même gagné la Coupe Gambardella en 1989. Alors qu’il n’était pas encore président, Dumetz a fondé l’école de foot du RCPH en 1997. « Quand on est issu du HAC, on aime bien la formation », glisse-t-il, fier que son club ait formé notamment Camille Philippe, 22 ans, fille de docker, attaquante du HAC en D1 féminine. En tant que joueur, Dumetz – qui était suspendu lors de la finale de 1993 – a perdu les cinq finales qu’il a disputées. Le club en a gagné autant ensuite (Championnat de France en 2007, 2011 et 2012, Coupe de France en 2011 et 2012), en battant notamment l’équipe montpelliéraine de Nicollin, à la Cavée verte, le stade posé au bord de la ville haute du Havre, d’où l’on a une vue imprenable sur le port. Aujourd’hui encore, les samedis après-midi, le RCPH perpétue son histoire. « La majorité de l’équipe est docker, à 60/40, estime Logan Bouquet, l’actuel capitaine de l’équipe. Et je pense qu’on est la seule équipe au niveau national qui représente encore vraiment notre profession. » Car les grandes heures du foot corpo sont révolues.
Relancer la machine du foot entreprise
« J’ai connu le foot entreprise avec des centaines et des centaines de clubs. Et puis, ça a coulé soudainement. On a été abandonnés par la fédération, il y a une quinzaine d’années », pointe Sébastien Dumetz. La commission foot entreprise de la FFF a été supprimée. Résultat : des championnats régionaux ont disparu. « Dans la ligue Méditerranée, par exemple, il y avait une dizaine de clubs qui jouaient le championnat national. Mais comme ils ont été abandonnés par leur ligue, ils sont partis dans le championnat FSGT. Ces clubs-là ne demandent que ça, de pouvoir revenir. Il faut qu’il y ait une volonté fédérale d’aller les repêcher. » Aujourd’hui, le président du RCPH est engagé dans l’association Union nationale du football entreprise (UNFE) pour relancer le championnat national. Seulement, à Paris, les réunions boulevard de Grenelle n’aboutissent pas toujours à des avancées concrètes… « Honnêtement, à la fédération, il y a un tiers du personnel là-dedans qui aurait besoin de prendre un gros coup de pompe dans le cul pour agir. »
Par Florian Lefèvre
tous propos recueillis par FL, sauf mention.